Santé

Ebola: le chiffre dramatique que personne n’avait encore osé publier

Selon un épidémiologiste britannique, il aurait déjà fallu administrer un traitement, curatif ou préventif, à 30.000 personnes pour endiguer l’épidémie.

Des soignants à Monrovia (Libéria), le 17 août 2014. REUTERS/2Tango.
Des soignants à Monrovia (Libéria), le 17 août 2014. REUTERS/2Tango.

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Chaque épidémie a ses prophètes de malheur. C’est un invariant laïc, mathématique et médiatique. Celle d’Ebola verra-t-elle Olivier Brady endosser de tels habits?

Olivier Brady est, pour l’heure, un jeune épidémiologiste britannique prometteur qui travaille à l’Université d’Oxford. Il publie un texte qui pourrait faire date dans l’édition datée du 21 août du magazine scientifique de référence Nature.

L’épidémiologiste dévoile les résultats d’un calcul qu’il a effectué avec deux de ses collègues, un travail «assez rudimentaire» (humour anglais) concernant l’épidémie d’Ebola qui progresse aujourd’hui en Afrique de l’Ouest. Un travail de modélisation mathématique fondé sur des hypothèses qui ne sont pas les plus catastrophistes.

Personnes-clés

Comment travaille-t-on sur un tel modèle prévisionnel? Oliver Brady et ses collègues ont pris en compte quatre groupes de personnes-clés: les malades et leur famille, les membres du corps médical, ceux des équipes non médicales travaillant sur le terrain (soignants travaillant dans des ONG, par exemple) puis les fonctionnaires et les personnes chargés du support logistique, amenés à se déplacer fréquemment dans des zones où le virus Ebola circule dans la population.

L’épidémiologiste s’inscrit d’autre part dans le nouveau cadre défini depuis l’annonce, faite il y a quelques jours par l’OMS, que pour des raisons «éthiques», des thérapies expérimentées sur l’homme pouvaient être utilisées sur le sol africain. A partir des différents paramètres connus quant à la contagiosité de ce redoutable agent pathogène qu’est le virus Ebola, le chercheur estime au final à 30.000 le nombre de personnes auxquelles il aurait déjà fallu administrer un traitement, curatif ou préventif, pour endiguer l’épidémie.

Fourchette réaliste

C’est là une estimation nettement plus élevée que celles généralement avancées par les quelques experts épidémiologistes qui se sont penchés sur cette question. Précision: il ne s’agit pas ici d’un calcul visant à situer le nombre exact de doses médicamenteuses ou vaccinales à produire. Il s’agit en revanche d’établir une fourchette aussi réaliste que possible de personnes susceptibles d’être ciblées en priorité pour freiner, autant que faire se peut, la progression du virus Ebola.

Cette estimation pourrait être revue de beaucoup à la hausse si le virus devait se diffuser dans les populations citadines des pays touchés, et si l’épidémie s’étendait dans le même temps géographiquement. «Vu le taux de mortalité élevé d’Ebola (environ 50%), l’utilisation de médicaments curatifs et de traitements prophylactiques à une large échelle pourrait soulager les systèmes de santé, plutôt que la seule utilisation actuelle de soins d’accompagnement», a précisé le chercheur au Point.

Travail théorique

Il s’agit là d’un travail théorique. Le seul médicament expérimental testé a été le ZMapp de la firme californienne Mapp Biopharmaceuticals. Six personnes ont été traitées: un médecin et une aide soignante américains, trois médecins libériens et un prêtre espagnol, décédé depuis. Les stocks seraient aujourd’hui épuisés et aucune production ne semble possible à court terme.

Il y a aussi les mille unités d’un vaccin non homologué (le VSV-Ebov) offertes par l’Agence de santé publique canadienne au Libéria. D’autres expérimentations cliniques parcellaires sont sur le point d’être lancées, souvent de manière accélérée; toutes soulèvent de nombreux problèmes éthiques.

Les estimations inédites d’Olivier Brady mettent en lumière les risques majeurs d’extension de l’épidémie puisque les 30.000 personnes qu’il souhaiterait voir traitées ou protéger ne le seront pas. Un chiffre qui, dès lors, ne pourra qu’augmenter.

75.000 personnes en quarantaine

L’autre action qui a montré ses preuves ne demande rien à la pharmacie moderne. Elle réclame des mesures drastiques, militaires, de mise en quarantaine, associées à des campagnes d’information-formation des populations les plus exposées.

Or, depuis plusieurs semaines, la mobilisation croissante des gouvernements et des services publics des pays africains touchés a montré sa relative inefficacité dans ce domaine, et des mesures plus coercitives pourraient rapidement se révéler contre-productives. On commence à en prendre la mesure aujourd’hui au Libéria, où des émeutes viennent d’être observées dans la banlieue West Point de Monrovia, où 75.000 personnes ont été placées en quarantaine sous la surveillance de soldats et de policiers lourdement armés.

Le Dr David Nabarro, nouveau coordinateur de l’ONU pour Ebola, est attendu à Dakar, d’où il se rendra dans chacun des pays touchés: au Libéria, où il compte enrôler les 7.500 Casques bleus dans la lutte, puis en Sierra Leone, en Guinée et au Nigeria. Accompagné par Keiji Fukuda, un responsable de l’OMS, il cherchera sur le terrain comment «revitaliser le secteur de la santé» (sic).

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