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Ferguson: Barack Obama est-il trop timoré?

Le président des États-Unis a affiché une attitude dépassionnée face aux manifestations qui ont suivi la mort de Michael Brown, là où son ministre de la Justice, l'Afro-Américain Eric Holder, a adopté une position plus empathique.

Barack Obama lors d'une conférence de presse sur l'affaire Michael Brown, le 18 août 2014. REUTERS/Larry Downing.
Barack Obama lors d'une conférence de presse sur l'affaire Michael Brown, le 18 août 2014. REUTERS/Larry Downing.

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Depuis le début des manifestations violentes à Ferguson, dans le Missouri, Barack Obama est resté très mesuré et distant face aux événements. Alors que le président américain est accusé d’apathie, c’est son ministre de la Justice, plus offensif, qui a pris les choses en main.

Mercredi 20 août, Eric Holder a rendu visite à la famille de Michael Brown, l’adolescent noir tué par un policier le 9 août dernier, ainsi qu’à des élus locaux et représentants de la communauté. «Je comprends votre méfiance, a-t-il déclaré devant une assemblée d’étudiants. Je suis le ministre de la Justice, mais je suis aussi un homme noir.»

Holder a ensuite raconté avoir été plusieurs fois contrôlé par la police sans raison apparente:

«Je me souviens à quel point c’était humiliant et à quel point j’étais en colère.»

«Holder ressent cela dans ses tripes»

C’est ce genre de discours personnel qui était attendu d’Obama. «Les gens veulent désespérément connaître la vérité et Obama traite cela avec distance, de manière complètement dépassionnée… alors qu’Eric Holder ressent cela dans ses tripes», a expliqué le professeur de l'université de Georgetown Michael Eric Dyson, interviewé par le New York Times.

Ceci dit, malgré la différence de style, Obama et Holder, les deux Afro-Américains les plus puissants des Etats-Unis, sont en accord sur le fond.

Le président a en effet approuvé que le ministère de la Justice mène une enquête parallèle à celle de la police du Missouri afin de garantir l’indépendance de l’investigation. Une quarantaine d’agents du FBI ont été envoyés à Ferguson et une autopsie supplémentaire a été demandée par les forces fédérales. Ces précautions indiquent que le gouvernement ne fait pas tout à fait confiance aux autorités locales. Holder a d’ailleurs critiqué la façon dont la police de la ville avait communiqué sur les détails de l'affaire.

En ce qui concerne la forme, une grande partie des différences entre les deux hommes s’explique par le fait qu’en tant que président, Obama doit être extrêmement prudent. Il ne veut surtout pas donner l’impression qu’il est trop «pro-noirs», alors qu’Eric Holder se permet de parler de manière plus libre.

Pendant les deux premières années de son premier mandat, Obama a très peu parlé de problèmes raciaux, alors que dès 2009, son ministre avait déclaré dans un discours:

«Cette nation se considère fièrement comme un melting-pot ethnique, mais dès qu’il s’agit de questions raciales, nous avons toujours été, et nous continuons d’être, une nation de lâches.»

Pendant le second mandat d’Obama, Eric Holder a pu commencer à mener certaines politiques de luttes contre les discriminations qui lui tenaient à coeur. Il a notamment augmenté la supervision fédérale des forces de police de plusieurs villes et, dans plusieurs cas, les a forcé à reformer leurs pratiques. Il projette également d’éliminer les peines minimums pour les infractions liées à la drogue, des lois qui touchent les Afro-Américains de manière disproportionnée.

«Traducteur de colère»

Avant les événements de Ferguson, le journaliste de Slate.com Jamelle Bouie expliquait qu’Eric Holder était un peu l’alter ego non censuré d’Obama, celui qui pouvait dire tout haut ce que pensait le président. Le journaliste faisait référence aux sketches des humoristes Key & Peele, dans lesquels un des comédiens incarne Obama –calme, éminemment présentable– alors que l’autre, son «traducteur de colère» (anger translator), reformule ses phrases lisses en version énervée, familière et agressive.

Lorsque le président a donné sa conférence de presse sur Ferguson la semaine dernière, de nombreuses personnes qui attendaient une prise de position plus offensive ont ainsi écrit sur Twitter «Mais où est le traducteur de colère d’Obama?».

Le problème, c’est que dès qu’Obama parle des questions raciales avec force, il est immédiatement accusé de chercher à attiser les tensions ou d’être lui même raciste envers les blancs. Dans le cas de Trayvon Martin, un adolescent noir tué par un vigile de quartier en 2012, le président avait attendu près d’un mois pour réagir: «Si j’avais un fils, il ressemblerait à Trayvon», avait-il alors déclaré.

La presse conservatrice s’était tout de suite déchaînée, et l’ancien président de la Chambre des représentants Newt Gingrich avait demandé s’il fallait comprendre que si Trayvon avait été blanc, sa mort n’aurait pas été importante…

«L’ironie de l'histoire de Barack Obama, expliquait le journaliste Ta-Nehisi Coates en 2012, est qu’il est devenu l’homme politique noir le plus puissant du pays en évitant toutes les épineuses questions raciales, en étant "clean" (comme l’avait un jour qualifié Joe Biden) –et pourtant, le fait qu’il soit noir a un impact sur tout ce qu’il touche.»

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