Politique / France

Le 6 mai 2012, le soir où Nicolas Sarkozy n'a pas quitté la vie politique

Dans son discours de défaite, le président battu devait déclarer: «Je ne ferai plus jamais de politique.» Avant de changer d'avis...

Nicolas Sarkozy à la Mutualité, le 6 mai 2012. REUTERS/Philippe Wojazer.
Nicolas Sarkozy à la Mutualité, le 6 mai 2012. REUTERS/Philippe Wojazer.

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Depuis quelques minutes, Nicolas Sarkozy n'est déjà plus tout à fait président de la République. A l'Elysée, ce 6 mai 2012, un peu après 18 heures, les premières estimations donnent François Hollande incontestablement gagnant du second tour de l'élection présidentielle.


Le chef de l'Etat a réuni, dans le Salon vert de l'Elysée, sa garde rapprochée: les spécialistes de l'opinion Patrick Buisson, Jean-Michel Goudard et Pierre Giacometti, sa plume Henri Guaino, sa conseillère Emmanuelle Mignon, sa porte-parole Nathalie Kosciusko-Morizet, le secrétaire général de la présidence Xavier Musca... Les principaux dirigeants de la droite sont aussi dans les parages avant d'aller porter la bonne parole sur les plateaux de télévision, ainsi que son épouse Carla Bruni-Sarkozy et son amie Farida Khelfa, qui filme par intermittence avec une petite caméra –elle en tirera ensuite un documentaire diffusé sur D8, Campagne intime.

Les instants qui ont suivi ont fait l'objet de nombreux témoignages, directs ou indirects, qui concordent à quelques détails près. Et racontent comment, dans un premier temps, Nicolas Sarkozy a semblé amorcer un retrait définitif de la vie politique avant de laisser la porte entrouverte. Porte par laquelle il vient de s'engouffrer deux ans plus tard, ce 19 septembre, en officialisant sa candidature à la tête de l'UMP.

«Vous ne me verrez plus»

Le 6 mai 2012, un peu après 22 heures, l'AFP, citant anonymement un ministre présent à l'Elysée, révèle que Nicolas Sarkozy a annoncé à son camp qu'il ne se porterait «plus jamais candidat aux mêmes fonctions», ce qui, précise l'agence, «inclut donc la présidence de la République et la direction de l’UMP».

Capture d'écran d'un article publié par le site de Libération, le 6 mai 2012 au soir

Plus jamais
je ne me présenterai à une élection présidentielle

Nicolas Sarkozy aux ténors de la droite,
le 6 mai 2012

Le lendemain, Le Monde confirme ces mots par la bouche du ministre du Travail Xavier Bertrand, et cite également un conseiller selon qui «Nicolas Sarkozy [...] a dit qu'il n'envisageait pas de briguer des mandats et qu'il quittait la politique». La même version est donnée par Coups pour coups, ouvrage publié par les journalistes Delphine Schuck et Nicolas Barotte dès le lendemain du scrutin:

«Devant quelques ministres et ténors UMP, il tue les derniers espoirs: "Plus jamais je ne me présenterai à une élection présidentielle".»

Une décision «claire et sans ambiguïté», selon son conseiller en communication Franck Louvrier, et qui n'avait rien de surprenant, le chef de l'Etat l'ayant esquissée quelques mois plus tôt en Guyane devant la presse en mimant off the record un toxicomane se retirant une aiguille du bras («Vous ne me verrez plus») avant de confirmer ses propos chez Jean-Jacques Bourdin:

«Si je perds, j'arrête la politique.»

Le discours de Nicolas Sarkozy à la Mutualité, le 6 mai 2012.

Ce 6 mai, deux heures plus tard, à la Mutualité, devant les militants UMP, le ton est pourtant différent. Un peu plus flou:

«Je m'apprête à redevenir un Français parmi les Français. Une autre époque s'ouvre. Dans cette nouvelle époque, je resterai l'un des vôtres. Je partage vos idées et vos convictions et vous pourrez compter sur moi, mais ma place ne pourra plus être la même.

Après trente-cinq ans de responsabilités, dix ans que je vis des responsabilités au plus haut niveau. Mon engagement dans la vie de mon pays sera différent, mais les épreuves ont tissé entre nous des liens que le temps ne changera jamais. Je m'apprête à redevenir un citoyen parmi les autres, et jamais je ne pourrai donner tout ce que vous m'avez donné.»

«Il partait, certes, mais il ne commettait pas l'irréparable»

Que s'est-il passé entre-temps? Trois jours après l'élection de François Hollande, Le Canard Enchaîné livrait ces propos off attribués à Patrick Buisson:

«Je voulais que Nicolas Sarkozy n’injurie pas l’avenir. Plus la soirée avançait, plus les scores se resserraient et plus les mots définitifs sautaient du texte. Quand Nicolas Sarkozy a lu la dernière version, Fillon tirait une gueule pas possible, et les mines de Copé et de Bertrand s’allongeaient. Ils se regardaient tous en se demandant, incrédules: "Alors? Il reste dans le jeu?"»

Plus les scores
se resserraient
et plus les mots définitifs sautaient du texte

Patrick Buisson, cité par le Canard Enchaîné
du 9 mai 2012

Selon un proche du président cité par l'AFP, Alain Juppé s'est livré aux mêmes pressions et c'est «l'identité de vue» entre ces deux hommes aux idées très différentes qui a convaincu Nicolas Sarkozy. «Il ne faut jamais dire jamais. Ne retire pas complètement l'échelle», aurait dit le maire de Bordeaux à son cadet, selon les journalistes Carole Barjon et Bruno Jeudy dans leur livre Le Coup monté.

Quelques mois après l'élection, la scène a été racontée de manière plus développée par les journalistes Eric Mandonnet et Ludovic Vigogne dans leur livre Ça m'emmerde, ce truc: 14 jours dans la vie de Nicolas Sarkozy:

«Nicolas Sarkozy réfléchit au message d'adieu qu'il adressera ce soir aux Français. [...] L'un des éléments qu'il a chargé sa plume de coucher sur le papier suscite la réaction des présents: "Je ne ferai plus jamais de politique". Ce n'est pas vraiment une surprise. A plusieurs reprises, il l'a déjà affirmé. Mais ce soir, Buisson et Mignon interviennent. Le président ne peut avoir des mots si définitifs. [...] A son tour, Alain Juppé se lance: "Tu es trop jeune, Nicolas. Tu ne dois pas dire cela".»

Nicolas Sarkozy lit son discours de défaite à ses conseillers, le 6 mai 2012. (Image extraite du documentaire Campagne intime, de Farida Khelfa).

Une version confirmée par un des présents, la plume en second du candidat, Camille Pascal, dans son livre Scènes de la vie quotidienne à l'Elysée:

«L'arrivée d'Henri [Guaino, NDLR] porteur de quelques pages imprimées interrompit ses réflexions, le Président commença à lire le texte qu'il devait prononcer devant les militants massés à la Mutualité. [...] Le texte était beau mais clair, il partait et sans espoir de retour. A peine eut-il terminé qu'un long murmure monta de tous les côtés de la table. Il ne pouvait pas partir comme ça, il ne pouvait pas abandonner les Français. [...] Reprenant les pages restées devant lui et qu'il avait déjà commencé à raturer et à corriger, il se leva en nous disant qu'il allait y réfléchir seul.»

Plus tard, à la Mutualité, le conseiller est quelque peu rassuré:

«Le Président avait commencé son discours, ce discours magnifique qui le révéla à une France qui le découvrait vraiment alors même qu'elle le perdait. [...] Ce que j'arrivais à percevoir du discours n'était plus tout à fait conforme à ce qu'il nous avait lu quelques heures plus tôt. Il partait, certes, mais il ne commettait pas l'irréparable, il n'avait pas le coeur d'abandonner ces gens qui n'avaient de ferveur et de larmes que pour lui.»

«Le recours, ça n'existe pas, je n'y crois pas»

Nicolas Sarkozy a donc substitué au dernier moment à un retrait définitif une mise en retrait plus floue, comme l'a régulièrement pointé François Hollande en privé ces derniers mois, selon Libération:

«S’il avait voulu se retirer de la vie politique comme Lionel Jospin en 2002, il l’aurait dit clairement le jour des résultats.»

Le recours,
ça n'existe pas,
je n'y crois pas.
Et puis, ça vous fout
la vie en l'air

Nicolas Sarkozy, le 6 mai 2012, à l'Élysée

L'a-t-on fait changer d'avis, ou ne demandait-il que ça? Cette deuxième option a les faveurs de la journaliste Christelle Bertrand, qui a signé au début de l'été le livre Chronique d'une revanche annoncée:

«[...] Alain Juppé, François Fillon ou encore Patrick Buisson vont découvrir le discours que doit prononcer le Président quelques heures plus tard. Tous lui demandent de retirer le mot "jamais" écrit par Henri Guaino: "Je ne ferai plus jamais de politique"… Mais la plupart des participants en sont persuadés, si personne n’était intervenu, il l’aurait biffé lui-même.

Il refera de la politique, bien entendu.»

Quelle interprétation Nicolas Sarkozy faisait-il de ses propres mots? Début août dernier, dans une interview à Valeurs actuelles, il les réinterprétait déjà à la lumière de son retour annoncé:

«Le plus dur dans la vie, ce n'est pas la décision du retour, mais celle du départ. [...] Car le départ, cela peut signifier partir loin ou bien, au contraire, un nouveau départ. C'est d'ailleurs ce que j'avais expliqué [...] dans mon discours à la Mutualité.»

Mais le seul élément sûr à 100% dont on dispose sur la réflexion présidentielle durant ces quelques minutes fatidiques, ce soir-là, on le trouve dans le documentaire Campagne intime. A Carla Bruni qui, quelques minutes avant de partir pour la Mutualité, estime que le discours qu'il va prononcer est «ambigu», le battu du soir répond:

«Non, il n'est pas ambigu sur la politique. [...] Le recours, ça n'existe pas, je n'y crois pas. Et puis, ça vous fout la vie en l'air.»

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