Parents & enfants

Et si on arrêtait avec les avis de recherche de doudous?

Les parents font de plus en plus appel aux réseaux sociaux pour mettre la main sur un doudou perdu. Un phénomène qui a atteint un pic durant l'été et n'a déjà que trop duré, en dépit du bon sens.

<a href="https://www.flickr.com/photos/climb1mt/3804683608">Bear on a line</a> / climb1mt via Flickr CC License by.
Bear on a line / climb1mt via Flickr CC License by.

Temps de lecture: 5 minutes

Depuis plusieurs mois, je vois régulièrement s'afficher sur ma timeline Twitter des retweets d'appels à témoins d'un genre bien particulier. Des parents publient, photo à l'appui, des avis de recherche pour le doudou égaré de leur enfant. Même les politiques se fendent parfois d'un RT. Si le parent en question est un animateur radio connu, le tweet peut être relayé de manière très conséquente.

Si, comme c'était le cas très récemment, le message comporte une photo mignonnette de l'enfant, il devient carrément viral. L'appel rédigé sur Facebook par une mère québécoise avec une photo de sa fillette portant un écriteau a en effet été partagé près de 280.000 fois et très largement repris sur Twitter. L'enfant en question a d'ailleurs, grâce à cela, retrouvé le fameux doudou.

 

 

La chasse aux doudous n'a rien de très neuf. Il y a plusieurs années, il n'était pas rare de découvrir des avis de recherche sur les murs ou les poteaux. Plus récemment, des sites dédiés aux doudous perdus et à leurs propriétaires ont vu le jour. Sur Doudouetcompagnie, on peut retrouver la copie conforme de l'objet. SOS Doudou permet aux parents de publier leur petite annonce, pour que «nos enfants retrouvent le sourire». Une appli pour smartphone vient même de sortir.

Il existe par ailleurs des systèmes pour ceux qui voudraient prévenir plutôt que guérir. Par exemple, Doudou Tatoo est un service basé sur le principe du tatouage des animaux de compagnie. Un kit permet aux parents de coudre sur la peluche une étiquette comportant un code et un numéro vert. La personne qui retrouve l'objet égaré peut appeler la Centrale des doudous et sera mise en relation avec son propriétaire. Et parce qu'en matière de puériculture, il y a assez peu de limites, les parents peuvent même coller un émetteur à l'intérieur du doudou et le suivre à la trace grâce au récepteur attaché, par exemple à un porte-clés.

Tous ces sites, ces objets et la viralité des appels publiés sur les réseaux sociaux pourraient laisser penser qu'il est tout à fait sensé de se mettre en quête du doudou perdu de son enfant. Que c'est même un devoir de citoyen de participer à sa recherche.

Pourtant, il n'en est rien, et le bien-être de l'enfant ne passe que très rarement par ces retrouvailles.

Un doudou n'est pas un animal, ni un être humain

D'abord, et contrairement à ce que le kit de tatouage ou la puce à doudou suggèrent, un doudou n'est pas un animal de compagnie qui appartiendrait à toute la famille.

Quand on perd son chat ou son chien, il est normal que la famille entière parte à la recherche de l'animal et que chacun de ses membres soit touché par cette disparition. Le doudou, lui, appartient uniquement à l'enfant. C'est même l'un des rares objets de la maison qui lui appartienne à lui et lui seul. Assimiler cet objet à un animal de compagnie sur lequel toute la famille aurait des droits, c'est priver l'enfant de sa propriété, de sa responsabilité et c'est aussi accorder une importance démesurée à cet objet qui n'est pas un animal de compagnie et encore moins un être humain.

C'est l'autre aspect dérangeant des ces avis de recherche. Ils reprennent souvent le ton alarmiste et compassionnel ainsi que les codes des vraies annonces rédigées pour retrouver des personnes disparues. Il y a quelque chose de gênant à voir une fillette porter cette affichette, comme le faisaient il y a quelques semaines encore des internautes réclamant le retour des Nigérianes enlevées par Boko Haram. Il n'est pas rare non plus que ces messages se téléscopent avec d'autres demandant des informations sur des adolescents disparus et qui n'obtiennent parfois qu'une poignée de retweets. Si l'on peut être sincèrement ému par la peine d'un enfant qui a perdu son doudou, il faut veiller à garder le sens de la mesure et surtout à ne pas frôler l'indécence en mettant sur le même plan un doudou égaré et un ado dont les parents sont sans nouvelles depuis plusieurs jours.

S'il vous voit paniquer, votre enfant paniquera

Par ailleurs, et c'est sûrement le point le plus important, rechercher à tout prix le doudou égaré de son enfant n'est en aucun cas lui rendre service. Souvent, ces messages sont publiés quelques heures, voire quelques minutes à peine après la perte de l'objet. Sans toujours laisser l'enfant exprimer ce qu'il ressent face à cette disparition. On présume qu'il va être nécessairement malheureux, qu'il ne s'en remettra pas avant longtemps, qu'il connaîtra des troubles du sommeil…

Alors que c'est souvent l'attitude des parents qui va modeler cette réaction. C'est le phénomène de l'hôtesse de l'air: en cas de turbulences dans l'avion, si vous sentez le personnel navigant fébrile ou inquiet, vous paniquerez.

Les enfants fonctionnent beaucoup comme cela. Par exemple, votre fils chute. Si vous vous précipitez en criant, il risque de prendre peur et de pleurer. Si vous restez calme et lui dites que tout va bien (en cas de chute légère, évidemment), l'enfant va se relever et poursuivre son activité.

Pour le doudou, c'est exactement pareil. Si l'enfant voit ses parents paniquer, se mettre en branle pour retrouver le doudou et le consoler alors même que sa peluche vient tout juste d'être égarée et qu'il n'a pas encore ressenti le manque, il y a de fortes chances pour qu'en effet, il soit ému, voire malheureux.

Laissez-le faire son deuil

Enfin, et tous les spécialistes s'accordent là-dessus, la perte du doudou est une étape essentielle, car il est ce qu'on appelle un objet transitionnel (comme le pouce ou la tétine) qui permet à l'enfant de se détacher progressivement de ses parents. Il arrive aussi que les enfants n'aient pas spontanément de doudous, mais qu'il s'habituent à l'objet que ses parents lui auront beaucoup mis entre les mains (des langes, par exemple). Certains enfants ont des doudous psychiques (une pensée particulière qui les rassure, un livre qu'ils veulent lire tous les soirs…) mais en aucun cas le doudou n'est nécessaire à leur survie. En clair, si un enfant perd son doudou, il s'en remettra toujours. Même s'il pleure pendant 48 heures.

Selon Pascal Neveu, psychanalyste et psychothérapeute, la perte du doudou est même l'occasion idéale pour vivre une expérience de séparation, essentielle à la construction de l'enfant. «Le deuil fait partie de la vie, ainsi que la douleur engendrée par la séparation», affirme-t-il. Lancer des recherches et récupérer systématique le doudou retarde ces expériences.

Par ailleurs, dire à l'enfant qu'on a retrouvé son doudou grâce à «la magie d'internet risque de renforcer le fantasme de pensée magique». Celle-ci consiste pour l'enfant à penser qu'il peut provoquer ou empêcher des événements «par magie» ou en le voulant très fort. Se présenter à son enfant comme un magicien qui a réussi à retrouver le doudou va en effet renforcer une forme d'immaturité psychique et le pousser à croire que tout est possible grâce à un «coup de baguette magique».

En réalité, comme souvent quand il est question d'une étape essentielle dans la vie de l'enfant (acquisition de la propreté, entrée à l'école…), les parents sont souvent les plus ébranlés et ont tendance à calquer sur leur progéniture leur propre angoisse de séparation. Garder le doudou de son enfant le plus longtemps possible et le retrouver envers et contre tout, c'est aussi garder son enfant plus près de soi, l'empêcher de grandir ou en tout cas de se détacher. Pour autant, un nouveau doudou fera parfaitement l'affaire. Voire pas de doudou du tout, s'il n'en fait pas la demande. Tout simplement.

cover
-
/
cover

Liste de lecture