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Le droit à la formation, seule planche de salut

Pour surmonter la crise, il faut vite passer à la société de la connaissance et apprendre à apprendre en dehors de l'école

Temps de lecture: 5 minutes

Pour affronter la crise qui traverse le monde entier notre pays semble immobile, sidéré, incapable d'imaginer un avenir différent du passé et d'assumer son entrée dans la société de la connaissance et de l'information. Pourquoi un tel retard, une telle incapacité à s'adapter aux temps nouveaux ? Peut-être parce que depuis l'après guerre nous avons été éblouis par la société de consommation et que nous ne parvenons plus à nous défaire d'un modèle de société aujourd'hui obsolète.

Nous n'aimons guère apprendre en dehors des écoles (et encore) et préférons toujours accumuler de la marchandises plutôt que des connaissances. La France est un peu comme ses anciennes belles qui sous de magnifiques atours cachent une misère cognitive effarante (3 millions de salariés illettrés, 50 % de salariés ne maîtrisant pas l'informatique, 80 % ne parlant aucune langue étrangère...) Nos connaissances sont anciennes, parfois dépassées et nous rechignons à les renouveler.

L'état a permis aux entreprises d'amortir sur deux années les matériels informatiques, mais si les machines à traiter les informations se périment aussi vite qu'en sera-t-il de nos connaissances, de nos savoir-faire, de nos qualifications ?

Idolâtrant le matériel nous consacrons l'essentiel de nos énergies, de nos revenus, de nos compétences à accroître notre fameux « confort moderne » (pourtant atteint depuis belle lurette). Obnubilés par la jouissance matérielle nous continuons de réclamer du« pouvoir d'achat » sans comprendre que celui-ci ne précédera jamais plus le « pouvoir d'apprendre»

La France a depuis l'après guerre entrepris de considérables efforts d'équipement : autoroutes, banlieues, villes nouvelles, immobiliers de loisirs, équipements sportifs et sociaux....Notre pays, qui accusait des  retards importants, a construit un cadre de vie confortable et de qualité pour la grande majorité des citoyens.
Cet effort d'équipement matériel, tout important qu'il fut, n'aurait pas dû nous empêcher d'entreprendre un effort au moins aussi considérable (et diversifié) en matière d'éducation et de formation.
Cet effort fut peut être déployé quantitativement avec l'éducation nationale (les collèges ouvraient au rythme d'un par jour dans les années 1960) mais dans une seule direction (celle des  jeunes puisqu'on était censé apprendre seulement durant la jeunesse) et avec un seul opérateur omniprésent et monopolistique : l'éducation nationale.

L'hypertrophie de ce système éducatif, déphasé et dispendieux, handicape désormais notre pays. L'éducation nationale est un immense et coûteux navire à la dérive, incontrôlable, encadrant mal la jeunesse de notre pays et qui a le très gros défaut d'absorber l'essentiel des budgets d'apprentissage en France (déployés en priorité vers les jeunes). Dans une société où l'avenir professionnel et social se décide toujours avant 15 ans, personne n'a été capable de déployer des moyens importants en formation des adultes, de permettre à cette introuvable et improbable école de la deuxième chance de se développer.

Certes, la formation continue a évolué au fil du temps mais elle n'a jamais pu rempli sa fonction d'école des adultes. Au cours des ans elle aura été successivement :
·        une obligation financière, et donc un coût, dans les années 1970
·        une école bis pour jeunes adultes dans les années 1980 avec le traitement social(iste) du chômage
·        un dispositif élitiste et technocratique à partir des années 1990, ne profitant qu'à une minorité de salariés (qualifiés, hommes et travaillant dans de grandes sociétés)
·        Au XXI ème siècle (2003 et 2004) c'était promis les choses allaient (enfin) changer. Les partenaires sociaux puis le législateur décidèrent de changer de cap et se payèrent de mots en accouchant  d'un nouveau droit,  le Droit individuel à la formation (DIF) : une capacité inédite pour tous les salariés de bénéficier d'un capital formation de 20 heures tous les ans.

De cette belle utopie (une formation plus équitable) un premier bilan doit aujourd'hui être tiré : nous sommes à quelques mois de la date butoir du dispositif et d'un probable krach éducatif en 2010 (la Cour des Comptes jugeait début février 2009 la situation "explosive"). Cette couleur du DIF, les salariés ne l'ont pas (encore)vue mais  on commence sérieusement à douter qu'avec les resserrements des budgets actuels ils ne puissent jamais la connaître. Pourtant la grave crise économique que nous traversons rend plus indispensables que jamais nécessaire la formation des salariés du secteur privé, les moins qualifiés en tête, et leur accompagnement vers de nouveaux emplois, de nouvelles compétences et un avenir professionnel et social.

Si certains travailleurs avaient cru naïvement disposer d'une assurance employabilité activable lors d'un licenciement ou en cas de « coup dur » professionnel, ils ont rapidement dû déchanter :  il n'y a pas de budget pour le DIF, pas de cagnotte ou de trésor caché des entreprises (la comptabilité nationale a interdit son provisionnement en 2004). Les caisses sont donc vides, les compteurs DIF pleins et personne ne s'estime assumer la charge de ce capital formation accumulé par les travailleurs.

Ce milliard d'heures de DIF capitalisées depuis 2004 restera sans soute inemployé et virtuel (sauf improbable coup de théâtre) dans les semaines qui viennent.

Le bilan est accablant, presque totalement négatif. le DIF est resté (et restera sans doute) le dispositif marginal et exceptionnel que personne dans le monde professionnel ne souhaite assumer, prendre en charge ou mettre en œuvre. Une très faible minorité de sociétés s'est donné les moyens de le déployer, la plupart n'ont pas adhéré à la formation tout au long de la vie, mais surtout elles ont fait leurs comptes. Comment former tous les personnels tous les ans avec un Etat qui ponctionne déjà les entreprises tout en un entretenant un dispendieux et peu efficace système de formation initiale ?

L' ambitieuse réforme de la formation de 2004 pourrait au final n'avoir été qu'un catalogue de bonnes intentions sans réelle mise en œuvre, des remords par rapport à des salariés abandonnés par la formation, mais vite oubliés sur l'autel de habitudes et des conformismes. Comme dans de nombreux autres domaines (santé, sécurité, social) les budgets sont présents mais ne font qu'effleurer leur cible.

Les financements pourraient sembler importants avec des sommes variant de 24 à 30 milliards d'euros par an mais une faible part de ceux-ci sont réellement disponibles pour les salariés du privé: 12 milliards sont utilisés pour la formation professionnelle initiale (lycées professionnels et Centres d'apprentissage), 5 milliards pour les préparations aux concours et les multiples écoles de fonctionnaire (169 écoles, 2,5 milliard de frais de fonctionnement !) 4 milliards pour les demandeurs d'emplois....

Il ne reste que 5 à 6 milliards pour les 15 millions de salariés du privé (soit théoriquement 330 euros par personne et par an alors qu'on dépense 10 000 euros par an pour un lycéen). Sur ces  5 milliards d'euros du secteur privé une grande partie est prélevée par la machine administrative et économique qui gravite autour de la formation

La Cour des comptes a récemment dénoncé le fait que les trois quart des budgets formation ne sont pas des dépenses pédagogiques mais des dépenses annexes à la formation. Il s'agissait en l'occurrence du CIF (Congé individuel de formation)  mais nous connaissons la même proportion (25%/75%) dans les dispositifs de formation. Ces 75 % de dépenses annexes permettent de faire tourner une dispendieuse et inefficace machinerie construite depuis 1971 (coûts administratifs des centres de formation, coût des dépenses de type déplacement ou hébergement des stagiaires et surtout coût des salaires des stagiaire pris sur les fonds de la formation professionnelle). Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi les entreprises n'ont guère souhaité former depuis 1971 qu'une « élite » de travailleurs rentables et déjà qualifiés (ceux qui assuraient le meilleur retour sur investissement) et pourquoi le DIF n'a pas encore  été sincèrement déployé dans l'immense majorité des entreprises.

Cette situation aurait pu perdurer des années encore mais la crise ne nous permet plus de faire semblant d'accompagner les moins qualifiés ou de nous payer de mots : nos modes de fonctionnement, nos conformismes et nos certitudes vont être balayés par cette crise qui d'économique et financière risque rapidement de devenir sociale et éducative. Désormais, le gouvernement, les syndicats et tout le corps social sont au pied du mur : seront-ils capables de prendre les décisions fortes et contraignantes qui réintroduiront l'équité dans la formation ou se contenteront-ils de réunir des commissions, de publier des rapports et d'attendre des jours meilleurs ?  La sécurisation professionnelle et l'emploi dépendent plus que jamais du déploiement généralisé du droit à la formation des travailleurs.

Didier Cozin

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