Égalités / Santé

Pourquoi la vasectomie a-t-elle mauvaise presse?

Cette opération de stérilisation masculine généralement irréversible reste mal connue en France et très peu pratiquée.

<a href="https://www.flickr.com/photos/lauri_vain/5872201719/in/photostream/">New Life</a> / Lauri Väin via Flickr CC <a href="https://creativecommons.org/licenses/by/2.0/">License By</a>
New Life / Lauri Väin via Flickr CC License By

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C’est le genre de test qui ne rate jamais, sauf auprès d’une poignée d’averti(e)s: demandez à vos interlocuteurs de citer les contraceptifs qu’ils connaissent, et vous entendrez parler de préservatif masculin (qu’on devrait plutôt appeler préservatif externe), de stérilet, de pilule (l’adjectif féminine étant sous-entendu). Demandez-leur un effort supplémentaire, et vous aurez peut-être droit au préservatif féminin (dites interne), à l’implant, voire à la ligature des trompes.

C’est à ce moment qu’un petit malin proposera l’abstinence comme meilleur moyen de contraception de l’univers. Mais qui songera à parler de contraception orale pour hommes ou de vasectomie? Personne ou presque.

L’arrivée de la pilule masculine sur le marché est une totale arlésienne, notamment parce que sa prise aurait de trop fortes conséquences sur la libido de certains hommes (l’impact de la pilule sur la libido des femmes, lui, a visiblement moins d’importance pour les laboratoires pharmaceutiques en particulier et pour la société en général). Cela fait au moins vingt ans que la pilule masculine doit sortir dans cinq ans. Et un lobbying insuffisant, pour ne pas dire inexistant, ne devrait pas permettre d’accélérer les choses sous peu.

Il arrive cependant qu’une poignée d’hommes envisage sérieusement d’avoir recours à la vasectomie. Parce qu’ils ont conscience que la prise quotidienne d’une pilule contraceptive à heure fixe pendant trente ou quarante ans est une saleté de contrainte, ou parce que la femme dont ils partagent le lit supporte mal les effets indésirables de cette pilule (tout en continuant souvent à la prendre, parce que ça ou autre chose…).

Souvent une quasi formalité

La vasectomie, c’est une opération sous anesthésie locale dont la durée n’excède pas la demi-heure.

Elle consiste à sectionner ou bloquer les canaux déférents qui transportent les spermatozoïdes, pour rendre l’homme stérile. Elle est totalement efficace au bout de quelques semaines et quelques éjaculations après l’opération, des spermatozoïdes encore alertes pouvant encore se nicher dans le sperme produit auparavant (un examen nommé spermogramme est à prévoir pour s’assurer de sa totale stérilité). Et elle est généralement indolore, une légère gêne pouvant survenir à l’endroit des deux légères incisions pratiquées, pour finir par disparaître au bout d’une dizaine de jours.

Bref, c’est dans la plupart des cas une quasi formalité qui permet aux couples désireux de ne plus (ou pas) avoir d’enfants de vivre leur sexualité sans être perturbés par l’ombre encombrante de la contraception.

Pourtant, et même si ce n’est certes pas une information que l’on partage sur tous les toits, aucun homme de votre entourage n’a, à votre connaissance, subi de vasectomie. Répandue aux Etats-Unis (un couple américain sur six y a recours), la vasectomie est particulièrement taboue en France.

Rendue légale en 2001 seulement après avoir été pratiquée clandestinement par quelques urologues bienveillants, elle reste aujourd’hui très difficile d’accès.

Raison invoquée: elle est quasiment irréversible (l’opération inverse, la vasovasostomie, ne fonctionne que chez un patient sur quatre, selon la statistique la plus optimiste), et les hommes qui sollicitent cette opération pourraient le regretter dans un an ou dans dix ans.

Etrangement, peu de femmes se sont vues refuser une ligature des trompes au motif qu’elles pourraient s’en mordre les doigts plus tard. Les hommes désireux de se faire stériliser, eux, rencontrent parfois cinq ou dix urologues avant de parvenir à en trouver un qui accepte de pratiquer l’opération. Celle-ci est pourtant autorisée par la loi du 4 juillet 2001 sur la stérilisation contraceptive, qui n’exige des hommes aucun profil particulier (âge, nombre d’enfants…). Seule obligation du patient et du praticien: respecter un délai de rétractation de 4 mois entre le premier rendez-vous et l’intervention, de façon à imposer un temps de réflexion à tout homme qui souhaiterait se faire vasectomiser.

Peurs, manque d'information, contre-vérités

A la réticence de bon nombre de praticiens s’ajoute la faible quantité d’informations disponibles et leur qualité souvent médiocre. Truffés de groupes en tous genres, les réseaux sociaux restent étrangement muets. Quant au seul blog consacré à la vasectomie, son existence est louable, mais son contenu assez pauvre.

Le souci, c’est que pour quelques brochures médicales plutôt bien faites (celle éditée par le ministère de la Santé et celle provenant d’une université québécoise), on trouve sur Internet pléthore de témoignages négatifs (mais possiblement réels) et de contre-vérités. Bien que méritant une nomination aux Craypion d’Or, ce site personnel d’un vasectomisé québécois souffrant de douleurs intenses et chroniques depuis sa vasectomie a beaucoup fait parler de lui et reste aujourd’hui encore une référence pour bien des internautes alors qu’il ne fait état que d’un cas exceptionnel. Même s’il ne fournit aucune source, l’auteur avance un chiffre de 0,1% des vasectomisés (soit une personne sur mille). Ailleurs, comme si le suivi des patients n’était pas franchement soutenu, aucune statistique ne semble disponible à ce sujet.

Outre celle de la douleur, d’autres peurs subsistent.

Le spectre de l’impuissance, en premier lieu, alors qu’il a été prouvé que vasectomie et impuissance n’avaient aucun lien. Sur les forums médicaux (ou pseudo-médicaux), on trouve également beaucoup d’hommes persuadés qu’ils n’éjaculeront plus. Qu’ils se rassurent: les spermatozoïdes ne constituent que 3% de la semence, et la vasectomie ne consiste pas à fermer le robinet principal.

Depuis peu, une nouvelle angoisse vient noircir le tableau: celle d’augmenter sa probabilité de contracter un cancer de la prostate (+10%, selon une étude relayée par le Telegraph), risque renforcé si le patient a subi une vasectomie avant l’âge de 38 ans. L’association des urologues français et le ministère de la Santé continuent pour l’instant à réfuter la véracité de ce chiffre. Et rappelons qu’en prenant la pilule quotidiennement, les femmes augmenteraient leurs chances d’avoir un cancer du col de l’utérus ou un cancer du foie. Pourquoi est-ce que ce serait plus acceptable?

Reste la peur d’être un jour frappé de plein fouet par l’envie jusque-là insoupçonnée de se reproduire à nouveau (ou de se reproduire tout court), ce qui se produit chez 2% à 6% des hommes selon ce site suisse.

Une vasectomie, ce n’est effectivement pas comme un piercing, une fantaisie dont on peut annuler les effets en un clin d’œil. Ça se mûrit. Ça se discute avec le conjoint si conjoint il y a. Ça se fait pour les bonnes raisons (pas pour baiser n’importe qui n’importe où, puisque cela ne diminue en aucun cas les risques de MST). 

J’ai 30 ans, deux enfants, et je ne cracherais pas contre l’idée de remettre ça encore une fois ou deux (l’autre moitié de mon couple est d’accord). Voilà le deal que j’ai fait avec moi-même: après trois ou quatre enfants, quand je sentirai que je n’ai plus assez d’amour ni de bras ni d’argent pour faire un bébé de plus, je partirai à la recherche de l’urologue providentiel pour qu’il verrouille tout ça. Que mon avenir sentimental soit sans nuage ou complètement saccagé, peu importe: j’aurai assez repeuplé la planète comme ça. Il faut être clair avec soi-même pour ne pas se tirer une balle dans le pied: l’existence est trop courte pour la vivre avec des regrets éternels, et la vasovasostomie est trop délicate et trop peu efficace pour que qui que ce soit ait envie de tenter ça.

Même si c’est le schéma le plus fréquent, la vasectomie n’est pas l’exclusivité des hommes cis hétéros. Même s’il leur est encore plus difficile de trouver un médecin acceptant de procéder à l’opération, certaines femmes transsexuelles y ont également recours de façon fort compréhensible…

Un petit podcast pour finir? L’excellente émission de France Culture Sur les docks proposait en mai dernier un documentaire de 53 minutes suivant un homme tout au long du processus (réflexion, opération, conséquences). Un témoignage rassurant et plein d’humanité qui pourrait achever de convaincre quelques messieurs encore récalcitrants.

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