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Gaza: la France doit oeuvrer comme une puissance de paix et stopper les hypocrisies meurtrières

La France doit avoir le courage de réunir les conditions d’une issue politique et diplomatique durable, garantissant aux Palestiniens un Etat souverain et indépendant, condition d’une sécurité tout aussi durable pour l’Etat d’Israël. Une tribune signée par de jeunes socialistes, collaborateurs parlementaires et représentants étudiants.

Un Palestinien dans les décombres à Gaza, le 31 juillet 2014. REUTERS/Mohammed Salem
Un Palestinien dans les décombres à Gaza, le 31 juillet 2014. REUTERS/Mohammed Salem

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Cent ans après sa mort, souvenons-nous du Discours à la jeunesse (Albi, 1903) de Jean Jaurès:

«Le courage, c'est de ne pas livrer sa volonté au hasard des impressions et des forces; c'est de garder dans les lassitudes inévitables l'habitude du travail et de l'action.»

Pour les jeunes militants socialistes que nous sommes, ces mots de Jean Jaurès, prononcés au moment où la crainte de la guerre hantait les esprits, ne résonnent pas comme une leçon idéologique désincarnée, mais comme un appel à dépasser ce qui est présenté comme inéluctable.

Les engagements de notre génération de militants ont été façonnés par les conflits qui secouent depuis des décennies le Proche-Orient, et plus particulièrement par l’injustice que subissent les Palestiniens, confrontés génération après génération à la violence de la colonisation, à la souffrance de l’exil et à la préemption des ressources les plus élémentaires comme l’eau des nappes phréatiques de Cisjordanie.

La France hésite, mais il est temps pour elle d’agir

Des centaines de civils gazaouis sont morts sous les bombardements de l’opération «Bordure protectrice», lancée le 8 juillet dernier par le gouvernement de Benjamin Netanyahou.

Nous sommes convaincus qu’il est encore temps d’imposer aux belligérants un cessez-le-feu immédiat, nécessaire à l’ouverture de toute négociation. Nous estimons, comme le rappelait récemment l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine, que seule une pression significative de la communauté internationale sur les forces en présence peut permettre de mettre fin à ce massacre.

Nous affirmons, mus par notre engagement internationaliste, que la France doit avoir le courage de réunir les conditions d’une issue politique et diplomatique durable, garantissant aux Palestiniens un Etat souverain et indépendant, condition d’une sécurité tout aussi durable pour l’Etat d’Israël.

Le courage de Yitzhak Rabin, Yasser Arafat et Bill Clinton au Sommet d’Oslo de 1993 fut de ne pas se détourner de leur volonté de paix au gré des passions soulevées par le conflit, mais d’œuvrer méthodiquement, et avec acharnement, à sceller un accord durable et juste pour apaiser les tensions existantes dans la région.

En défendant, à la fin de l’année 2012, la reconnaissance de la Palestine comme Etat observateur aux Nations unies, la France a su faire preuve de courage sur le plan diplomatique.

Le récent déplacement au Proche-Orient du ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, pour tenter d’obtenir un cessez-le-feu immédiat témoigne de la volonté de la France de jouer un rôle de premier plan dans la résolution du conflit.

Nous soutenons ces efforts qui, conjugués aux autres initiatives diplomatiques, contribuent à exercer une pression nécessaire sur le Hamas et le gouvernement israélien pour que les violences cessent.

Hélas, les tensions sont telles que ces tentatives d’apaisement sont insuffisantes.

Oui, la France peut et doit être une «puissance de paix»

Avant de quitter la région le 19 juillet, Laurent Fabius a déclaré:

«La France est une puissance de paix.»

Nous faisons nôtre cette ambition. Néanmoins, nous estimons qu’elle n’aura de véritable portée que si nous lui donnons corps: une «puissance de paix» ne peut se concevoir sans action d’envergure. C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons nous résoudre à l’idée que l’action extérieure de la France se limite à des communiqués, à des incantations ou des pétitions de principes. Oui, la France a les moyens diplomatiques et le devoir moral de jouer un rôle actif au Proche-Orient. Et oui, nous devons l’affirmer haut et fort sur le plan international.

Agir en «puissance de paix», c’est dénoncer avec vigueur l’hypocrisie des belligérants. Le traumatisme des familles israéliennes lié aux tirs de roquettes par le Hamas est intolérable, mais il ne saurait en aucun cas justifier  les bombardements disproportionnés et d’une violence inouïe auxquels se livre Tsahal. Rappelons, à ce titre, que 75% des victimes recensées sont des civils.

Hypocrisie encore, lorsque Benjamin Netanyahou a refusé, avant même le début du conflit, toute discussion avec la coalition que tentait de sceller le Fatah de Mahmoud Abbas avec le Hamas. C’était pourtant un premier pas qui aurait pu conduire le Hamas à renoncer à ses activités belliqueuses au profit d’une véritable négociation. Il apparaît évident que Benjamin Netanyahou et l’extrême droite israélienne entendent tirer profit des affrontements actuels et du sentiment de vengeance qu’ils entretiennent de ce fait.

Hypocrisie du Hamas également, qui se nourrit de la misère des Gazaouis et de l’enclavement de leur territoire pour y renforcer son influence et circonscrire celle de l’Autorité palestinienne à la Cisjordanie. Face à cette hypocrisie mortifère, seule la pression internationale peut ouvrir la voie à une issue diplomatique d’envergure.

Agir en «puissance de paix», c’est proposer que la France engage une médiation entre les parties, préalable indispensable à un cessez-le-feu et à l’ouverture de négociations sincères.

La France ne peut laisser les Gazaouis livrés à l’Egypte comme seule puissance médiatrice –dont le pouvoir militaire n’a jamais caché son sectarisme à l’égard des Palestiniens.

Il faut que notre pays porte une parole forte et une action diplomatique autonome, comme elle a su le faire en Centrafrique. La France doit appuyer la mise en place d’un corridor humanitaire afin de  permettre d’acheminer l’aide alimentaire et les médicaments à Gaza.

En tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, il est nécessaire que la France présente, dans le cadre d’un accord de cessez-le-feu, une résolution prévoyant le déploiement d’une force d’interposition sous mandat des Nations unies, afin de garantir la sécurité à l’Etat d’Israël d’une part et de mettre fin aux bombardements meurtriers sur Gaza d’autre part. Une pression de la diplomatie française doit être exercée sur le Hamas pour que celui-ci dépose les armes et qu’il n’ait d’autre choix que de négocier.

Agir en «puissance de paix», c’est rappeler les conditions et les principes sans lesquels aucun accord durable n’est possible.

La levée du blocus, qui maintient la population de Gaza dans un état de pauvreté extrême, constitue une exigence humanitaire de premier ordre mais également une nécessité pour endiguer l’influence des islamistes qui prospèrent sur la misère des populations civiles.

La décolonisation de la Cisjordanie, la souveraineté partagée sur Jérusalem, le droit au retour des réfugiés palestiniens et la création d’un Etat souverain et indépendant dans les frontières de 1967, doivent constituer les axes majeurs des négociations qui devront s’ouvrir, lorsqu’un cessez-le-feu aura été obtenu.

Il est courant d’invoquer en France la «voix singulière» de notre pays au Proche-Orient, en particulier pour se distinguer des Etats-Unis, en pensant à l’héritage que nous ont légué le général de Gaulle, François Mitterrand ou encore Jacques Chirac.

Cette «voix singulière» de la France est condamnée à s’éteindre si nous ne faisons pas vivre une diplomatie courageuse à travers laquelle notre  volonté ne serait pas livrée «au hasard des impressions et des forces».

Signataires: Lounes Adjroud, Azwaw Djebara, Hadrien Ghomi, Lina Jali, Mehdi Mahammedi-Bouzina, Redouane Ouraou, Adrien Rogissart, Arash Saeidi, Karl Stoeckel.

 

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