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Le Caucase au bord de l'explosion par Daniel Vernet

Un an après la guerre entre la Géorgie et la Russie et trois mois après la fin officielle des opérations en Tchétchénie, la situation ne cesse de se détériorer.

Temps de lecture: 2 minutes

Un an après la guerre russo-géorgienne, trois mois après que les autorités russes aient officiellement annoncé la fin des opérations antiterroristes en Tchétchénie, la situation dans l'ensemble du Caucase ne cesse de se détériorer. C'est le problème numéro un du Kremlin, dit Alexeï Malachenko, chercheur à la fondation Carnegie de Moscou, et le Kremlin ne sait que faire. Sa politique de «tchétchénisation» a échoué. Le recours à la force grossit les rangs des  «bandits», selon la terminologie officielle russe. On compte un millier de rebelles dans les trois républiques caucasiennes de Tchétchénie, du Daghestan et de l'Ingouchie.

Moscou a confié le maintien de l'ordre en Tchétchénie à une sorte de gauleiter, Ramzan Kadyrov, élu président dans des conditions pires que du temps de l'Union soviétique. Il n'hésite pas à utiliser les armes lui-même et les assassinats d'opposants - le plus récent étant celui de la journaliste et militante des droits de l'homme, Natalia Estemirova --, lui sont directement ou indirectement imputés. A tel point que sa brutalité finirait même par gêner ses commanditaires moscovites.

Bien qu'il revendique le soutien du président Dmitri Medvedev, Kadyrov agace les autorités russes pour une autre raison. Non content de gérer la Tchétchénie comme un Etat quasi-indépendant, il ne cache pas ses ambitions régionales. Il se verrait bien remettre de l'ordre dans les républiques voisines, aux prises avec des mouvements de rébellion qui se réclament souvent de l'islam. Ce qui n'empêche pas Kadyrov de flatter les islamistes en ayant par exemple érigé à Grozny la plus grande mosquée du Caucase.

Moscou a essayé une autre politique: promouvoir des réformes, lutter contre la corruption, aider au développement économique. Elle a échoué aussi piteusement que la politique de force. La manière dont l'armée russe a infligé, il y a un an, une défaite à la Géorgie, alliée de l'Occident, a certes impressionné dans un Caucase qui a tendance à ne respecter que la force. Mais la Russie est incapable de mettre en œuvre un «soft power» qui lui attirerait les faveurs des populations locales.

Même ses bonnes intentions se retournent parfois contre elle. La lutte contre la corruption, qui est une nécessité pour assurer un minimum de développement économique, a poussé dans les rangs des rebelles les fonctionnaires mis en cause. Les mouvements dissidents sont certes hétérogènes, divisés selon des lignes claniques dans une région à faible population (26 millions d'habitants), répartie entre 40 peuples parlant une cinquantaine de langues, et fragmentée par 3500 km de frontières artificielles.
Toutefois les rebelles ont tendance à s'entraider sinon à coordonner leurs actions dans les républiques du Caucase du nord. Bilan: 300 attentats dans les cinq premiers mois de cette année, 75 policiers et 48 civils tués, plus 112 «bandits» «liquidés» (dixit Medvedev). Les informations provenant du Caucase ressemblent à la couverture d'une guerre, remarque Alexeï Malachenko. Chaque jour apporte son lot de victimes.

Le nouveau président d'Ingouchie, Younous-Bek Ievkourov, un ancien des services secrets qui devait mettre en œuvre la nouvelle politique du Kremlin - le «smart power» ? --, récupère dans un hôpital moscovite après avoir été victime d'un attentat-suicide. En voulant lutter contre la corruption et montrer sa fermeté vis-à-vis des insurgés tout en essayant de répondre aux aspirations de la population, il s'était fait des ennemis dans tous les camps.

Le Kremlin doit faire face à une autre contradiction. A la suite de la guerre avec la Géorgie, en août 2008, il a reconnu à l'Ossétie du sud et à l'Abkhazie l'indépendance qu'il refuse à ses propres républiques caucasiennes. Pour expliquer cette contradiction, il ne peut guère s'en remettre à des différences historiques car depuis la conquête du Caucase depuis la fin du XVIIIè siècle, les peuples de la région ont toujours été rebelles, ouvertement ou secrètement, réfractaires à la domination du grand voisin du nord.

Daniel Vernet

Image de Une: Soldats russes dans la ville georgienne de Senaki    Umit Bektas / Reuters

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