Culture

Comment Ton Koopman et les «baroqueux» ont restauré la musique baroque

Le 24 juillet, Ton Koopman, archéologue du baroque, a donné le coup d’envoi du 13ème festival baroque en Périgord. Festival qu’il a lui même créé et qui explore le répertoire baroque en s’attachant à mêler œuvres classiques et méconnues.

Orgue Woeckherl à Vienna, en 2011. Construit en 1642 c'est le plus vieil orgue baroque de Vienna REUTERS/Lisi Niesner
Orgue Woeckherl à Vienna, en 2011. Construit en 1642 c'est le plus vieil orgue baroque de Vienna REUTERS/Lisi Niesner

Temps de lecture: 4 minutes

En feuilletant le programme du festival Itinéraire baroque en Périgord, le mélomane croisera des noms plus ou moins familiers: Bach, Haendel, Vivaldi… Et d’autres qui le sont bien moins: Buxtehude, Cesti, Hasse, Leclair… Des musiciens joués de leur vivant puis tombés dans l’oubli, à une époque où l’on jouait la musique du moment, sans se préoccuper de répertoire. Exactement l’inverse d’aujourd’hui!

La redécouverte se fit d’abord au compte-gouttes. Ainsi, Mendelssohn ressuscita La Passion selon Saint Matthieu de Bach. Mais c’est à partir des années 1950 que l’essentiel du répertoire baroque (1600-1750) fut redécouvert. Dans les décennies suivantes, des musiciens s’en emparèrent, à la fois pour exhumer des œuvres disparues mais aussi pour les jouer sur instruments d’époque. Ils s’appellent Nikolaus Harnoncourt, Gustav Leonhardt, Sigiswald Kuijken… Une deuxième vague suivra, avec des William Christie, René Jacobs, Jordi Savall ou Ton Koopman. Ce dernier, élève de Leonhardt, crée son premier orchestre, Musica Antiqua Amsterdam, en 1969, à 25 ans. Deux autres suivront: l’Amsterdam Baroque Orchestra, puis l’Amsterdam Baroque Choir.

A la recherche du son perdu

Le credo de ces défricheurs? L’authenticité. On joue alors Bach avec le même orchestre que celui de Wagner ou Mahler. Une aberration aux yeux des «baroqueux» - ainsi les surnomment avec quelque dédain les tenants de la tradition. Peut-on jouer Bach avec un violon à cordes métalliques qui n’existait pas à son époque? Flûte traversière en métal lorsque le traverso en bois a une sonorité bien plus douce? Voici les baroqueux qui partent à la recherche d’instruments anciens, modifient le diapason, adoptent des rythmes plus rapides, ou remplacent les femmes par des chœurs d’enfants

«Il fallait bien connaître le style, les effectifs… On a commencé par chercher les traités, pour savoir comment jouer sur des instruments anciens», se souvient Ton Koopman. Traités, partitions, instruments… Ses recherches le conduisent en Allemagne, Autriche, Hollande, Suède, Suisse... «On a trouvé beaucoup d’instruments dans les couvents ou les abbayes. C’était assez facile aussi de les acheter chez les antiquaires qui faisaient alors des prix plus raisonnables qu’aujourd’hui. Mais si on trouvait beaucoup de flûtes à bec, en revanche il fallait chercher les clavecins… Et certains étaient en très mauvais état!»

Le baroque en mode start-up

D’où la nécessité de les restaurer. «Il y avait peu de spécialistes. On a fait appel à des jeunes facteurs. Et ce n’était pas évident car le bois était souvent très abîmé, très fragile. Alors, ils se sont mis à copier les instruments qu’ils réparaient» pour refaire des instruments «anciens». «Au début, ce n’était pas de très bonne qualité mais ça s’est vite amélioré.» Notamment  parce que certains de ces facteurs sont aussi des musiciens, souligne-t-il, citant Marcel Ponseele, spécialiste du hautbois baroque.

Les éditeurs s’y mettent. «Ils ont vu qu’il y avait un marché pour les partitions et ont commencé à en publier… Avant, on travaillait sur des photocopies ou des microfilms!» Ce qui n’empêche pas les baroqueux d’y jeter parfois un regard critique, au nom de la vérité d’interprétation: «il y a eu beaucoup de partitions publiées dans des éditions scientifiques. Mais il fallait toujours contrôler que l’éditeur avait bien fait son travail… Je me souviens par exemple de la publication d’une cantate de Noël de Dietrich Buxtehude, une œuvre connue pourtant, mais truffée d’erreurs! Aujourd’hui, on met nos partitions en ligne sur internet. Comme ça, tout le monde peut accéder à la bonne version…»

Le baroque et le sens de l’histoire

L’authenticité toujours. La «volonté du compositeur est pour nous l’autorité suprême», écrivit Nikolaus Harnoncourt. Or, les compositeurs n’ont pas forcément tout noté et nombre de partitions originales ont disparu. «Il y a surtout des copies, des éditions manuscrites faites par des élèves. Pour Buxtehude, lorsque la copie date de 1840, c’est-à-dire 130 ans après sa mort, il y a forcément beaucoup d’erreurs…», observe Ton Koopman, qui préconise de «partir de la vie du compositeur.» Pour son enregistrement de l’intégrale des cantates de Bach, il a ainsi été amené à reconstituer les

Ton Koopman, Bach, Fugue en sol mineur

parties manquantes de certaines d’entre elles.

Retrouver la musique originale et le son des instruments qui l’ont créé: Nikolaus Harnoncourt ne parlait pas d’interprétation mais de «restitution.» Travail d’archéologues ou de musiciens? Dans une nouvelle querelle des Anciens et des Modernes, les baroqueux se trouvent bien vite confrontés au «dogme du progrès perpétuel», pour la musique, mais aussi pour les instruments modernes, prétendument meilleurs parce que plus évolués.

Il faudrait écouter la musique de son temps plutôt que de se pencher sur celle d’autrefois, comme l’estime jusqu’à la caricature le chef d'orchestre Pierre Boulez

«Notre  civilisation musicale montre, de ce point de vue, des signes de dépérissement très nets, parce que, à tous les stades, la récupération, même si on l’enveloppe de considérations très générales et très généreuses, montre l’excès de mémoire.» 

En retour, les baroqueux ont beau jeu alors de souligner le désintérêt du public pour la musique contemporaine et d’y opposer le succès du baroque. Entre le sens de l’histoire et le retour aux sources, les mélomanes ont choisi.

Le baroque ne fait plus sourire

Autre confrontation difficile, celle avec les musiciens dits traditionnels. Ton Koopman se souvient de l’époque où le prestigieux Concertgebouw d’Amsterdam regardait les baroqueux avec condescendance: «On disait de nous: ils ont une idée mais pas de technique. Nous répondions: vous avez la technique mais pas d’idées… Et aujourd’hui, je joue avec eux…» Les baroqueux font désormais partie du paysage. Longtemps fermées, les portes des conservatoires leur sont aujourd’hui ouvertes.

Et d’évoquer ses rencontres avec d’autres musiciens, mus eux par la curiosité. Comme Yehudi Menuhin ou Yo Yo Ma, désireux d’essayer un violon à boyaux. «Il est important pour tout le monde d’avoir une double expérience, des instruments modernes et anciens.» Et de balayer la notion de progrès en musique. «Est-ce que c’est mieux de jouer sur instruments anciens? On ne se posait pas la question comme ça. C’était de la curiosité avant tout! Quels instruments y avait-il avant? Quelles étaient les différences? Tout retrouver, c’était un peu comme la Renaissance…»

La musique s’apprécie à plusieurs niveaux

A près de 70 ans, Ton Koopman garde ce même appétit intellectuel pour les musiques disparues. Il est en train d’étudier «une partition anonyme pour deux flûtes à bec», dénichée à Upsalla. S’apprête à jouer du Johann Kunau. «C’était le prédécesseur de Bach à Leipzig. On ne le connaît pas! Bien sûr, ce n’est pas du même niveau que Bach. Mais ce n’est pas important parce que la musique s’apprécie à plusieurs niveaux…», s’enthousiasme-t-il, comme pour mieux rire de la notion de progrès en musique.

Dans le festival qu’il a créé («J’ai acheté une maison ici et, en me promenant, j’ai découvert plusieurs très belles églises médiévales qui n’étaient pas utilisées...»), des musiques quasi confidentielles voisineront avec d’autres, souvent jouées. «Il y aura les célèbres Vêpres de Monterverdi, mais aussi une rareté: son concert à deux orgues. Sans oublier Etienne Moulinié ou Pierre Guédron. Le public entendra des œuvres peu connues. Et ça, c’est bien.»

Itinéraire baroque en Périgord Vert 

Du 24 au 27 juillet

Tarifs: de 5 à 40 €

Site du festival

 

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