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MH17: les séparatistes pro-Russes seront-ils l'OAS de Poutine?

Ces rebelles accusés d'être les auteurs de l'attaque de l'avion de la Malaysian Airlines ont été entraînés par Poutine à déstabiliser l'Ukraine. Que feront-ils si le Président russe les lâche pour retrouver une crédibilité internationale?

Un séparatiste pro-russe patrouille à côté du train où sont entreposées les victimes de l'avion MH17 abattu la semaine dernière dans l'Est de l'Ukraine. REUTERS/Maxim Zmeyev.
Un séparatiste pro-russe patrouille à côté du train où sont entreposées les victimes de l'avion MH17 abattu la semaine dernière dans l'Est de l'Ukraine. REUTERS/Maxim Zmeyev.

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Le drame du vol MH17 de Malaysian Airlines, dont tout laisse à penser qu’il a été abattu par un missile sol-air tiré depuis le territoire contrôlé par les séparatistes prorusses dans l’est de l’Ukraine, oblige Vladimir Poutine à se battre sur deux fronts: contre les Occidentaux, qui rendent Moscou politiquement responsable du tir et menacent d’aggraver les sanctions économiques visant la Russie, et contre les rebelles qui se réclament du soutien russe dans leur «République populaire de Donetsk» autoproclamée.

Son premier réflexe est certainement de ne pas choisir et de gagner du temps. Les pressions américaines et européennes pourraient ne pas lui en laisser le loisir. Dans l’UE, le camp des partisans d’une ligne dure s’est élargi aux Pays-Bas, dont quelque 150 ressortissants ont péri dans le Boeing de la Malaysian.

Or, le président russe ne peut pas non plus laisser tomber complètement les séparatistes qui se battent au nom de «Novorossia», la Nouvelle Russie, entendez l’Est de l’Ukraine. Ils les a encouragés, quand il n’a pas lui-même suscité la formation de ces milices composées sans doute de quelques locaux, mais surtout de membres des forces spéciales russes, d’anciens des services secrets, demi-soldes qui se sont battus en Afghanistan puis en Transnistrie et en Tchétchénie, et qui cherchaient une nouvelle cause pour leurs tristes exploits. Il les a entraînés, armés, motivés.

L’objectif de Poutine était et reste d’entretenir le chaos et l’insécurité sur une partie du territoire ukrainien afin d’affaiblir le pouvoir central de Kiev et de décourager l’Otan d’accueillir un jour l’Ukraine en son sein.

Dans le même temps, il n’a jamais caché que son objectif stratégique était de redonner à la Russie le statut de grande puissance perdue à la fin de la guerre froide avec la dissolution de l’URSS. Au cours des dernières années, il a marqué quelques points dans ce sens.

Il y a un an, il a joué un coup de maître en proposant la destruction du stock d’armes chimiques de la Syrie, évitant des frappes aériennes occidentales et confortant le pouvoir de son allié Bachar el-Assad.

Cette quête de statut est indissociable d’une certaine forme de respectabilité internationale. La Russie l’a perdue, en partie, en étant suspendue du G8, la réunion des pays les industrialisés du monde, à la suite de l’annexion de la Crimée. Et la fréquentation des autres Brics ne compense pas cet ostracisme des grandes puissances traditionnelles.  

Dans cette perspective, les alliés de Poutine en Ukraine n’apparaissent pas très recommandables. Comme l’a dit le représentant français à l’ONU Gérard Araud, «si vous armez des voyous, il ne faut pas s’étonner qu’ils se comportent en voyous».

Kadhafi ou De Gaulle?

Vladimir Poutine a tout intérêt à empêcher qu’à la suite de la destruction du Boeing ne s’impose la comparaison entre lui et le colonel Kadhafi, responsable de l'attentat de Lockerbie contre le Boeing de la Pan Am qui reliait Londres à New York. La Libye de Kadhafi a été mise en cause et mise au ban de la communauté internationale jusqu’à ce que Kadhafi indemnise les victimes dix ans plus tard.

Pourtant, il est difficile au chef du Kremlin de se désolidariser de ces mercenaires qui mènent en Ukraine une guerre par procuration. Ils restent le principal moyen de pression dont il dispose pour influer sur la politique de Kiev. De plus, il peut craindre les réactions de ces «soldats perdus» s’il leur retire son soutien afin de rester un interlocuteur crédible de la communauté internationale.

Pour réaliser ses buts en Ukraine, Poutine a créé une sorte d’OAS. Cette Organisation armée secrète prit les armes et commit des attentats en Algérie et en France métropolitaine dans les années 1960 quand ses membres, dont beaucoup avaient porté De Gaulle au pouvoir en 1958, comprirent que le général avait «trahi» la cause de l’Algérie française.

Si vous armez des voyous, il ne faut pas s’étonner qu’ils se comportent en voyous

Gérard Araud, le représentant français à l’ONU

Déjà, des voix s’élèvent en Russie pour mettre en garde contre les réactions possibles de ces rebelles prorusses qui, s’ils se sentent abandonnés et chassés de l’est de l’Ukraine, pourraient se replier dans le sud de la Russie. Certains les voient même déjà se joindre à certaines unités de l’armée russe et marcher sur Moscou pour «punir les traîtres».

Poutine n’a-t-il pas à plusieurs reprises promis de protéger les Russes où qu’ils se trouvent? Si, loin d’intervenir directement en Ukraine, il sonne la retraite, ne trahit-il pas «l’espoir» suscité dans toutes les forces patriotiques, se demande le philosophe Alexandre Doulguine, idéologue de l’Eurasie?

Réalité virtuelle

Si le drame du Boeing de la Malaysian Airlines provoque un tournant politique, il faudra «recaser» les combattants prorusses de l’Ukraine. Mais il y a plus. Les médias russes, et notamment la télévision, ont construit autour du conflit une réalité virtuelle dans laquelle s’opposent les bons patriotes et les «fascistes» ukrainiens soutenus par les impérialistes occidentaux.

Cette vision manichéenne s’est imposée à une grande majorité de Russes et a contribué à porter la popularité de Vladimir Poutine à 86%. Un taux qui n’a été dépassé qu’en 2008 au lendemain de la guerre contre la Géorgie (88%). Comment le chef du Kremlin peut-il négocier le changement?

Jusqu’à maintenant, il s’est gardé de mettre en cause lui-même les autorités ukrainiennes. Il leur impute une responsabilité politique, mais il laisse à des seconds couteaux et aux médias officiels le soin de propager des versions de la chute du Boeing visant à innocenter les séparatistes.

Au Conseil de sécurité de l’Onu, la Russie a voté la résolution présentée par l’Australie demandant une enquête complète, approfondie et indépendante. L’intervention discrète de Poutine n’est sans doute pas étrangère à l’acceptation par les séparatistes de laisser partir le train contenant les corps des victimes et de remettre les boîtes noires de l’avion aux experts malaisiens.

Peut-il aller au-delà de ces manifestations de bonne volonté qui ont aussi pour but de dissiper le malaise né de la conduite «grotesque» et «indigne» des chefs rebelles au lendemain du drame? «Pour Poutine, c’est l'heure de vérité», a déclaré le secrétaire d’Etat américain John Kerry. Il ne tient qu’aux dirigeants américains et européens qu’il en soit ainsi.

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