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La mort du chef des talibans n'est qu'un succès relatif

Baitullah Mehsud a été tué le 5 août par un missile américain.

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La mort mercredi 5 août dans un tir de missile américain du chef des talibans pakistanais Baitullah Mehsud est un revers pour les extrémistes pakistanais. Baitullah Mehsud, qui avait acquis ses galons de combattant en Afghanistan au côté d'un chef reconnu du djihad Jalaluddin Haqqani et ensuite auprès du chef des talibans afghans mollah Mohammed Omar, avait, grâce à ces connections et à son alliance avec Al-Qaida, réussi à fédérer plusieurs groupes de combattants des zones tribales pakistanaises dans le Tehrik-e-Taliban Pakistan (mouvement des talibans pakistanais) fondé fin 2007. Il est probable que Sirajuddin Haqqani (le fils de Jalaluddin) et des représentants de mollah Omar tentent maintenant d'influencer le choix de son successeur.

Sa mort dans un tir extrêmement précis d'un avion sans pilote de la CIA illustre la coopération très étroite sur cette opération des services de renseignements pakistanais et américains. L'élimination de Baitullah Mehsud que les autorités pakistanaises accusaient de multiples attentats dont celui qui a coûté la vie en décembre 2007 à l'ex-Premier ministre Benazir Bhutto était un objectif prioritaire d'Islamabad. Mais ce n'est qu'en mars dernier que les Etats-Unis ont mis 5 millions de dollars sur la tête de Baitullah Mehsud et commencé des tirs de drone sur ses zones d'influence au Sud-Waziristan. Réclamé de longue date par Islamabad, l'élimination du chef du Tehrik-e-Taliban pourrait faire parti d'un accord qui impliquerait pour Islamabad de restreindre les groupes opérant en Afghanistan à partir des zones tribales pakistanaises, c'est à dire essentiellement le groupe de Sirajuddin Haqqani, puissant dans les provinces afghanes de Paktia, Paktika, Khost  Ghazni et même Logar et Wardak aux portes de Kaboul. L'intensification récente des tirs de missiles visant Baitullah Mehsud avait sans doute pour objectif de l'éliminer avant l'élection présidentielle afghane du 20 août pour obtenir d'Islamabad qu'il contraigne ses «amis» de laisser se dérouler de façon relativement calme le scrutin.

Risques de revanche

La mort de Baitullah Mehsud ne met pas fin à la guerre que livre à l'état pakistanais et au delà à l'Occident, les extrémistes pakistanais et leurs alliés d'Al-Qaida. Les risques de revanche sont là et le Pakistan pourrait connaître une nouvelle vague d'attentats meurtriers. Les éventuels successeurs du chef du Tehrik-i-Taliban sont encore plus violents que lui et le danger existe d'une fragmentation du mouvement qui deviendrait de plus en plus difficile à contenir. Pour l'instant, l'offensive annoncée par les autorités pakistanaises dans la zone tribale du Sud-Waziristan ne s'est pas matérialisée au-delà de la fermeture des routes et de l'encerclement relatif de la zone. L'armée qui n'en finit déjà pas de la vaste opération engagée dans la région de Malakand contre les fidèles du mollah Fazlullah est réticente à mettre les pieds dans une région au relief propice aux embuscades et habitées par des combattants aguerris qui se battront jusqu'au bout car c'est leur dernier refuge. Les frappes américaines dans les zones tribales frontalières de l'Afghanistan — de moins en moins sérieusement dénoncées à Islamabad — ont toutefois sérieusement perturbé les réseaux d'Al-Qaida et semé la terreur parmi des combattants qui savent qu'ils n'y sont plus vraiment en sécurité.

Tant que le Pakistan n'a pas pris la décision stratégique de rompre avec le Jihad comme instrument de sa politique, il est difficile de prévoir l'évolution de la situation. Les ratés de la guerre afghane jouent en faveur des radicaux pakistanais qui ont beau jeu de souligner que ce n'est pas le moment d'éliminer les talibans alors que l'occident veut parler avec eux. Le Pakistan risque encore longtemps d'osciller entre la volonté exprimée par certains d'éliminer l'extrémisme et le désir des autres de se garder des alliés extrémistes pour agir en sous-main. Dans ce contexte, la mort de Baitullah Mehsud n'est qu'un succès relatif dont il reste à voir les retombées.

Françoise Chipaux est l'ancienne correspondante du Monde dans le sous-continent indien.

(photo: Baitullah Mehsud lors d'une conférence de presse le 7 août 2009 dans un lien inconnu)

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