Culture

Peut-on avoir une lecture aussi approfondie sur e-book que sur papier?

2013. REUTERS/Max Rossi
2013. REUTERS/Max Rossi

Temps de lecture: 2 minutes - Repéré sur New Yorker, Financial Times

Anne Mangen, professeure du National centre for reading education and research en Norvège, avait l'intuition depuis quelques temps que l'ergonomie de l'objet sur lequel on lit influençait la lecture elle-même. Que la tangibilité du papier, par rapport à l'intangibilité du numérique, avait un impact sur la lecture, au-delà du fait que nous n'y sommes pas encore tous complètement habitués. Une étude qu'elle présentera avec ses équipes lors d'une conférence en Italie qui se tient à partir du 21 juillet, tend à le confirmer. 

Dans un article consacré à la lecture sur écran par rapport à la lecture sur papier, le New Yorker explique que Mangen et ses collègues ont demandé à des étudiants de lire une nouvelle dans deux formats différents: en poche (papier) ou sur Kindle. 

«En évaluant la compréhension que les lecteurs avaient du texte, [la chercheuse] a remarqué que le média importait beaucoup. Quand les lecteurs devaient situer une série d'événements de l'histoire dans un ordre chronologique — une simple tâche de reconstruction narrative, ne demandant aucune analyse approfondie ni pensée critique—ceux qui avaient lu l'histoire sur papier s'en tiraient significativement mieux, faisant moins d'erreurs, et recréant globalement une version plus exacte de l'histoire. Les mots semblaient identiques—l'encre du Kindle vise à imiter la page imprimée—mais la matérialité physique du livre avait une importance pour sa compréhension». 

Maryanne Wolf, directrice du Centre de recherche sur la lecture et le langage de l’université Tufts, auteure de Proust et le Calamar s'inquiète, selon le New Yorker, au-delà de notre compréhension. Elle craint qu'en se tournant vers la lecture numérique, nous ne constations un impact sur la lecture approfondie, c'est-à-dire «les processus de compréhension sophistiqués» comme les appelle Wolf. Elle explique au magazine:

«La lecture est un pont vers la pensée. Et je crois que c'est ce processus qui est l'aspect de la lecture vraiment menacé. Chez les jeunes, que se passe-t-il dans la formation du circuit de la lecture complète? Est-ce que ce sera court-circuité et ce circuit aura-t-il moins de temps pour pour développer le processus de lecture approfondie? Et chez les lecteurs déjà formés, comme vous et moi, ce processus sera-t-il atrophié?»

Dans un article de juin dernier, le Financial Times rappelait néanmoins que notre cerveau est un organe adaptable, et que nos habitudes de lecture actuelles ont été formatées par rapport au papier. Par exemple, quand nous lisons, nous élaborons des «cartes cognitives» de ce que nous lisons: on se souvient que tel passage était en haut à droite d'une page, ou grâce au poids de ce que nous avons dans les mains de tel ou tel côté, nous savons qu'il reste tant à lire. 

D'où le fait que la lecture sur écran peut affecter la mémoire spatiale. Comme l'explique le FT «nous avons appris inconsciemment à créer ces cartes cognitives, avec des années de lecture, et il se pourrait que les personnes élevées en lisant sur écran n'auront simplement pas recours aux mêmes signaux, et utiliseront à la place des mots-clé, et la barre d'outils pour se repérer». 

Cette note optimiste n'empêche pas les écrivains de s'inquiéter. Tim Parks assurait ainsi au Guardian en juin dernier que les grandes oeuvres littéraires façon Dickens ou Faulkner, demandant une immersion profonde, seraient tuées par Internet, les lecteurs modernes étant trop distraits pour les apprécier. En mai dernier Will Self tenait des propos similaires, annonçant de la mort du roman

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