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De vingt-deux régions en France métropolitaine à quatorze, selon le projet dévoilé le 2 juin par François Hollande, puis treize après le coup de gomme des députés socialistes lors de l'examen du texte à l'Assemblée. Pourquoi pas six, ou huit?
La méthode manque de transparence. Les géographes et économistes recommandaient d’éviter de trancher en comité restreint, c’est raté. Le projet bâti sur des compromis par défaut promet de belles empoignades.
Pourtant, les éléments de réflexion qui auraient pu être mieux pris en compte ne manquent pas. Avec, en outre, des résultats concrets provenant d’initiatives d’entreprises voire d’administrations qui, depuis bien longtemps, ont abandonné le découpage territorial en vingt-deux régions.
Entre six et huit macro-régions
Créée en 1963 et rattachée à Matignon, la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar), notamment, planche de longue date sur l’organisation territoriale. Ses derniers travaux sur le sujet, dans le cadre du programme de prospective Territoires 2040, ont fait intervenir plus de 500 experts et acteurs territoriaux pour prendre en compte la démographie, l’urbanisation, l’économie, les potentiels de développement, les réseaux de transport et l’évolution des modes de vie…
Cette approche pour 2040 a le mérite de la clarté: mettant en valeur de grands ensembles territoriaux, elle aboutit à un processus de «régiopolisation» qui organise le territoire en neuf macro-régions de dimension européenne.
Les autres travaux menés sur le sujet sont proches de cette hypothèse. Ainsi, le Conseil d’analyse économique a publié en 2001 un volumineux travail limitant à huit le nombre des zones d’études et d’aménagement du territoire (ZEAT) retenues dans l’un des quatre rapports. Des zones qui préfigurent ce que pourraient être des macro-régions.
Les huit ZEAT, via Wikimédia Commons.
Une autre étude de la Datar avait été menée par Jean-Louis Guigou, spécialiste de l’aménagement du territoire, lorsqu’il fut lui-même à sa tête jusqu’en 2002. «La meilleure solution, pour tenir compte de l’intégration de la France au sein de l’Europe, serait de préconiser la coopération interrégionale de nos vingt-deux régions au sein de six grandes aires interrégionales qui sont assez proches de nos bassins fluviaux et qui sont articulés autour des six systèmes urbains que la France comporte», avait-il résumé dans la Revue européenne de géographie.
Une dizaine d’années plus tard, il confirme: «Autrefois, se furent les Régions qui firent les villes; aujourd’hui ce sont les villes qui font les régions.» Quitte à considérer que les capitales régionales soient «polycentriques», à l’image de l’ensemble Lille-Roubaix-Tourcoing, mais aussi Nantes-Rennes-Angers, Nancy-Metz-Strasbourg, Bordeaux-Toulouse, voire… Lyon-Marseille.
Six inter-régions donc, comprenant un grand bassin parisien (associant Île-de-France, Haute et Basse-Normandie, Picardie et une partie de la Bourgogne), le Nord, le Grand Est, le Sud ou Grand delta rhodanien (intégrant PACA, Languedoc-Roussillon, Rhône-Alpes et Auvergne), le Grand Sud-Ouest ou Val de Garonne (avec l’Aquitaine et Midi-Pyrénées mais aussi le Limousin et Poitou-Charentes) et le Grand Ouest (réunissant la Bretagne et les Pays de Loire).
Pour étayer son propos, Jean-Louis Guigou s’était appuyé sur une enquête menée en 2000 auprès des cent plus grandes entreprises françaises qui ont une couverture nationale. Cette approche avait fait apparaître pour celles-ci un découpage en cinq, six ou sept grandes régions. Ces travaux, qui font également ressortir l’importance des bassins hydrauliques, ont fait l’objet d’un rapport intitulé «Aménager la France de 2020».
Intégrer les progrès technologiques et les nouveaux modes de vie
Dans cette étude, le territoire est découpé en un nombre variable de régions selon les besoins des entreprises, pour tenir compte non seulement des bassins d’emploi et de peuplement, mais aussi des transports modernes et des nouvelles technologies de la communication qui obligent à réviser par exemple la notion d’éloignement.
Cinq régions pour Carrefour et France Télécom, six pour SFR, sept pour Citroën... Pour rationaliser leur logistique et leur organisation, ces grands opérateurs ont considérablement réduit le nombre de territoires. Avec les nouveaux outils technologiques, les réorganisations se sont poursuivies.
Pour EDF et La Poste, huit régions ont été déterminées, mais on note des variantes dans le Grand Ouest: Bretagne, Pays de Loire et Poitou-Charentes dans le premier cas, contre Bretagne, Pays de Loire et Basse-Normandie dans le second. Renault également a choisi un découpage en huit régions.
Des rapprochements émergent ainsi de façon concrète. Par exemple, pour l’ancien patron de la Datar, cette approche montre déjà que «le Grand ouest, incluant les trois métropoles si proches que sont Rennes, Nantes et même Angers, constitue pour les grandes entreprises une unité géographique et économique pertinente. De même, le Grand Delta rhodanien est clairement identifié par de nombreuses entreprises. Depuis l’arrivée du TGV, il ne faut qu’une heure pour se rendre de Lyon à Marseille, c’est-à-dire une durée de transport assez proche de l’intra-urbain».
Mais d’autres déterminants, plus politiques, peuvent expliquer des découpages différents. Ainsi aujourd’hui, alors que Réseau ferré de France (RFF) a choisi une organisation décentralisée en 12 directions territoriales, la SNCF en compte 23 pour être en concordance avec les Régions actuelles, qui sont par la loi les autorités organisatrices de transport.
Reste que, dans l’étude de terrain citée par Jean-Louis Guigou, «seules 2% respectent les découpages des vingt-deux régions administratives». L’actuelle organisation territoriale est bien dépassée.
Une dose de fédéralisme, jusqu’où?
En fait, le redécoupage de François Hollande tel qu’il est soumis aux parlementaires est plus proche de celui du comité présidé par l’ancien Premier ministre Edouard Balladur dans son rapport pour une réforme des collectivités territoriales datant de 2009. Non seulement il ouvrait la voie à la création de 11 métropoles en France, mais il préconisait le regroupement de régions, leur nombre pouvant passer de 22 à 15. Plus, de toute façon, que pour la plupart des grandes entreprises ayant une couverture nationale.
Ce qui semblerait démontrer que, vues de droite comme de gauche, les contraintes politiques dans les choix de regroupement empêchent encore les dirigeants d’anticiper les évolutions démographiques et économiques dans lesquelles les entreprises sont déjà engagées.
Pas étonnant: des facteurs historiques et de pouvoir pèsent sur les décisions des politiques alors qu’ils n’interfèrent pas dans les décisions des acteurs économiques. Les parlementaires sauront-ils s’en affranchir et faire plier l’appareil d’Etat?
Car en instaurant des régions moins nombreuses et plus grandes (et donc plus puissantes) que les 22 actuelles, la réforme affaiblira le pouvoir central et instillera un peu plus de fédéralisme dans la vie politique française. La question est simple, mais capitale: jusqu’où? Car l’Etat français, lui, est toujours jacobin. On a vu par exemple les réticences qui se sont manifestées au sommet de l’Etat pour ne pas réunir la Bretagne aux Pays de Loire, au cœur de ce débat.