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«Nation branding»: comment tirer vraiment profit de l'organisation d'une Coupe du monde

Organiser un Mondial ou des Jeux olympiques n'est pas rentable, mais peut entraîner des bénéfices en termes de diplomatie publique... à condition de bien s'y prendre.

Un tournoi de football dans la favela de San Carlos à Rio de Janeiro le 7 juin 2014, REUTERS/Pilar Olivares
Un tournoi de football dans la favela de San Carlos à Rio de Janeiro le 7 juin 2014, REUTERS/Pilar Olivares

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Pendant un mois, le cœur du monde a battu au rythme du ballon rond. A mesure que les matchs s’égrenaient, une ferveur quasi-religieuse s’emparait de certains alors qu’un agacement allait crescendo pour les autres devant l’hégémonie médiatique du tournoi de football.

Si tout, ou presque, a déjà été dit sur cet événement planétaire, on peut se demander si la Coupe du monde sert vraiment à quelque chose. Certes, l’événement génère des profits colossaux pour la Fifa et ses sponsors et procure du plaisir aux spectateurs ainsi qu’une façon d’évacuer le nationalisme par le jeu.

Mais la Coupe du monde est-elle utile pour les pays qui l’organisent et y participent? S’il est un peu tôt pour tirer un bilan définitif pour le Brésil, en matière de «nation branding» et de diplomatie publique, quelques règles sont à respecter pour espérer tirer profit de l’organisation d’un événement sportif planétaire.

1.Avoir une histoire à raconter

Ceux qui veulent se jeter dans la bataille de la diplomatie publique oublient souvent qu’avant de communiquer, il faut avoir un produit et donc une bonne histoire à raconter. La Coupe du monde qui se déroulait en Afrique du Sud en 2010 avait un merveilleux narratif, celui de la nation arc-en-ciel de Nelson Mandela, métamorphosée après l’Apartheid et présentée comme une grande épopée notamment dans Invictus en 2009.

Au Brésil, il n’existe pas de grande légende cohérente et la plupart des reportages des médias étrangers se sont concentrés sur les clichés des favelas, des écarts de revenus monstrueux, des plages recouvertes de créatures issus du bistouri de la chirurgie esthétique et évidemment du «fùtbol» qui semble unir absolument tous les Brésiliens. Faute d’une autre histoire à raconter, le Brésil peine à présenter l’image plus moderne qu’on pourrait attendre d’un pays intronisé dans le club des économies de demain, les BRICS.

Quant au Qatar, s’il accueille bien la Coupe du monde en 2022, ce sera une catastrophe médiatique faute d’une image nationale positive. Les médias occidentaux se concentrent déjà sur les failles de l’Etat pétrolier, de sa capacité de corruption mondiale aux traitements inhumains des étrangers travaillant sur ses projets pharaoniques.

Le Qatar serait donc bien inspiré de travailler sur son image avant 2022 en utilisant les relations publiques afin de contrer le ressentiment grandissant à l’égard du riche tricheur esclavagiste qu’il incarne désormais. Il devient ainsi le nouvel ennemi pétrolier, après l’Arabie saoudite qui, elle, a su utiliser pleinement les ressources de la communication stratégique.

2.Être prêt à dépenser beaucoup d'argent

Pourtant, le Qatar possède un atout considérable: il est à même d’injecter facilement l’argent nécessaire à l’organisation d’un événement sportif planétaire. La Russie, qui accueille la Coupe du monde en 2018, a également prouvé lors des Jeux olympiques de Sotchi en 2014 qu’elle avait les poches suffisamment profondes pour investir dans des infrastructures de classe mondiale.

Dans le cas du Brésil, les manifestations quotidiennes contre la vie chère et l’argent gaspillé pour les stades ont contredit la thèse d’un pays moderne et riche censé avoir une influence grandissante à l’avenir sur l’économie mondiale. On recommandera donc aux pays souhaitant organiser les JO ou la Coupe du monde d’en avoir les moyens, d’autant que les événements sportifs planétaires ne rapportent pas d’argent directement au pays.

Ils peuvent générer des retombées indirectes, comme la légende des 1% de PIB après la victoire des Bleus en 1998, mais là encore, tout dépend du résultat de la finale. Dans le cas du Brésil, avec deux cuisantes humiliations sur son propre terrain, il est à craindre qu’il n’y aura pas de hausse de la consommation intérieure enthousiaste dans un proche futur.

De son côté, l’Afrique du Sud en est encore à payer pour la Coupe du monde en 2010, mais l’objectif premier n’était pas la profitabilité, il s’agissait de montrer que le pays était capable d’organiser un événement planétaire et le Mondial a parfaitement rempli son rôle. Dans un pays réputé pour sa violence, aucun supporteur n’a subi d’agression et les médias ont pu circuler librement dans le pays sans rapporter d’incidents majeurs.

Seule la FIFA, en sa qualité de fédération à but non lucratif, gagne de l’argent de façon systématique. Le Brésil, lui, risque d’avoir investi à perte, à moins de se rattraper avec les prochains Jeux olympiques.

3.Savoir rebondir sur l'évènement

Toute stratégie de nation branding se base sur le long terme. Accueillir un événement tel que la Coupe du monde, puis ne pas capitaliser sur l’attention donnée au pays, peut être une perte à la fois financière et de temps.

Le Brésil comme la Russie l’ont bien compris, le premier accueillant la Coupe du monde puis les Jeux olympiques en  2016, la seconde avec les Jeux olympiques d’hiver de Sotchi en 2014 puis la Coupe du monde en 2018. L’Afrique du Sud semble avoir des ambitions plus modestes que ses collègues des BRICS en matière d’influence mondiale, mais elle aurait dû continuer après la Coupe du monde 2010 à accueillir des manifestations d’envergure mondiale.

N’ayant pas eu les moyens ou les ambitions de peser plus lourd dans les relations internationales, elle stagne depuis des années dans les classements de perception d’image nationale, comme le Nation Branding Index. Il est encore tôt pour mesurer les effets des JO de Sotchi, mais là encore la Russie joue moins la carte de la séduction que celle de la puissance.

Le Brésil n’a pas une image de pays guerrier et aurait donc pu bénéficier de ses événements sportifs majeurs pour apparaître comme un géant sportif, à défaut d’en être un culturel. La cuisante défaite de son équipe de football risque de remettre en question cette stratégie, d’autant que le Brésil n’a jamais brillé lors des Jeux olympiques, pointant à la 36ème place des nations les plus médaillées.

4.Parfois, il vaut mieux éviter d'être le pays organisateur

On peut se demander si, au 21ème siècle, accueillir un événement sportif mondial est finalement si intéressant pour un pays. De plus en plus de villes annoncent ne pas être candidates pour l’organisation de compétitions sportives mondiales.

C’est le cas de New York, qui par la voix du son nouveau maire Bill de Blasio, a annoncé que postuler en 2024 pour les Jeux olympiques pourrait être contre-productif pour le tourisme. Pour certains pays possédant déjà une capacité d’attraction touristique forte, accueillir des supporteurs de football ou de sports en général risque de brouiller leur image et d’empêcher les visiteurs habituels de venir, affolés par les hordes de fans excités et bien souvent gentiment éméchés.

Une ville déjà très attractive pour les touristes, comme New York, Londres ou Paris, n’a finalement que peu d’intérêt à attirer une Coupe du monde ou des Jeux olympiques et aurait plus avantage à envoyer une équipe de foot solide ou des athlètes prometteurs, ce qui nécessite moins d’investissement. En revanche, des pays riches mais en mal de notoriété et contrôlant leur population seront les candidats idéaux pour le CIO et la Fifa.

On peut donc s’attendre à ce qu’à l’avenir, les événements sportifs mondiaux se tiennent dans des pays émergents et surtout des dictatures, la Chine ayant réussi, lors des Jeux olympiques de 2008, à présenter une image uniforme et cohérente, clé de la réussite d’une stratégie de nation branding réussie. Au final, la plupart des spectateurs suivent les JO et la Coupe du monde à la télévision et il importe peu pour eux de savoir où se tient l’événement.

Que l’on vive dans une démocratie ou une société oppressive, le foot est présenté comme une grande fête qui permet d’oublier les soucis du quotidien. Comme disait Michel Platini s’adressant aux Brésiliens en colère avant la Coupe du monde, «s’ils peuvent attendre un mois avant de faire des éclats un peu sociaux, ce serait bien pour le Brésil et pour la planète football». Car c’est le secret de la Coupe du monde: peu importe le pays, elle se passe sur une autre planète. 

 

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