Économie

Mieux vaut un chef d'entreprise optimiste qui se trompe qu'un pessimiste qui a toujours raison

C'est désormais prouvé: les patrons naviguent à vue, tant ils ont du mal à prédire l'évolution de leur activité. Mais quitte à se tromper, mieux vaut, pour l'économie française, qu'ils pêchent par excès d'optimisme!

crystal ball. <a href="https://www.flickr.com/photos/eschipul/5154596724">Ed Schipul</a> via Flickr CC <a href="https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0/deed.fr">License by.</a>
crystal ball. Ed Schipul via Flickr CC License by.

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S'il est difficile de prévoir la météo, anticiper l'activité économique est au moins aussi compliqué. Les grands argentiers en savent quelque chose, qui se trompent régulièrement –et parfois très largement– dans les prévisions de croissance associées au budget de l'État.

Mais même les chefs d'entreprise se révèlent tout aussi désemparés quand il s'agit de savoir comment évoluera leur propre activité. C'est ce que révèle une enquête que vient de réaliser le mois dernier le Lab de BPI France.

Concrètement, BPI France interroge les chefs d'entreprises deux fois par an pour leur demander si leur chiffre d'affaires va augmenter, stagner ou diminuer pour l'année en cours et pour l'année suivante. Il ne s'agit donc (même) pas de chiffrer la croissance –ou la baisse d'activité– mais juste d'indiquer la tendance: +, – ou  =.

Pour chaque année, ces chefs d'entreprise sont donc interrogés quatre fois: en mai de N-1  (en mai 2013 pour les prévisions 2014, par exemple), en novembre de N-1, puis en mai et en novembre de l'année en cours. 

En mai de N-1, seuls 34% effectuent des prévisions correctes. Ce pourcentage passe à 39% en novembre de N-1, à 53% en mai de l'année concernée et à 69% en novembre de l'année concernée. A deux mois de la fin de leur exercice, ils sont donc encore 31% à se tromper sur le signe d'évolution de leur propre chiffre d'affaires! 

Certains, cependant, sont un peu plus doués en prévisions que les autres. Que les tenants de diverses idées reçues se le tiennent pour dit: cela ne dépend ni de leur âge, ni de leur sexe ni de leur région d'implantation. Mais bien plutôt de leur entreprise: les entreprises innovantes, celles très actives à l'international, les jeunes PME et les grandes PME se trompent plus rarement que les autres. «Non que l'exercice de prévision leur soit plus aisé –au contraire, leur activité est plus complexe–, mais elles baignent dans un monde où elles sont confrontées à de multiples signaux», explique Marie Meynadier, PDG d'Eos Imaging, l'une de ces PME. Ce qui les habitue visiblement à mieux anticiper. 

Les théoriciens de l'économie ne sont pas (toujours) si mauvais

Cette étude, en réalité, confirme au moins une chose: si les chefs d'entreprise se trompent, les théoriciens de l'économie, eux, ne sont pas (toujours) si mauvais. 

Tout d'abord, ils confirment que les chefs d'entreprises sont assez rationnels: leurs projections sont étroitement corrélées à leurs décisions d'embauche et d'investissement.  Ce qui ne les empêche donc pas de se tromper: «Mais on peut être tout à fait rationnel et faire des erreurs», explique David Thesmar, professeur de finance à HEC. «Prédire qu'une pièce de monnaie tombera sur pile est rationnel, et pourtant, il y a une chance sur deux qu'elle tombe sur face.»

De la même façon, il suffit qu'un ou deux gros contrats se réalisent –ou pas– pour que les anticipations du chef d'entreprises soient vérifiées ou non.

Deuxièmement, les chefs d'entreprises ont tendance à penser que l'avenir ressemblera au présent: plus de la moitié d'entre eux mise sur une stabilité de l'activité à un an, alors que celle-ci ne se vérifie que dans 10% des cas. C'est un phénomène  bien connu des théoriciens sous le nom d'anticipations myopes ou extrapolatives.

Troisièmement, les chefs d'entreprises bâtissent en général le même scénario d'activité pour les deux années à venir (N  et N+1), considérant donc que la tendance actuelle se poursuivra douze mois plus tard. Tout comme  il nous est souvent difficile de mettre un gros pull dans notre valise lorsqu'il fait 30 degrés dehors, même si l'on sait que le temps est susceptible de se détériorer dans les deux semaines qui viennent! C'est le «biais d'ancrage».

Anticipations auto-réalisatrices

Quatrièmement, les anticipations sont, en partie du moins, auto-réalisatrices.

Ce phénomène est bien connu en Bourse: parce que chacun croit qu'une action va monter et que cette rumeur se répand, tous achètent et l'action monte. Et inversement.

Le phénomène, ici, n'est pas moutonnier. Il reste confiné au sein de chaque entreprise. En effet, un chef d'entreprise qui prévoit une croissance de son activité embauche et investit. Lorsqu'il se rend compte de son erreur, il réduit la voilure, un peu. Mais le solde reste positif. 

Un chef d'entreprise qui prévoit une baisse de son activité, au contraire, n'investit pas et n'embauche pas. Logiquement. Mais lorsqu'il se rend compte que son activité progresse, il ne corrige pas à la hausse ses décisions d'investissement.

Le pessimisme, autrement dit, est une source d'opportunités gâchées. Alors que l'optimiste soutient l'activité... des autres!

Sachant que 14% des 31% de chefs d'entreprises qui se trompent sont optimistes et 17% pessimistes, la balance penche –malheureusement– du mauvais côté.

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