France / Politique

Mariage pour tous et défaites de la gauche: le coupable était trop parfait

Contrairement aux idées reçues, les débats et les mobilisations contre la loi ne semblent pas avoir dopé le vote FN aux municipales et aux européennes, pas plus que l’abstention de l’électorat de gauche.

<a href="https://www.flickr.com/photos/jarousseau/8424038579/sizes/o/in/photostream/">Manifestation pour le mariage pour tous</a> / Vincent Jarousseau via Flickr <a href="https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0/deed.fr">licence by</a>
Manifestation pour le mariage pour tous / Vincent Jarousseau via Flickr licence by

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Après la débâcle du PS aux municipales, plusieurs candidat malheureux de la majorité, dans plusieurs régions, avaient pointé un possible impact du mariage pour tous sur le vote. C'était par exemple le cas, à Marseille, de Patrick Menucci, un des soutiens de la loi à l'Assemblée, qui avait déclaré: «Le mariage pour tous nous a coûté des voix.» L’ancien maire d’Asnières-sur-Seine Sébastien Pietrasanta, qui avait également voté en faveur de la loi, expliquait sa défaite dans sa ville de la même manière:

«Le vote de la loi pour le mariage pour tous puis l’instrumentalisation de la polémique sur la théorie du genre a pesé en alimentant les conservatismes

L'argument a aussi été utilisé plus globalement à droite, par exemple par Henri Guaino, qui a estimé que la gauche avait été victime de la désaffection de son électorat sur les questions sociétales:

«Ils ont préféré diviser la société sur des débats de société comme le mariage, la fin de vie, la drogue. L'électorat de gauche n'a pas voté pour cela.»

Pour le PS, une autre déroute électorale a suivi aux européennes du 25 mai, où il a recueilli moins de 14% des voix, contre un peu moins de 25% pour le FN.

Pourtant, s'il ne faut pas écarter l'hypothèse d'un impact des mobilisations anti-mariage pour tous dans des contextes locaux précis aux municipales, la question n'aurait pas eu d'impact national sur cette séquence électorale désastreuse pour la gauche. C'est l'une des conclusions d'un sondage mené le jour des européennes par l'institut Harris Interactive pour la société de communication Balises, dont les résultats viennent d'être dévoilés.

«Peu d'effet sur le vote des Français»

D'après cette étude menée en ligne le 25 mai auprès d'un échantillon de 6.000 personnes (afin de disposer de sous-échantillons plus fins que lors d'un sondage classique et de repérer des «signaux faibles»), «la violence idéologique du débat n'a eu que peu d'effet sur le vote des Français».

«Le mariage pour tous n'a pas été un facteur d'abstention à gauche», explique Denis Pingaud, président de Balises. Les abstentionnistes de gauche ne manifestent en effet aucune réticence particulière envers cette loi, qu’ils soutiennent en grande majorité –à 87%, soit dans les mêmes proportions que les électeurs de gauche (contre 63% pour l’ensemble des Français).

Les attitudes de l'ensemble des Français, des sympathisants de gauche et des abstentionnistes de gauche sur le mariage pour tous (Harris Interactive pour Balises)

Si la mesure a éventuellement pesé, c'est en creux, en venant souligner le manque de résultats sur d'autres terrains. «Ce qui a pu coûter des voix à la gauche, ce n’est pas d’avoir présenté le projet de loi sur le mariage pour tous, mais d’avoir mis en avant des politiques sociétales alors que son électorat attendait des politiques économiques et sociales, explique Jean-Yves Camus, chercheur associé à l'Iris et spécialiste des droites extrêmes. L’abstention s’explique par le fait que François Hollande est toujours attendu sur l’inversion de la courbe du chômage.»

«Pour l'électorat FN, le mariage pour tous n'est pas une priorité»

Par ailleurs, cette question ne semble pas avoir pesé dans les bonnes performances du FN. «Le mariage pour tous ne constitue pas un des éléments centraux de basculement vers le FN», explique Jean-Daniel Lévy, directeur du département Politique-Opinion d'Harris Interactive.

S’il y a bien une opposition majoritaire à droite et à l'extrême droite au mariage pour tous (autour de 60%), «pour l’électorat FN, le mariage pour tous n’est pas une priorité», explique Sylvain Crépon, professeur de sociologie à l'Université Paris-Ouest et auteur de Enquête au coeur du nouveau Front National (Nouveau Monde Éditions, 2012). «C’est un électorat populaire, d’ouvriers non précaires, qui ont peur de tomber dans la précarité». De plus, «l’électorat FN est bien moins catholique que l’électorat UMP, et il se détermine moins par rapport aux questions sociétales».

«Les mobilisations contre le mariage pour tous ont eu plus d’impact dans les milieux conservateurs catholiques de droite traditionnelle, confirme Jean-Yves Camus. Il y a une déconnexion entre le vote frontiste et les enjeux religieux. Le vote FN est motivé par un rejet de la classe politique, par la question de l’immigration et l’insécurité. Les questions sociétales arrivent derrière, car l’électorat frontiste a des attitudes sociétales diverses. On constate que les électeurs n’en font pas le cœur de leur doctrine».

D’après les résultats du sondage, les ressorts du vote FN sont en effet encore très majoritairement liés à la crainte des étrangers et au sentiment d’insécurité. 94% des électeurs FN sont d’accord pour dire qu’«il y a trop d’étrangers en France» (contre 64% des Français) et 67% d’entre eux sont d’accord pour dire qu’«il y a plus d’insécurité en France que dans d’autres pays» (contre 37% des Français).

«Ce sont les deux mamelles idéologiques du FN depuis qu’il a émergé sur la scène politique: la peur de l’islam et l’insécurité, en général liées dans la rhétorique frontiste», souligne Sylvain Crépon.

«Un argument probablement plus facile à évoquer»

Dès lors, comment expliquer que certains élus locaux du PS aient cru –apparemment de bonne foi– que la question du mariage pour tous avait joué en leur défaveur lors des élections? Selon Jean-Daniel Lévy, il est possible qu'ils aient surestimé l'impact de cet enjeu au moment de leur campagne car les personnes qui leur étaient hostiles sur le terrain les interpellaient plus facilement sur ce sujet que sur celui des étrangers ou de l'immigration:

«L'argument du mariage pour tous était probablement le plus facile à évoquer au contact des élus.»

D’après Sylvain Crépon, une vague de mobilisations militantes n’entraine pas nécessairement un mouvement électoral qui lui correspond. Il faudrait même s’attendre à ce que le mariage pour tous fasse consensus à l’avenir, y compris à droite. «Comme le Pacs, c’est une question qui est passée dans les mœurs, avance le sociologue. Dans dix ans, la droite ne remettra pas le mariage pour tous en cause, et même en 2017 elle aurait bien du mal à revenir dessus.»

Il est vrai que, parmi les électeurs du FN et de l’UMP, d’après les résultats du sondage, la génération des moins de 35 ans se déclare déjà majoritairement favorable au mariage pour tous: 57% des moins chez le FN et 64% chez l’UMP.

Les attitudes de l'électorat FN et UMP envers le mariage pour tous (Harris Interactive pour Balises).

L'étude réalisée par Harris Interactive pour Balises a été menée en ligne le 25 mai 2014, jour des élections européennes, auprès de 6.040 personnes âgées de 18 ans et plus. La méthode des quotas et un redressement ont été appliquées aux variables sexe, âge, CSP et région.

Cet article a été actualisé le 13 juillet 2014 à 12h30 suite à un échange avec @boris_tweets. Dans sa première version, l'article tendait en effet à laisser croire que les mobilisations anti-mariage pour tous n'avaient pu avoir aucun impact sur des situations locales lors des municipales. De plus, la présentation des citations de Patrick Mennucci et Sébastien Pietrasanta laissait croire que les deux élus étaient critiques du mariage pour tous, alors qu'ils ont voté en faveur de la mesure à l'Assemblée.

 

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