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Gaza-Israël, l’éternel recommencement

L’affrontement actuel entre le Hamas et Israël finira comme tous les autres. Et c’est le plus souhaitable.

Roquettes lancées depuis le nord de Gaza sur Israël, le 9 juillet 2014. REUTERS/Ronen Zvulun
Roquettes lancées depuis le nord de Gaza sur Israël, le 9 juillet 2014. REUTERS/Ronen Zvulun

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Tel-Aviv

Dans Le temps des décisions, récit de la carrière de chef de la diplomatie d’Hillary Clinton par elle-même, celle qui ne manquera sûrement pas de concourir une seconde fois à l’élection présidentielle américaine consacre un chapitre à sa négociation d’un cessez-le feu à Gaza. C’était il n’y a pas si longtemps—en 2012—lorsqu’Hillary Clinton a convaincu le président Obama que son truchement était nécessaire pour empêcher Israël de lancer une opération terrestre dans la bande de Gaza, après plusieurs jours de tirs de roquettes palestiniens et de représailles israéliennes aériennes et navales.

Tant de choses ont changé depuis ce cessez-le-feu: Hillary Clinton n’est plus secrétaire d’Etat. L’inquiétude d’Obama à l’idée que l’échec à mettre en place un cessez-le-feu «sape le prestige et la crédibilité de l’Amérique dans la région» n’a plus lieu d’être, vu que ce prestige a lui aussi disparu depuis un moment.

En Egypte, Mohamed Morsi et les frères musulmans, favorables au gouvernement du Hamas à Gaza, ont été renversés et le gouvernement égyptien actuel n’est pas proche du Hamas. Des pourparlers de paix israélo-palestiniens ont été tentés avant d’être réduits à néant. Le Fatah et le Hamas ont formé un gouvernement palestinien d’unité nationale, mais personne ne pense vraiment qu’il ait beaucoup de chances de survie. Netanyahu a été réélu, mais sa coalition n’est plus la même qu’en 2012.

Beaucoup de choses ont changé et pourtant, tout est pareil. Nous revoilà, pour la je ne sais combientième fois, de nouveau aux prises avec un cycle de violences douloureusement familier. Pendant que vous lisez cet article, les Palestinien tirent des roquettes sur Israël qui répond par des bombardements aériens et navals. Les Israéliens se réfugient dans leurs abris tandis que que hurlent les sirènes, et les Palestiniens de Gaza meurent toujours plus nombreux. Israël menace d’y adjoindre une opération terrestre, et le Hamas promet d’ouvrir «les portes de l’enfer» devant Israël.

Ce que le Hamas pense pouvoir réussir à faire est un mystère. La comparaison peut sembler un brin condescendante, mais il ressemble à un sale môme qui passe son temps à ramasser des bâtons pour chercher des noises à un adulte bien plus fort que lui. Certes, recevoir des coups de bâton fait mal, même à un adulte, ce dernier est donc obligé de sévir. Au bout d’un moment, il doit punir cet agaçant marmot. Mais il le fait sans conviction. La bataille est répétitive, ennuyeuse, prévisible.

Lorsqu’il y a une semaine les roquettes ont recommencé à pleuvoir sur Israël, le gouvernement a réagi comme tout adulte se doit de le faire. Il est resté calme, il ne s’est pas précipité, a envoyé des messages au Hamas et a attendu que ses responsables changent d’avis, acceptant de ne pas déclencher de représailles et de laisser le Hamas avoir le dernier mot du moment qu’il le faisait au plus vite. 

Les experts du gouvernement affirmaient alors que le Hamas, ayant perdu ses appuis à Téhéran, à Damas et au Caire, se retrouvait affaibli et ne pouvait vraiment pas vouloir se mettre dans une situation encore plus difficile en s’engageant dans une longue bataille avec la bien plus forte armée israélienne. 

Pourtant, le Hamas n’en démord pas. C’est un nouveau cycle de violences interminables qu’il veut. Demandez aux experts aujourd’hui, vous obtiendrez la même réponse qu’il y a cinq jours, dans l’autre sens: le Hamas est affaibli, et n’a pas d’autre choix que de chercher les ennuis pour se faire remarquer.

Tant de choses ont changé, et pourtant tout est si semblable. Le cessez-le-feu d’Hillary Clinton a duré moins de deux ans. C’est la durée moyenne des cycles à Gaza: l’opération israélienne «Plomb durci» de 2008–2009 a été suivie d’une période de calme relatif (et naturellement, l’expression «calme relatif» est elle aussi toute relative. 

En 2008, plus de 3.000 roquettes ont été tirées depuis Gaza, chiffre qui en 2010 est tombé à 231—ce qui reste tout de même une moyenne de plus d’une roquette tous les deux jours). Après l’opération de 2012, 2013 a été l’année la plus tranquille en 15 ans, avec seulement 41 roquettes. Lorsque le conflit de 2012 s’est achevé, écrit Hilary Clinton dans son livre, «les perspectives étaient plutôt de bon augure pour Israël.» 

Pourtant, «des milliers de Palestiniens se sont réjouis» s’étonne-t-elle. À Gaza, le Hamas a fait en sorte que la guerre puisse être considérée comme la paix et la défaite comme une victoire. Aujourd’hui déjà, le nombre de victimes à Gaza dépasse de loin celui des Israéliens blessés. C’est exactement ce qu’attend le Hamas et ce dont il fait ses choux gras. D’un point de vue israélien, c’est incompréhensible.

La bande de Gaza, zone densément peuplée, extrêmement radicalisée et d’une grande pauvreté, est un casse-tête compliqué qui, espérons-le, sera résolu un jour par les Palestiniens eux-mêmes, ou lorsque quelque chose de plus grande ampleur qu’un accrochage local l’obligera à changer. Mais pour l’instant j’ai peu d’espoir.

En relisant tous les articles que j’ai déjà écrits pour Slate sur le conflit de Gaza, j’ai constaté sans surprise que le manque d’espoir de changement est un thème récurrent. Pardonnez-moi de me plaindre, mais écrire sur Gaza sans ennuyer les lecteurs est en train de devenir un incommensurable défi.

Voici un article de 2008, datant de l’époque de l’opération Plomb durci:

Quiconque imagine que cela sera le dernier round se fait des idées. Quiconque espère que le règne du Hamas à Gaza n’est plus qu’une question de jours n’est pas réaliste. Seuls ceux qui pensent que le Hamas va apprendre une leçon qui le rendra moins susceptible d’autoriser le bombardement de citoyens israéliens—tout en maintenant son pouvoir et sa capacité à provoquer des problèmes selon son bon vouloir—ont peut-être raison.

Et voici ce paragraphe tel que je pourrais l’écrire aujourd’hui:

Quiconque imagine que cela sera le dernier round se fait des idées. Quiconque espère que le règne du Hamas à Gaza n’est plus qu’une question de jours n’est pas réaliste—et ferait mieux d’y réfléchir à deux fois avant d’entretenir de tels espoirs. Seuls ceux qui pensent que le Hamas va apprendre une leçon qui le rendra moins susceptible d’autoriser le bombardement de citoyens israéliens—tout en maintenant son pouvoir et sa capacité à provoquer des problèmes selon son bon vouloir—ont peut-être raison.

On note donc un changement remarquablement ténu—un petit pas vers encore moins d’espoir de changement: Israël n’est peut-être pas capable de comprendre totalement les raisons qui motivent le comportement du Hamas, mais préfère tout de même cette déraison à d’autres alternatives. Il n’espère plus la chute du Hamas, comme c’était le cas en 2008.

Cela s’explique par le fait que les objectifs d’Israël n’ont absolument rien de mystérieux. Cela fait longtemps que le pays a abandonné toute pensée optimiste vis-à-vis de ses voisins. Il est bien conscient que Gaza ne va nulle part, et le Hamas non plus. Alors à quoi espère-t-il aboutir? Il veut affaiblir la force militaire du Hamas. Il veut définitivement que le Hamas ait moins de roquettes, et si une opération terrestre doit être lancée dans les jours à venir, la mission de nombreuses troupes sera de viser les stocks de munitions bien cachés au milieu de la population civile si dense de Gaza. 

Israël veut que le Hamas soit moins arrogant, mais il ne va probablement pas placer la barre plus haut que cela. Il est fort peu probable qu’il souhaite la disparition totale du Hamas. Même si le prix à payer est un cycle de violences modérées de temps en temps. Parce que le Hamas, aussi incohérent et violent soit-il, est la seule force qui accepte de diriger cette lamentable région. 

C’est actuellement la seule force qui empêche Gaza de sombrer totalement dans le chaos. Et le chaos, comme les récents événements au Moyen-Orient ne cessent de nous le rappeler, est encore pire que la tyrannie. Alors je vous donne rendez-vous dans deux ans à peu près, pour la même chronique.

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