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Allemagne–Brésil, ou quand le football se transforme en lente agonie télévisée

Une supportrice du Brésil après la défaite de son pays face à l'Allemagne. REUTERS/Jorge Silva.
Une supportrice du Brésil après la défaite de son pays face à l'Allemagne. REUTERS/Jorge Silva.

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Et puis soudain, ce ne fut plus du football mais une lente agonie télévisée. Férues de ce sport ou pas, les centaines de millions de personnes qui ont assisté à cette demi-finale Brésil-Allemagne du 8 juillet 2014 ont vécu l’équivalent d’une torture avec mise à mort.

Il est une vieille antienne qui veut que les stades offrent –sous d’autres formes– le vieux spectacle de la guerre. Elle était de nouveau bonne pour le service. Dans la soirée de ce 8 juillet, il aura suffi de voir comment on peut, en six minutes et devant le monde entier, assassiner le rêve d’un pays. Et ce qui ne peut pas être un hasard veut que ce soit l’Allemagne et que ce soit le Brésil. Et bien avant la fin, ce fut l’Allemagne qui gagna. Du moins si l’on peut parler de gagner contre un fantôme.

Tout, déjà, a été décortiqué à merveille. Les gestes ont été filmés, soupesés, radiographiés. On peut le voir avec notre description analytique des six minutes où tout a basculé ou notre litanie de records montrant qu'il n'y a pas d'équivalent à ce qu'il s'est passé mardi dans l'histoire de la Coupe du monde.

Ce qui s'en rapproche le plus pour le Brésil, c'est sûrement la défaite en finale en 1950 face à l'Uruguay –mais c'était par un but d'écart. Dans le football international en général, sans doute les deux victoires 6-3 et 7-1, à six mois d'écart, de la grande Hongrie contre cette Angleterre qui avait inventé le football, en 1953-1954 –mais il s'agissait de matchs amicaux.

«Dans sa portée historique et l'empreinte qu'il va laisser sur les esprits, on peut comparer les 6 minutes 41 de folie de Brésil-Allemagne au miracle d'Istanbul, cette finale de Ligue des Champions de 2005 au cours de laquelle Liverpool, emmené par un Steven Gerrard au sommet de son art, avait marqué trois buts en six minutes pour revenir à égalité avec le Milan AC avant de s'imposer aux tirs au but», écrit Grégoire Fleurot. Dans sa portée historique, sans doute. Mais dans le champ de la psychologie des foules? Dans le champ de la sociologie et de l’idéologie du sport?[1] Dans le champ politique et diplomatique?

Le «trou noir» est l’une des métaphores qui, ici, aident à saisir ce qui ne peut être compris. Il y a encore celle du naufrage, à commencer par celui du Titanic. Mais le Brésil n’était pas bâti comme l’était cette forteresse et l’Allemagne, quoi qu’on pense d’elle par ailleurs, n’est en rien un iceberg.

Et si naufrage il y eut, c’était un naufrage annoncé. La fêlure était connue. Elle était vertébrale, encore sanglante et concernait un ange: Neymar, salement fauché par un diable colombien. La fracture lombaire de Neymar da Silva Santos Júnior sera cicatrisée bien avant que son équipe nationale ne tienne à nouveau debout.

Ce «trou noir» laissa entrevoir bien des abymes. Les commentateurs brésiliens, nous dit-on, restèrent sans voix. Leurs confrères français, moins touchés, tentèrent en vain de s’adapter. Comment parler de football quand on n’assiste plus à un match? Dire, comme le firent certains «consultants», que le Brésil «n’avait pas le niveau», avait alors des accents insultants. C’était surtout idiot.

On nous apprit aussi sur TF1 (pour s’en moquer) que l’équipe du Brésil avait fait appel, durant une semaine, à une psychologue. Il s’agissait de tenter de pallier l’absence de son ange.

Par un étrange effet  de translation-compassion, ceux qui étaient en charge de commenter ce qui devenait une mise à mort commencèrent à parler de «ce que devait penser Neymar de tout cela». Non plus le spectacle offert de l’agonie collective offert à chacun d’entre nous mais un autre spectacle, invisible et fantasmé: celui de l’agonie au carré.

Comment le Brésil se relèvera-t-il de ce deuil plus que national? Tout a été dit du poids identitaire du football et de l’état économique de ce pays, un pays accusé à l’avance de ne pas être capable de construire à temps les stades du Mondial. Les stades sont là.

Des grèves perturberaient l’ordonnancement du spectacle. Le spectacle est là. Le Brésil serait d’une façon ou d’une autre en finale. Il n’y sera pas. Et pour son malheur, l’agonie 2014 n’est pas finie. Il lui reste peut-être à boire la lie –celle que constituerait une victoire, dimanche au Maracana, du rival historique argentin.

1 — Pour les amateurs: L’idéologie sportive. Chiens de garde, courtisans et idiots utiles du sport (Quel sport?/Éditions l’Echappée). Retourner à l'article

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