France / Économie

Le salariat français malade de la division syndicale

Le contraste entre la division des représentants des salariés et la solidarité dont sait faire preuve le patronat est pour le moins frappante.

<a href="https://www.flickr.com/photos/laszlo-photo/1812013437/">Death of a Light Bulb</a> / Laszlo Ilyes via FlickrCC <a href="https://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">License by</a>
Death of a Light Bulb / Laszlo Ilyes via FlickrCC License by

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Le «dialogue social», si prisé par François Hollande, est en un piteux état en France. Il est vrai qu'il suppose des «partenaires», si ce n'est en forme olympique, au moins en bon état de marche. Or la partie syndicale fait ici terriblement défaut. Elle conjugue malheureusement émiettement et faiblesse: huit organisations nationales qui ne syndicalisent, au total, que 8% des salariés.

S'il est ô combien compréhensible au regard de l'histoire, le morcellement du syndicalisme français n'en demeure pas moins un handicap majeur pour le salariat –tout comme pour le dialogue social. Non seulement il expose chaque organisation à la tentation de la surenchère, mais il permet de greffer sur leur concurrence les poisons du corporatisme.

Le contraste entre la division des représentants des salariés et la solidarité dont sait faire preuve le patronat est pour le moins frappante. Partagé entre des secteurs hétérogènes mais aussi entre petits et grands chefs d'entreprises, celui-ci est encore plus divers que le salariat. Il n'en parvient pas moins à faire parler d'une même voix ses organisations pour défendre ses intérêts auprès des pouvoirs publics. Et avec succès.

En face, les syndicats, que l'on appelait encore il y a peu «ouvriers», sont empêtrés par mille et une divisions. Non seulement ils ne s'entendent pas, mais ils ne sont même pas capables de se regrouper par affinités.

L'impossible couple CGT-CFDT

Qu'on le veuille on non, les récentes grandes périodes d'avancées sociales sont corrélées avec l'unité d'action des deux principales confédérations, la CGT et la  CFDT. Issue de la matrice communiste pour la première, héritée de la tradition catholique pour la seconde, ces deux organisations dominent le paysage syndical français depuis des décennies.

Le déclin cégétiste et la montée en puissance cédétiste font qu'elles sont aujourd'hui «au coude-à-coude», selon l'expression de Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT. Celle-ci a un peu plus d'adhérents mais un peu moins de votants que le CGT aux élections professionnelles. La CFDT est mieux implantée dans le secteur privé que sa concurrente, mais moins bien dans le secteur public.

Les deux confédérations, qui ont une longue expérience de l'unité d'action depuis les années 1970, savent tout le profit qu'elles ont à s'entendre. Elles se sont retrouvées, pour la dernière fois, sous l'ère de Nicolas Sarkozy, dans la bataille contre sa réforme des retraites. Une belle bagarre, mais qui s'est soldée par une défaite. La convergence CGT-CFDT n'y a pas résisté.

En 2013, le «syndicalisme rassemblé» est devenu le produit dérivé d'une unité d'action qui n'arrivait pas à se produire. Il a donné lieu à une déclaration commune contre les dangers du «populisme»... Mais les désaccords de fond ont tout emporté.

La CGT et la CFDT s'inscrivent dans des visions de l'économie et de la société par trop antagonistes. La profonde évolution, et si souvent sous-estimée, vécue par la première ne l'empêche pas de demeurer fidèle à une vision conflictuelle de la réalité sociale. Quant à la seconde, sa longue mutation depuis l'organisation autogestionnaire qu'elle fut dans les années 1970 l'a conduit à un pragmatisme respectueux des rapports de forces les moins favorables.

Les deux principaux syndicats français campent ainsi sur des positions éminemment contradictoires. La CGT combat avec ardeur la politique d'un gouvernement particulièrement attentif aux complaintes patronales. La CFDT tente désespérement de s'inscrire dans des choix de politique publique très douloureux effectués au nom de l'emploi. L'une dénonce le «pacte de responsabilité», l'autre l'approuve.

La «conférence sociale» a spectaculairement manifesté l'opposition des deux organisations, l'une jouant les bons élèves, l'autre les mauvais. Ce faisant, elles additionnent leurs impuissances. La CGT a beau s'égosiller, elle sait ne pas être en état d'imposer un rapport de forces générateur de succès. Pour sa part, la CFDT est mal payée en retour de sa complaisance. Le pouvoir rose pâle n'hésite pas à l'humilier en repoussant l'application des mesures de pénibilité durement négociées par cette organisation lors de la dernière réforme des retraites.

Pire, cette opposition accentuée risque fort d'être dommageable à ces deux confédérations. Traversée de contradictions diverses, qui sont au demeurant loin d'être toutes idéologiques, la CGT s'expose à un raidissement identitaire qui ruinerait ses effort louables pour conquérir de nouveaux terrains, dans le secteur privé ou les petites entreprises. Menacée d'être perçue comme un syndical officiel, la CFDT pourrait payer le prix qu'elle a dû acquitter pour son soutien au gouvernement Mauroy dans les années 1980 ou encore à la réforme des retraites en 2003.

Deux pôles en pointillé

A défaut de pouvoir s'entendre, les deux principales confédérations pourraient oeuvrer à la simplification du paysage syndical. Là encore, la déception est au rendez-vous.

Grossièrement, les organisations existantes pourraient être regroupées en deux pôles. Un camp «revendicatif» rassemblerait la CGT, la FSU (voire, mais c'est plus compliqué, FO et Solidaires). Un camp «réformiste» regrouperait la CFDT, l'Unsa et la CFTC.

Sauf que cela n'avance pas vite du tout. Engagé depuis 2009, le rapprochement entre la CGT et la FSU progresse à tous petits pas. L'organisation enseignante reste attachée à son «syndicalisme de métier» tandis que la centrale ouvrière craint pour ses délicats équilibres internes. De son côté, FO veille d'autant plus jalousement à son isolement qu'elle se sait plus que menacée par le déclin. Quant à Solidaires, l'idée même de rapprochement se heurte à la posture plutôt extrémiste qui est la sienne.

Côté «réformistes», les choses ne sont guère plus simples. L'échec de la fusion entre la CGC et l'Unsa en a douché plus d'un. Le rapprochement entre la CFDT et l'Unsa n'a pas l'air d'être plus rapide qu'entre la CGT et la FSU. La fusion organisationnelle est même exclue selon Laurent Berger pour qui «en matière syndicale, un plus un ne font jamais deux». Il a l'air de croire que le résultat serait inférieur. On peut avoir le sentiment inverse, tant il est plus aisé de se syndiquer dans un paysage simplifié.

En réalité, le syndicalisme français semble prisonnier de logiques de boutiques accentuées par tout un système de reconnaissances et d'aides. Sur le terrain, quelle que soit leur étiquette, les syndicalistes ne se comportent pourtant pas si différemment les uns des autres. Comme beaucoup de guerres, les disputes syndicales viennent surtout du haut.

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