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Gaby Heinze et les traîtres du football

Les notions d'amour du maillot et de fidélité à un club sont-elles devenues obsolètes?

Temps de lecture: 4 minutes

«Le PSG restera toujours le club de mon cœur. J'ai vécu une histoire d'amour avec Paris et ses supporteurs.» On peut presque deviner la voix tremblante d'émotion du défenseur Argentin Gabriel Heinze lorsqu'il évoquait, en 2005, son passage dans la capitale française. Il y a tout juste un an, il confirmait son attachement: «En France, je ne peux jouer qu'au PSG!» Le même Heinze paraphait jeudi 30 juillet un contrat de trois saisons avec... l'Olympique de Marseille, ennemi juré du club parisien. Cet épisode, qui a de quoi dégouter ceux qui croient encore au romantisme dans le sport -et qui plus est le football, n'a pourtant rien d'inhabituel. Car en football aussi, les histoires d'amour finissent mal, en général.

On peut se demander ce qui pousse un joueur adulé par tout un peuple de supporteurs à franchir la ligne rouge et se retrouver dans la peau d'un Judas honni et impardonnable. Le football a beau être un sport collectif, il est propice à l'idolâtrie individuelle comme peut-être aucun autre sport. Maradona a atteint le statut de demi-dieu dans son Argentine natale et à Naples, où il posa un temps ses valises. A Manchester, le «King» Eric Cantona a fait chanter la marseillaise et flotter le drapeau français dans les travées alors prolétaires d'Old Trafford. Et cet été, quelques 80 000 madrilènes se sont déplacés au stade, non pas pour assister à un match mais pour accueillir une nouvelle recrue, le ballon d'or Cristiano Ronaldo.

Mais cette adoration est à double tranchant: les supporteurs de football, qui sont rarement salués pour leur raffinement ou leur tolérance, réservent leurs insultes les plus fleuries aux joueurs qui trahissent leur club en passant chez l'ennemi juré. Une constante: plus le joueur a été adulé dans le premier club, plus il sera haï après sa trahison.

Romantisme

Car le supporteur est aussi un romantique. S'il fait encore plus de bruit pour huer un traître que pour applaudir les exploits de son équipe, c'est qu'il croit encore à la notion plus ou moins palpable d'«amour du maillot», souvent évoquée quand un joueur emblématique prolonge son contrat dans son club de cœur. Les fans y voient l'une des dernières raisons de croire que le foot, sport qui attire les investisseurs étrangers, où des joueurs «mercenaires» font le tour de l'Europe et même du Moyen-Orient à la recherche du meilleur contrat et où les stades sont devenus trop chers pour beaucoup, n'est pas encore devenu un business comme un autre.

Alors pourquoi les joueurs trahissent-ils leur club de cœur si souvent? La vénalité des footballeurs est souvent stigmatisée. En Espagne, la plus grosse trahison des dix dernières années fut celle de Luis Figo, idole du FC Barcelone qui signa pour le Real Madrid, deux clubs dont la rivalité, qui dépasse largement le cadre du football, n'a pas d'équivalent en Europe. Le salaire mirobolant offert par le Real à Figo lui vaudra le surnom de «pesetero», ou chasseur de pesetas, et une flopée de projectiles, dont une tête de cochon, lancée par des supporteurs barcelonais lors de son retour au Camp Nou.

Dans d'autres cas, il s'agit simplement de la loi de l'offre et de la demande. Heinze par exemple, qui n'était pas en odeur de sainteté au Real Madrid, s'est retrouvé devant un choix simple: rester en Espagne pour jouer les seconds rôles ou partir pour Marseille, un club qui lui promettait un rôle clé pour les trois saisons à venir. Il ne peut pas être taxé d'avoir choisi par cupidité: son salaire marseillais sera bien inférieur aux 4,2 millions d'euros net qu'il touchait annuellement à Madrid. L'intérêt du joueur -il n'a pas non plus trahi par pur plaisir- est ailleurs: il aura plus de chances d'être sélectionné par l'équipe d'Argentine pour la Coupe du Monde en juin prochain s'il joue tous les weekends à l'OM que s'il est remplaçant à Madrid, n'en déplaise aux fans du PSG.

Choix étonnants

D'autres raisons, encore moins romantiques, peuvent pousser les footballeurs à faire des choix étonnants. Les transferts de joueurs ne répondent parfois à aucune logique sportive, et ne rentrent pas dans l'intérêt du joueur mais plutôt de son ou de ses agents. Quand on sait que la loi permet à ces derniers de toucher jusqu'à 10% du montant du «contrat conclu», et que les commissions illégales sont monnaie courante dans la profession, on comprend mieux pourquoi certains ont intérêt à ce que les footballeurs fassent leurs valises régulièrement, sans porter grande attention aux susceptibilités des fans.

Tout mettre sur le dos des footballeurs, comme l'a fait José Anigo, directeur sportif de l'OM, pour justifier le recrutement de Heinze en déclarant que «les joueurs sont surtout attachés à l'endroit où ils gagneront un peu plus d'argent», est donc un peu facile. D'autant que, à l'image des agents, certains cadres sportifs de clubs touchent également de l'argent sur les transferts. Alors, si rien ne peut empêcher un joueur voulant rester dans son club et désiré par son entraîneur de rester, le footballeur n'est pas le seul maître de son destin.

Heureusement, la trahison n'est pas la règle partout. Gary Neville, Paul Scholes, Ryan Giggs: ces trois joueurs ont en commun d'avoir grandi dans la région de Manchester, d'être passés par le centre de formation de Manchester United, d'y avoir signé leur premier contrat professionnel au début des années 1990 et d'y évoluer aujourd'hui encore après avoir aidé le club à dominer le football européen pendant 15 ans. «Ce qui m'a frappé depuis mon arrivée à Manchester United est le fait d'être à la fois dans un si grand club et dans une grande famille» déclarait le français Patrice Evra à propos de son expérience britannique.

La fidélité et l'attachement au club n'appartiennent pas encore à un passé lointain et nostalgique. La survie de ces valeurs repose sur des clubs comme le FC Barcelone ou Bordeaux et Auxerre en France, dont la gestion est saine et transparente et où existe une certaine stabilité, et des personnalités extraordinaires, à l'image de Sir Alex Ferguson ou du néo-retraité Paolo Maldini, footballeur modèle et légende vivante du Milan AC.

Grégoire Fleurot

(Image: Gaby Heinze contre Barcelone en mai 2009, REUTERS/Juan Medina)

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