France

Patricia Simon et Claire Thépaut, «juges rouges» ou juges indépendantes?

Nicolas Sarkozy, le 25 juin 2014. REUTERS/Gonzalo Fuentes
Nicolas Sarkozy, le 25 juin 2014. REUTERS/Gonzalo Fuentes

Temps de lecture: 4 minutes - Repéré sur Valeurs Actuelles

Ça lui pendait au nez depuis un bon moment. Alors que Nicolas Sarkozy était empêtré dans des dossiers judiciaires qui s'accumulaient, des enquêtes tournant autour de lui, et qu'il avait bénéficié d'un non-lieu dans l'affaire Bettencourt alors que l'instruction du juge Gentil ne laissait pas deviner une issue aussi favorable, l'ancien président de la République a été placé en garde à vue mardi 1er juillet (une première) et mis en examen mercredi pour corruption active, trafic d’influence et recel de violation du secret professionnel.

La mise en examen de Nicolas Sarkozy est l’aboutissement d’écoutes téléphoniques dans le cadre d’une autre affaire le visant, le financement libyen supposé de sa campagne de 2007, et de l’enquête des deux juges du pôle financier, Patricia Simon et Claire Thépaut, qui n’ont pas hésité à perquisitionner le bureau d'un magistrat à la Cour de cassation dans le cadre de leurs investigations.

Les faits portent sur un réseau d’informateurs soupçonnés d'avoir mis Nicolas Sarkozy au courant de l’avancement des dossiers judiciaires dans lesquels il est impliqué par l'intermédiaire de son avocat Thierry Herzog. Le magistrat de la Cour de cassation Gilbert Azibert est soupçonné d'être la taupe: il aurait révélé à l'avocat de Nicolas Sarkozy des éléments d'un dossier de la Cour concernant l'affaire Bettencourt en échange d'un poste à Monaco (Gilbert Azibert et Thierry Herzog ont également été mis en examen mardi soir).

Depuis la nouvelle de la garde à vue de l’ancien président, ses soutiens à droite crient à l’acharnement et questionnent l’impartialité des deux juges. Le Figaro se demande si «Nicolas Sarkozy [ne serait pas] victime d'un acharnement judiciaire, d'une vindicte personnelle de certains magistrats, voire d'un corporatisme quelconque». Le Fig cite le bâtonnier de Paris Pierre-Olivier Sur, qui critique les conditions des gardes à vue dans cette affaire:

«Nous ne sommes pas loin du cadre d'un crime de sang, d'une affaire de terrorisme ou de corruption à l'échelle internationale! Procéder à de telles gardes à vue pour violation du secret de l'instruction, cela crée un énorme précédent.»

Le journal parle par ailleurs de deux juges «bunkérisées» à propos de Patricia Simon et Claire Thépaut. Deux magistrates qui ont déjà travaillé sur des affaires impliquant des personnalités de droite.

Au tribunal de Nanterre, la juge Patricia Simon s’est indirectement frottée à la Sarkozie dans le cadre d’une instruction sur les marchés truqués de l’informatisation des collègues des Hauts-de-Seine, département dirigé successivement par Charles Pasqua jusqu’en 2004 puis par Nicolas Sarkozy jusqu’en 2007. En mai 2014, Isabelle Balkany a été mise en examen pour blanchiment de fraude fiscale dans le cadre d'une instruction menée par la juge et Renaud Van Ruymbeke.

Mais c’est Claire Thépaut, l’autre juge, qui concentre les foudres de la droite. «Une juge clairement politisée» se plaît à répéter l'entourage de Sarkozy. La juge a été membre du syndicat de la magistrature (SM), classé à gauche et dont les relations avec la droite sont exécrable,s notamment depuis la révélation de l'existence d'un «Mur des cons» dans les locaux du syndicat, où étaient affichées les photos de personnalités de droite.

Autre magazine de droite indigné, Valeurs actuelles frôle la paranoïa dans un article sur le parcours des deux juges, voyant dans l’activité débordante de la justice autour de Sarkozy la main du gouvernement et la volonté de la gauche de tout faire pour empêcher Sarkozy de revenir en 2017.

«Le feuilleton est bien orchestré depuis l’élection de François Hollande. Chaque fois que Nicolas Sarkozy envoie un signal laissant croire qu’il peut ou qu’il va revenir, l’histoire se répète: l’ancien président est mis en cause dans une affaire judiciaire dans laquelle il est suspecté d’avoir tenu un rôle majeur.»

Pour le magazine, Claire Thépaut est «la juge qui veut “se payer” Sarkozy». Elle serait «une ennemie personnelle de Nicolas Sarkozy» selon Jean-Jérôme Bertolus, journaliste politique à iTélé. Propos repris dans VA qui rappelle que le SM avait publié une tribune en 2012 appelant à voter contre Nicolas Sarkozy au second tour de la présidentielle.

Le magazine lui reproche une interview dans Mediapart le 8 mai 2012, dans le cadre d’un article sur l’espoir de changement dans la justice après l’élection de François Hollande. Elle était à l’époque juge d’instruction au tribunal de Bobigny. Dans cet article, elle se plaignait surtout du manque de moyen de la justice, et affirmait:

«Etre taxés de juges rouges quand on ne fait qu'appliquer les textes de loi, ce n'est pas normal [...] Certains ont voulu nous opposer aux policiers, alors qu'ils sont performants et qu'ils travaillent dans des conditions difficiles. Eh bien il faut maintenant que la justice retrouve son rang face au ministère de l'Intérieur, et que la séparation des pouvoirs soit enfin respectée.»

Même tonalité dans les tweets du journaliste de iTélé Michaël Darmon:

Tout en expliquant que les deux juges prennent leurs décisions seules, le journaliste d’investigation du Monde Gérard Davet interrogé par BFM estime qu’«on ne peut pas crier à l’acharnement d’une personne vis-à-vis d’une autre» et qu’il s’agit d’«un fonctionnement normal de la justice».

Il ne fait pas mystère que Nicolas Sarkozy et les positions qu'il incarne lui valent depuis toujours l'opposition, pour ne pas dire l'absolu mépris, d'«une certaine magistrature», comme la qualifie joliment le Figaro.

Il paraît tout aussi clair que détourner l'attention du fond des dossiers pour s'en tenir à une explication politique de l'affaire est un système de défense qui ne trompe pas grand monde.

Claire Thépaut a été membre du syndicat de la magistrature mais ne l'a pas dirigé, contrairement à ce qu'affirmait une première version de cet article.

 

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