Économie / France

La politique française, victime de l'immédiateté

Comme bien d'autres avant lui, le rapport de Jean Pisani-Ferry sur «La France dans dix ans» risque fort de rester lettre morte. La raison? Chez nous, le temps de la politique n'est plus celui du long terme.

Londres, mai 2005. REUTERS/Toby Melville
Londres, mai 2005. REUTERS/Toby Melville

Temps de lecture: 3 minutes

Et maintenant? Jean Pisani-Ferry, président de France Stratégie, vient de remettre un très réfléchi rapport sur «La France dans dix ans» au président de la République. François Hollande devrait dire dans quelques jours ce qu'il en fait. On devine la suite: des éloges, le lancement de «chantiers d'approfondissement», quelques cabinets de ministre recevront le «stratège» de la France avec photos... et puis rien.

 
 

En Chine, le rapport aurait donné lieu à mille débats internes au Parti communiste. Revu, complété, détaillé, il serait peu à peu remonté jusqu'à devenir l'objet de très longues réunions du comité central, puis du bureau politique, puis du comité permanent du bureau politique, où les «sept empereurs», argumentant chacun, se seraient finalement mis d'accord. En serait sorti un plan politique et administratif précis. Ce plan serait mis en oeuvre. Et «la Chine dans dix ans» prendrait réalité.

Malheureusement, la France n'est pas la Chine

Mais la France n'est pas la Chine. La différence est que la classe politique française se fiche du long terme; dix ans, c'est deux quinquennats, une éternité. La démocratie ne sait plus préparer le long terme.

La différence est que les «sept empereurs» sont arrivés là au bout d'un remarquable processus de sélection de leur intelligence et de leur expérience. En France, les ministres sont des incompétents, pour la plupart, nommés parce qu'ils ont su raconter des blagues à des électeurs crédules. En France, «on élit un père Noël tous les cinq ans», avant de comprendre au bout de deux ans que sa hotte est vide, dit l'économiste Christian Saint-Etienne. En France, le Commissariat au Plan a été supprimé dans les années 1980, mais n'a jamais manqué ensuite de velléités de refonte. S'il s'appelle aujourd'hui «France Stratégie», c'est par antithèse.

En France, il existe encore des intellectuels qui essaient de penser le monde. Quelques think tanks, dotés de maigres moyens, font de sérieuses propositions. Beaucoup d'économistes, de sociologues, d'historiens travaillent avec une ouverture internationale et produisent des analyses nouvelles et riches. Ils en font des livres et des rapports. Les meilleurs obtiennent une réputation à l'étranger, comme le prouve le succès aux Etats-Unis des thèses de Thomas Piketty sur les inégalités ou l'écoute qu'obtient Esther Duflo sur la pauvreté partout sur la planète, sauf en France.

En France, on a écouté une autre Duflot, ministre totalement irresponsable, qui a coulé le bâtiment et coûté 0,4% de croissance à la France, dixit l'Insee. En Chine, elle serait en prison. En France, la classe politique ignore les think tanks et leurs idées. Tout juste, trois mois avant l'élection, les candidats accourent-ils pour piquer à la va-vite deux chiffres et quatre promesses d'action. La pensée n'a plus d'intérêt qu'électoral.

On aurait dû faire confiance à Duflo au lieu d'écouter Duflot

 

Ainsi va la France depuis trente ans.

La voilà, avec une croissance vide et une angoisse de l'avenir. L'état des lieux dressé par le stratège Pisani-Ferry est sans appel. Comparée à seize pays d'un semblable niveau de vie depuis 2000, la France «décroche de 6%». La cause en est la productivité stagnante, ce qui tue le sentiment rassurant du «on travaille moins mais mieux que les autres». Le score de notre système éducatif est passé en dessous de la moyenne depuis 2006. Notre dépense en recherche et développement connaît le même recul au fond de la classe. Le commerce extérieur est honteux, c'est connu. Notre dépense publique est supérieure à la moyenne, c'est aussi coûteusement connu. Moins connu: notre «performance sociale» (indicateur des Nations unies) s'est sensiblement améliorée. C'est ce qui explique le paradoxe: individuellement, les Français ne sont pas malheureux mais, collectivement, ils ne croient plus à l'avenir. Socialement, ça va encore, sauf pour les chômeurs; économiquement, la France est au plus mal.

En clair, le diagnostic est exactement contraire au sentiment national. «Français vous vivez bien mais vous travaillez trop peu, trop cher et de plus en plus mal.» Nos concitoyens ont l'impression inverse de ne pas arrêter de faire des efforts, mais d'en récolter de moins en moins, de ne pas être payés en retour. Comment leur remettre la tête à l'endroit?

Le stratège Pisani-Ferry donne une réponse psychologique: redonner confiance. Les Français ne savent plus où ils en sont. Que conserver, que changer? Beaucoup s'interrogent même sur la croissance, pourquoi y sacrifier si elle n'apporte pas le bonheur? Face à la mutation du monde, les Français ont d'abord besoin de comprendre le sens des réformes, ils manquent de repères. Le rapport en donne 33 (chiffre médical, «dites trente-trois»), dont le premier, qui résume:

«Etre parmi les dix pays de l'OCDE où l'on vit le mieux.»

L'«inventaire raisonné» débouche sur une méthode du changement, partie la plus originale. Les réformes difficiles doivent être faites «par paquets», explique le rapport, et non plus pas à pas, pour paraître équitables, pour que, dans le temps, les bénéfices des unes compensent les coûts des autres. Il a manqué un tel «ordonnancement» intelligent.

Mais, dans la politique de l'immédiateté, du combat individuel des ego, dans le temps médiatique, sous le règne de l'émotion, il ne pouvait en être autrement. Le rapport réfléchi, riche, englobant, précis, discutable sûrement, tient en 210 pages avec des annexes.

Allez, parions: combien de ministres vont les lire ou même y consacrer plus de cinq minutes? Combien de députés et de sénateurs? Je parie: moins de un sur cent.

Article également publié dans Les Echos

 
cover
-
/
cover

Liste de lecture