France / Santé

Fin de vie: l’affaire Vincent Lambert va-t-elle devenir une affaire «Europe contre France»?

Le Conseil d’Etat dira le 24 juin s’il ordonne l’arrêt de l’alimentation de cet homme en état végétatif chronique. Si oui, sa décision pourrait être suspendue par la Cour européenne des droits de l’homme.

REUTERS/Ivan Alvarado
REUTERS/Ivan Alvarado

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On est loin d’en avoir fini avec l’affaire Vincent Lambert. Vendredi 20 juin, Remi Keller, rapporteur public, a présenté ses dernières conclusions dans cette affaire sans précédent en France. Devant le Conseil d’Etat statuant au contentieux en audience publique, il a demandé le rejet des demandes formulées notamment par les parents de cet homme de 38 ans, infirmier psychiatrique victime en 2008 d'un accident de la circulation qui l’a rendu tétraplégique et entièrement dépendant.

Demandée par le Conseil d’Etat une expertise médicale approfondie menée par trois experts a conclu que son état neurologique s’était aggravé et qu’il est désormais dans une situation, sans doute irréversible, d’ «état végétatif chronique».

Le long conflit opposant l’équipe hospitalière (qui souhaite arrêter les soins) et les parents (qui s’y refusent) a conduit le différend devant le Conseil d’Etat. Les parents font notamment valoir que leur fils n’est pas en situation de «fin de vie». La plus haute juridiction administrative rendra son jugement définitif le mardi 24 juin. 

Si elle suit les conclusions du rapporteur public, l’équipe médicale procèdera à l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation du Vincent Lambert, décision fondée sur la base d’un précédent jugement rendu par le Conseil d’Etat. Une procédure de sédation sera associée à cet arrêt qui devrait conduire à la mort du patient dans un délai difficile à préciser.

En avril 2013, l'équipe du service où est hospitalisé Vincent Lambert avait fait procéder à un arrêt de nutrition et d’alimentation, sur la base d’un avis collégial mais sans en informer les parents. Vincent Lambert avait alors survécu 31 jours avant que la justice administrative impose au CHU de Reims ne renoncer à ce protocole de fin de vie.

Mais les parents de Vincent Lambert ont annoncé dès la sortie de l'audience leur intention de saisir la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), saisine effectuée le jour même. C’est là un cas de figure sans précédent.

«La décision du Conseil d'Etat elle-même ne peut pas être suspendue par la CEDH. Mais si cette décision devait correspondre aux conclusions du rapporteur public, la CEDH pourrait enjoindre à l'Etat français, à titre de mesure d'urgence (article 39 du règlement intérieur de la Cour de Strasbourg), d'empêcher la décision du Dr Kariger, et la France serait obligée de s'exécuter (autrement dit d'interdire à l'hôpital d'arrêter le traitement)», a-t-on précisé à Slate.fr auprès de la plus haute juridiction administrative.

«Les articles 31, 32, 39 du règlement dit “Bruxelles 1” de la CEDH permettent à celle-ci d'ordonner des mesures provisoires dans des cas très exceptionnels afin de suspendre exécution de la décision nationale querellée», précise Evelyne Sire-Marin, vice-présidente du TGI de Paris, membre de la Ligue des droits de l'homme. C’est là une  mesure très exceptionnelle qui concerne surtout la suspension de l'expulsion des demandeurs d'asile. Il s'agit ici de maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder les droits dont la reconnaissance est demandée au juge du fond.» 

Cette demande d'urgence invoquerait une atteinte au «droit à la vie» prévu par l'article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme [1].

En pratique  dans les deux ou trois jours suivant la demande par les parents, un juge unique de la CEDH se prononcera. S'il retient l'existence d'un risque d'atteinte irréparable au droit à la vie, il adoptera la mesure provisoire. La requête serait ensuite examinée au fond par une formation collégiale  à moyen ou long terme. Une période durant laquelle Vincent Lambert continuerait à vivre au CHU de Reims.

On entrerait alors dans une nouvelle dimension juridique puisque la CEDH serait amenée à examiner les dispositions législatives françaises en matière de fin de vie. Et ce alors que le président de la République et le gouvernement viennent de confirmer leur intention de faire évoluer l’actuelle loi Leonetti de 2005, notamment pour mieux répondre aux attentes de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité et aux partisans du suicide médicalement assisté.

1 — Article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme:

1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

2. La mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire:

a. pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale;

b. pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue;

c. pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection

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