Sciences

La science a besoin d'hérétiques

Sept essais d'un très grand physicien sur la vie dans l'univers, allant de la recherche de la vie ailleurs à des réflexions sur les nouvelles technologies ou la théologie.

<a href="http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/04/Freeman_dyson.jpg/640px-Freeman_dyson.jpg">Freeman Dyson</a> / Monroem via Flickr <a href="http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/04/Freeman_dyson.jpg/640px-Freeman_dyson.jpg">CC</a>
Freeman Dyson / Monroem via Flickr CC

Temps de lecture: 6 minutes

La vie dans l'univers

Réflexions d'un physicien

de Freeman Dyson

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Ce sont sept essais très différents les uns des autres que nous propose Freeman Dyson, un des très grands physiciens du vingtième siècle, entre autres connu pour ses contributions fondamentales à la théorie quantique des champs. Ces essais sont issus de six conférences, données dans des universités américaines, et s’adressent à un public de non-spécialistes. D’une certaine manière, Dyson est, lui aussi, un «non-spécialiste» de la matière: il va aborder la biologie, la politique, la théologie, et la philosophie; la physique aussi, dans ses liens avec la vie, et c’est tant mieux, car c’est dans ce domaine que Dyson est le plus palpitant et, disons-le, le plus convaincant. On appréciera son enthousiasme et sa méthode habituelle: ne pas approuver ce qui est communément accepté et tenter d’être subversif. 

L’avenir des biotechnologies

Le premier chapitre explique, avec beaucoup d’optimisme, ce que seront peut-être les biotechnologies demain. En faisant le parallèle avec les ordinateurs (à leur création, nul n’imaginait qu’ils seraient terriblement nombreux et que les enfants les utiliseraient dès le plus jeune âge), Dyson explique que les biotechnologies seront finalement complètement acceptées du public, que les enfants joueront à séquencer et recombiner les génômes pour créer des êtres nouveaux, que ceux-ci pourront nous aider à mettre en place les technologies dont nous aurons besoin demain, à commencer par les nanotechnologies. C’est un chapitre réellement intéressant, faisant suite aux idées que Dyson a développé depuis plusieurs dizaines d’année, et exposées notamment dans Le Soleil, le Génome et Internet. Dans le second chapitre, Dyson résume un débat qu’il a eu à Davos: il devait défendre les technologies du futur (clonage, OGM,...), son contradicteur expliquant qu’au contraire il vaut mieux, dans de nombreux domaines, ne pas pousser l’étude de peur de dégâts irréversibles. Ça aurait pu être intéressant; hélas, la rhétorique est lourde[1], la présentation est de mauvaise foi, les arguments sont bien faibles, voire agaçants. Que Dyson soit fortement pour les OGM, c’est son droit; mais l’entendre affirmer que les OGM pourront apporter la prospérité et la fin de la servitude économique aux pays africains laisse pantois. C’est encore pire lorsque l’on découvre que l’Europe ne veut interdire les OGM que pour des raisons économiques (ce qui est sans doute en partie vraie) alors que le gentil président de l’Académie nationale des Sciences des États-Unis, lui, en soutenant les OGM, ne fait que soutenir les Africains (sans mentionner que ceux-ci doivent payer pour racheter chaque année les semences de plants stériles...).C’est d’autant plus dommage que le reste de la discussion, par ailleurs, ne manque pas d’intérêt, et que les meilleurs morceaux de l’ouvrage sont à venir.

Pensées hérétiques

Dans un chapitre volontiers provocateur, Dyson nous rappelle que la science, hier comme aujourd’hui (et surtout comme demain!) a besoin d’hérétiques, c’est-à-dire de penseurs refusant de se conformer aux idées communément admises. C’est bien entendu une tâche difficile, plus aisée peut-être lorsque l’on va émettre des idées dans un champ d’études qui n’est pas le sien; aussi Dyson cite-t-il un astronome prédisant un mécanisme physiologique avéré quarante ans plus tard, une manière peut-être de justifier son incursion dans la biologie et la politique.Quelques coups de pieds dans la fourmilière: calculs à l’appui, Dyson explique pourquoi le «réchauffement planétaire» n’est peut-être ni si grave, ni d’une si grande ampleur que ce que l’on prétend souvent. Première hérésie, qui heurte, non les croyances scientifiques actuelles (les spécialistes sont les premiers à reconnaître leur manque de visibilité), mais le citoyen bien-pensant qui, naturellement, est très concerné par le réchauffement climatique.Seconde hérésie, l’homme peut et doit contrôler la nature, il saura peut-être mieux qu’elle ce qui est préférable, et il faut donc se méfier d’une «éthique naturaliste» dans laquelle tout changement opéré par l’homme est nécessairement mauvais. Les exemples cités sont pertinents, mais le glissement de sens vers les OGM est surprenant.La troisième hérésie fait davantage sourire: les États-Unis en auraient pour moins d’un siècle à être la «première des nations». C’est certainement beaucoup moins hérétique de ce côté-ci de l’Atlantique où, comme l’explique l’auteur (d’origine britannique), bien des pays (l’Italie, l’Espagne, la France, la Grande-Bretagne) ont été la première puissance au monde avant de céder le pas à un voisin.

La physique et la vie

Les chapitres 4 à 6 sont, à mon avis, les plus intéressants. Ce sont ceux où Dyson met à profit ses connaissances de physique pour envisager trois questions fondamentales. La première est: pourquoi l’Univers est-il si accueillant pour la vie? Question à prendre dans un sens très large, et que l’on peut reformuler ainsi. Puisque les lois de la thermodynamique prévoient une augmentation du désordre et une uniformisation de la matière, pourquoi au contraire observe-t-on une diversification et l’apparition de structures de plus en plus organisées? Cette question est abordée du point de vue cosmologique global aussi bien que local, avec une grande clarté, et est mise en parallèle avec les transitions de phase bien connues des physiciens, avant que ne soit expliqué le rôle déterminant de la symbiose (eh oui, la symbiose existe non seulement en biologie, mais également en astronomie[2]et est, selon Dyson, un des «principaux moteurs de l’évolution de l’Univers»). Enfin, une remarquable discussion sur l’entropie et sur la «mort thermique» est présentée. Cette «mort thermique», qui a angoissé plus d’un chercheur depuis la dix-neuvième siècle, et plus d’un auteur de science-fiction également[3], est plus particulièrement détaillée dans le chapitre le plus remarquable de l’ouvrage, La Vie peut-elle durer toujours? Encore une fois, la question est à prendre au sens large: les lois de la physique permettent-elles à une forme de vie (éventuellement d’un type extrêmement éloigné de ce que nous connaissons) de subsister pour l’éternité? Là encore, il faut faire appel à nos connaissances de la physique fondamentale et aux découvertes les plus récentes de la cosmologie pour répondre, et Dyson nous présente des arguments et des contre-arguments pour prédire un oui conditionnel. La discussion originale est très «théorique», puisque les types de vie envisagés vont du transfert de la pensée dans une machine électronique à la survie sous forme d’un nuage de poussière, mais elle est très plaisante et, finalement, on ne peut plus sérieuse. Elle réjouira en tout cas les amateurs de physique appliquée à une idée abstraite.

En revenant à un point de vue beaucoup plus pratique, Dyson expose, dans «À la recherche de la vie», un peu longuement peut-être, une technique pour tenter d’observer des traces de vie dans l’espace proche —quelques dizaines d’années-lumière—, semblable au pit-lamping, une technique permettant de chasser des animaux de nuit (il suffit de porter une lampe frontale: les yeux des animaux nocturnes, par un jeu de réflexion et de double passage à travers la cornée, renvoient un fin mais intense pinceau lumineux dans la direction d’où vient la lumière; les yeux de l’animal, même éloigné, brillent alors très fort dans la nuit). Si une vie (végétative) veut survivre en captant la lumière du soleil à très grande distance, elle doit la concentrer par de grands réflecteurs paraboliques et le pit-lamping peut fonctionner. À grande distance, cela peut être sur Europe (un des satellites de Jupiter), dans la ceinture de Kuiper (dix fois plus éloignée), voire même dans le nuage d’Oort (constitué de blocs de glace, orbitant autour du soleil à une distance d’une dixième d’année-lumière, soit 6000 fois plus loin que la Terre). Si la vie y existe, elle peut-être facilement détectée. Objection évidente: il y a peu de chances qu’elle soit justement là où on peut la chercher avec cette technique. Mais au moins, nous explique l’auteur, ce n’est pas cher à mettre en œuvre, et donc largement aussi intéressant que de chercher difficilement à des endroits où la vie est plus probable. 

Dyson conclut d’ailleurs ce chapitre en expliquant pourquoi la vie aurait justement intérêt à ne pas se cantonner à la surface d’une planète, même hospitalière comme la Terre, mais à chercher à s’étendre dans l’espace interplanétaire, voire interstellaire. «Alors là, mon cher, vous êtes en pleine science-fiction!» dirait Gotlib. En effet: Dyson nous rappelle que science et fiction vont fort bien ensemble.

Un détour vers la théo-fiction

En citant, avec un bonheur inégal, quelques écrivains[4] de science-fiction ou, plutôt, de «théo-fiction»[5], Dyson conclut sur la possibilité, pour la théologie, de se régénerer par des idées nouvelles de la cosmologie, de la biologie, de la psychopathologie. Pas inintéressant mais, comme le dit Dyson, science et religion sont complémentaires (au sens quantique) et s’excluent mutuellement de leurs champs respectifs. Les écrivains ont davantage à dire que les scientifiques sur ce sujet.

 

1 — Exemple : voici un argument qui paraît pertinent et qui va contre mon opinion ; ô, surprise, celui qui l’a dit est un terroriste notoire. Retourner à l'article

2 — Le mot symbiose est utilisé évidemment dans un sens plus large; ainsi, un couple d’étoiles peut être qualifié de symbiotique au sens où leur réunion donne un objets aux propriétés différentes de celles de chaque étoile.Retourner à l'article

3 — Cf. l’excellente nouvelle d’Isaac Asimov, «The Last Question» (1956), en français «La dernière question», dans le recueil Le robot qui rêvait. Retourner à l'article

4 — Comme Olaf Stapledon, un grand écrivain étiqueté «science-fiction», ou C. S. Lewis dont le talent dans le domaine de la «théo-fiction» est nettement plus contestable Retourner à l'article

5 — Qui s’occupe d’une humanité future ou différente dans ses relations avec la religion plutôt qu’à travers les avancées scientifiques, comme, dans certains textes, Philip K. Dick.) Retourner à l'article

 

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