Économie / France

Le patronat est aussi irresponsable que le gouvernement

En continuant à faire progresser les salaires, les entreprises –surtout les grands groupes– risquent de ruiner les efforts enfin consentis par le gouvernement pour alléger leurs charges. Le Medef et l'Afep doivent bouger.

Pierre Gattaz, le 30 août 2013. REUTERS/Benoit Tessie
Pierre Gattaz, le 30 août 2013. REUTERS/Benoit Tessie

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C'est entendu, le gouvernement socialiste a massacré la reprise avec ses hausses d'impôt. Il n'a pas été le premier: son prédécesseur a alourdi les prélèvements obligatoires de un point et demi quand ils baissaient de un point dans l'OCDE, malgré la crise. Mais les socialistes ont surtaxé les entreprises déjà asphyxiées et les ménages au pouvoir d'achat de plus en plus serré. Résultat, le taux de marge des entreprises, en baisse de 0,9 point l'an dernier, est tombé au plus bas depuis 1985, ce qui a entraîné une inévitable baisse des investissements, et la consommation des ménages, miraculeusement stable en 2013, donne cette année des signes de faiblesse à cause des «précautions» prises du fait des impôts à venir autant que de l'avenir morose. La croissance attendue en 2014 de 1% n'atteindra sans doute guère mieux que la moitié. Ce bilan gouvernemental vaut condamnation.

Ne pas gâcher les 40 milliards d'euros

Mais François Hollande s'en est aperçu, il a procédé à un virage, en promettant un allègement des charges des entreprises. Puis son nouveau Premier ministre a reconnu l'erreur fiscale et promis de soulager les Français; il a commencé par les ménages les plus modestes. La France a désormais opté pour une politique «de l'offre» avec pour priorité le renforcement de la compétitivité des entreprises, objet du pacte de responsabilité et de solidarité conclu en avril.

Encore faudrait-il que les entreprises contribuent elles-mêmes à cette politique et qu'elles ne gâchent pas les 40 milliards d'euros prévus d'ici à 2017. Or, c'est ce qui risque de se passer. Elles accordent des hausses de salaire qui ruinent les gains de compétitivité-coût obtenus par les baisses de cotisations sociales. Ces hausses salariales sont, certes, moindres que la tendance passée, mais elles sont encore supérieures à ce qu'il faudrait si les entreprises jouaient le jeu de la politique de l'offre.

Le Medef a très justement refusé de présenter des «garanties» aux baisses de charges gouvernementales. Aucune entreprise ne peut raisonnablement s'engager à embaucher ou à investir en échange d'un crédit d'impôt. Mais une chose est de ne rien pouvoir promettre, une autre est d'agir en sens contraire.

En 2013, selon l'Insee, le salaire mensuel brut de base de l'ensemble du secteur marchand non agricole a progressé de 1,7% en euros courants en moyenne annuelle, un rythme inférieur à celui de l'année précédente (+2,1%), mais encore très positif au regard de l'inflation (+1%) et de l'extinction des gains de productivité. Et, pour l'année en cours, aucune inflexion n'est à attendre.

+1,7%

La hausse du salaire mensuel brut en 2013 dans le secteur marchand non agricole

Pourquoi? Parce que –les patrons n'y sont ici pour rien– les cotisations patronales ont augmenté en 2013, alourdissant les salaires bruts. Parce que les hausses du smic ont des effets de contagion jusqu'aux rémunérations 1,6 fois supérieures, a calculé l'économiste Pierre Cahuc. Parce que –là vient la responsabilité patronale– les hausses sont décidées par branches sectorielles, et que les grandes entreprises y font la loi. Comme, fait nouveau, leurs syndicats de salariés raisonnent de plus en plus en «net-net», cotisations et impôts compris, comme les grands patrons gagnent leurs profits à l'étranger et qu'ils ont pour priorité absolue la paix sociale chez eux pour ne pas s'attirer les foudres médiatiques et gouvernementales, l'accord se fait vite pour maintenir des rémunérations en hausse. Tant pis pour les PME, qui doivent suivre leur branche.

Plus de sans-emploi, moins de hausse de salaire

Les syndicats et le patronat des grands groupes préfèrent le salaire à l'emploi, la France continue de privilégier les «insiders». Les salariés âgés et qualifiés, protégés par leur CDI, renvoient le coût de la crise sur les jeunes en CDD et les chômeurs. La grande récession aurait dû casser cette exception française d'une corrélation positive entre chômage et salaires.

Plus il y a de sans-emploi, plus les pressions devraient comprimer les rémunérations. C'est vrai partout ailleurs (Royaume-Uni, Etats-Unis, Allemagne, Japon, Italie...), constate Patrick Artus de Natixis[1], c'est faux dans un seul pays: le nôtre.

L'Insee confirme: un recul de 10% de l'activité d'une entreprise se répercute sur les salaires de l'année par une baisse de seulement 0,2%. Dans l'autre sens, quand les affaires vont bien, les paies rebondissent encore plus vite que l'activité[2].

La gauche
de la gauche aura beau jeu
de triompher

 

Même constat d'égoïsme: seuls quatre accords «salaire contre emplois» ont été signés depuis dix mois. Ce devait être la preuve d'une France solidaire qui germanise ses relations sociales, qui serre les coudes dans la tempête et accepte de baisser les salaires pour préserver l'emploi, jusqu'à ce que le carnet de commandes se remplisse à nouveau. L'échec du dispositif s'explique en partie par sa lourdeur, mais il en dit long sur la persistance de «la préférence pour le chômage» de ce pays.

Sans modération salariale, le regonflement des marges et le regain de compétitivité sont impossibles. Le pacte de responsabilité et de solidarité porte mal son nom. Le Medef et l'Afep ne peuvent dire «soutenir» la nouvelle politique économique de François Hollande et ne pas faire leur partie du travail.

La gauche de la gauche en embuscade aura beau jeu de triompher. Elle l'avait dit: les «cadeaux faits au patronat» n'aboutiront ni à l'embauche ni à l'investissement. Hollande et Valls le redoutent. Le patronat, qui réclame d'aller plus loin dans cette «bonne» direction, verra vite se fermer les portes du pouvoir s'il s'enferme dans une surenchère sans fin tout en ne faisant pas sa part. Il reste trois ans avant l'élection présidentielle. Aucune entreprise ne peut attendre autant.

Article également publié dans Les Echos

1 — Flash Natixis, 15 mai. Retourner à l'article

2 —  L'Economie française », édition 2014, Insee. Retourner à l'article

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