France / Société

Il existe un département français qui doit payer ses prêtres et ce n'est pas en Alsace, ni en Moselle

Pour la Guyane, il n'est pas simple de s'affranchir d'une vieille disposition héritée du début du XIXe siècle.

REUTERS/Beawiharta
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En Guyane française, les prêtres catholiques sont rémunérés par le conseil général. Une situation dont la collectivité de ce département d'Outre-mer aurait bien aimé se défaire, en arrêtant de verser des salaires aux prêtres guyanais. C'était chose faite depuis le 30 avril dernier: des arrêtés mettaient fin à la prise en charge sur le budget départemental de 26 membres du clergé catholique guyanais. Fin mai, les prêtres ne recevaient pas leur rémunération mensuelle de fonctionnaire de catégorie B. Même si l'évêque de Guyane Monseigneur Lafont toucha tout de même son salaire de catégorie A...

Saisi en référé par l'évêque et les 26 prêtres concernés, le juge du tribunal administratif de Guyane a ordonné au conseil général de reprendre le versement de ces salaires. En attendant un jugement sur le fond que demande le conseil général, la collectivité peut déjà conclure qu'il n'est pas si simple de s'affranchir d'une vieille disposition héritée du début du XIXe siècle.

En Guyane, c'est toujours une ordonnance royale de Charles X datant de 1828 qui régit la rétribution des prêtres. Et la tentative du conseil général n'est pas la première occasion ratée de mettre fin à cette situation.

Rien à voir avec l'Alsace-Moselle

Avec les trois départements d'Alsace-Moselle (le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle), la Guyane fait partie des seules collectivités françaises où les prêtres sont payés par l'Etat, exception à la loi de 1905 de séparation de l'Eglise et de l'Etat. Mais ces deux exceptions sont le fruit d'histoires différentes.

Alors que l'Alsace-Moselle est restée au régime concordataire de 1801, en Guyane, le Concordat n'a jamais été appliqué. De plus, en Guyane, seuls les prêtres du clergé catholique sont rémunérés par l'Etat. En Alsace-Moselle, ce statut concerne aussi les cultes protestants luthérien, réformé et israélite. C'est à la suite de leur passage sous contrôle allemand que les territoires alsacien et mosellan ratent le coche de la loi française de 1905. Cette spécificité ne fut pas remise en compte en 1918 lors du retour de ces territoires à la France. Une tentative infructueuse d'Edouard Herriot d'y mettre un terme s'était heurtée aux réactions locales et le régime concordataire est confirmé en 1925.

La Guyane, elle, fut longtemps considérée comme une terre de mission, confiée à des Congrégations. En tant que colonie, les cultes y ont surtout été gérés par le ministère de la Marine, puis des Colonies. C'est une ordonnance royale du 27 août 1828 définissant les pouvoirs du gouverneur de la colonie guyanaise, qui attribue à l'Etat la rémunération des prêtres.

En 1905, la loi sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat, qui met fin au régime concordataire en France métropolitaine, n'est pas tout de suite appliquée dans les colonies. En 1911, un décret l'étend à la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion. Ces trois colonies sont devenues des diocèses en 1850, soumis au régime concordataire. Il faut attendre plus d'un siècle pour que la Guyane atteigne ce statut: ce qui était une préfecture apostolique devint le diocèse de Cayenne en 1956. Soumise au régime du Concordat, les Antilles et la Réunion peuvent rompre ce régime en 1911, en appliquant la loi de 1905. La Guyane, elle, n'a jamais été sous le régime concordataire, elle ne peut donc faire l'objet de l'application de cette loi. La colonie reste donc soumise à l'ordonnance royale de 1828, qui approche alors le centenaire, confirmant la spécificité du régime guyanais.

L'occasion manquée de 1911 aurait pu être rattrapée en 1946 avec la départementalisation. «La loi du 19 mars 1946, assimilant ce territoire à un département métropolitain, précise dans son article 2 que les lois et décrets alors "en vigueur dans la France métropolitaine feront l'objet de décret d'application à ces nouveaux départements", mais aucun décret postérieur n'a été pris en ce sens», explique un rapport présidé par l'universitaire Jean-Pierre Machelon sur Les relations des cultes avec les pouvoirs publics.

Avec la départementalisation, la question se pose donc pour la Guyane d'une application de la loi de 1905. Mais le ministre de l'Intérieur de l'époque, Jules Moch, fait part de ses réticences à l'idée de modifier cette situation «en raison de la pauvreté des habitants de la Guyane et de la nécessité de les soustraire aux influences étrangères que favoriserait un départ des missionnaires catholiques». La Guyane, explique-t-il en 1948 dans une lettre à son collègue des Finances René Mayer, «a toujours été considérée comme pays de missions parmi les infidèles dont les frais de culte ont été assumés à l'origine par le ministère de la Marine, puis par le ministère des Colonies». Le ministre de l'Intérieur conseille toutefois de «maintenir les pratiques actuelles de la rétribution ecclésiastique par le département de la Guyane et non par le budget de l'Etat». Depuis 1900, la rémunération du clergé catholique est assurée par le budget local de la colonie et non plus directement par l'Etat.

Depuis, c'est le statu quo. Jusqu'à ce que le conseil général présidé par Alain Tien-Liong, sympathisant d'un parti indépendantiste guyanais, le MDES, Mouvement de décolonisation et d'émancipation sociale, décide d'y mettre fin. L'élu estime que ces salaires représentent un budget de 1,1 million d'euros par an pour la collectivité. Après la décision du tribunal administratif, il a déclaré à la chaîne Guyane Première qu'il allait «contester cette décision et attaquer l'Etat en justice pour demander de rembourser toutes les sommes dépensées par le conseil général depuis la départementalisation».

Une telle demande ne pourra certainement pas aboutir, en raison d'une prescription quadriennale en matière de dette publique. Mais elle est un moyen de pointer l'une des sources du problème, en montrant que cette «anomalie de l'Histoire» est héritée de l'inachèvement de la départementalisation de 1946, qui devait pourtant faire des colonies des départements à part entière. En attendant, l'ordonnance royale de 1828 a toujours cours.

 

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