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Le Brésil a bénéficié d'un «arbitrage maison» contre la Croatie? Rien de plus normal

Au football, les équipes qui jouent à domicile voient toujours leurs chances de victoire augmenter. Et c'est le plus souvent parce que l'arbitre les avantage.

Brésil-Croatie le 12 juin à Sao Paulo, REUTERS/Paulo Whitaker
Brésil-Croatie le 12 juin à Sao Paulo, REUTERS/Paulo Whitaker

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Le Brésil a remporté le premier match de la Coupe du monde 2014 sur le score de 3-1 face à la Croatie, avec deux buts de Neymar et un de l'excellent Oscar. Mais le protagoniste dont tout le monde parle n'est ni Brésilien, ni Croate, mais Japonais: Yuichi Nishimura, l'arbitre de la rencontre.

A la 69e minute, il a sifflé un pénalty pour une faute qualifiée par la plupart des observateurs de «pas évidente» du défenseur croate Dejan Lovren sur l'attaquant brésilien Fred, qui ne s'est pas fait prier pour amplifier sa chute dans un mouvement quelque peu ridicule.

Plus généralement, les décisions de Yuichi Nishimura tout au long de la rencontre ont plutôt penché en faveur du pays organisateur. «C’est mieux qu’on donne la Coupe tout de suite au Brésil», s'est emporté Lovren après la rencontre, résumant l'avis d'une bonne partie de ceux qui ont assisté à la rencontre. Le Brésil a-t-il bénéficié du fameux «arbitrage maison», ce phénomène qui veut que l'équipe qui joue à domicile bénéficie d'un arbitrage favorable?

Chacun est libre de se faire son avis. Mais même en estimant que l'action du pénalty aurait pu aller dans un sens comme dans l'autre (après tout, Lovren a bien retenu, même très légèrement, Fred au niveau de l'épaule), le fait est qu'elle a tourné en faveur des Brésiliens.

Au-delà du débat purement technique basé sur le visionnage à répétition des différents angles de vue au ralenti, cette action est à replacer dans l'histoire du football et des Coupe du monde, dont l'étude minutieuse nous apprend une chose: l'avantage de jouer à domicile existe bien, et il est avant tout dû aux décisions arbitrales favorables.

Les équipes qui jouent à domicile gagnent plus souvent

L'avantage de jouer à domicile au football est universel: dans tous les championnats et compétitions du monde, l'équipe qui joue à domicile voit ses chances de l'emporter augmenter de manière plus ou moins importante. C'est pour cette raison que la plupart des championnats font se rencontrer toutes les équipes deux fois (une fois dans le stade de chacune) ou que beaucoup de coupes comme la prestigieuse Ligue des champions se jouent avec des matchs  aller-retour et vont même souvent jusqu'à donner plus d'importance aux buts marqués à l'extérieur.

Cet avantage s'applique-t-il aussi à la Coupe du monde, compétition qui se tient dans un seul pays (voire deux maximum comme l'édition 2002 organisée au Japon et en Corée du Sud)?

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Le nombre de pays hôtes à avoir atteint les demi-finales de Coupe du monde, en 19 éditions

Depuis 1930, il y a eu 19 Coupes du monde. Le pays hôte est arrivé 12 fois en demi-finales, et a remporté le trophée six fois. Cette fréquence est trop importante pour être mise sur le dos de la chance.

Même les organisateurs faibles ont toujours mieux réussi que ce que leur niveau permettait de prévoir: les Etats-Unis ont atteint le deuxième tour en 1994, la Corée du Sud a atteint les demi-finales en 2002 et l'Afrique du Sud, si elle ne s'est pas qualifiée pour le second tour, a tout de même terminé avec quatre points dans son groupe en 2010, loin devant les mutins français.

Même quand elles perdent, elle font mieux que prévu

Les économistes Chris Anderson et David Sally, auteurs de l'excellent livre The Numbers' Game: Why everything you know about football is wrong, ont récemment démontré, calculs statistiques complexes à l'appui, que les hôtes qui n'ont pas gagné le tournoi ont le plus souvent perdu contre plus fort qu'eux (à trois exceptions près, dont la fameuse défaite du Brésil face à l'Uruguay au Maracana de Rio en 1950), et voient tout de même leur performance dépasser de 50% en moyenne celle que leur prédisait leur valeur intrinsèque.

Comme l'écrit Ted Knutson, le co-fondateur et rédacteur en chef du site spécialisé dans l'analyse statistique du football StatsBomb.com:

«Organiser le tournoi donne à n'importe quelle équipe de bien meilleures chances de faire une bonne performance, et si l'équipe est déjà talentueuse à la base, ça lui donne une meilleure chance de remporter la victoire finale».

Si le Brésil était donné grand favori par tous les bookmakers avant le début de la compétition, c'est bien sûr parce qu'il a une équipe remplie de joueurs de classe mondiale, mais aussi parce qu'il bénéficie de l'avantage de jouer à domicile.

Il faut apporter ici une précision de taille: le Brésil est le favori pour l'emporter, mais cela ne veut pas dire qu'il est certain de gagner le tournoi, ni que les «statistiques auront menti» si ce n'est pas le cas. Comme l'a très justement rappelé Simon Kuper ici-même, le football est le sport où le favori perd le plus souvent, et la Coupe du monde est une compétition particulièrement aléatoire. Le Brésil n'a en fait qu'une chance sur trois de gagner pour les bookmakers, ce qui est peu dans l'absolu, mais mieux que toutes les autres équipes.

Revenons-en à l'avantage de joueur à domicile, qui, on l'a vu, est indéniable au football en général et en Coupe du monde en particulier. Il est en revanche plus difficile de savoir exactement à quoi il est dû.  

Le voyage et l'altitude n'y sont pour rien

En ce qui concerne les Coupes du monde, le long voyage que devaient effectuer les équipes pour venir était autrefois invoqué. Cet argument ne tient plus aujourd'hui pour au moins trois raisons: le temps où les équipes traversaient des océans en bateau est révolu et les voyages en avion dépassent rarement les 12 heures; les équipes font en sorte d'arriver assez de temps avant leur premier match pour absorber le décalage horaire et la fatigue du voyage en avion; et la majorité des meilleurs joueurs de la planète jouent dans un club européen, ce qui signifie qu'ils voyagent à peu près les mêmes distances quel que soit leur nationalité ou le pays hôte.

L'altitude est un autre facteur possible. Le Mexique choisit souvent de jouer ses matchs importants dans l'Estadio Azteca, qui se situe à plus de 2.100 mètres d'altitude, tandis que les adversaires de la Bolivie qui se rendent dans son stade d'Hernando Siles à La Paz (3.636 mètres) ont tendance à avoir des difficultés. Mais à part au Mexique, les Coupes du monde se jouent rarement dans des stades en altitude et ça n'est pas le cas cette année au Brésil.

Les arbitres donnent plus de temps additionnel quand l'équipe évoluant à domicile est légèrement derrière

 

Parmi tous les facteurs possibles de l'avantage de jouer à domicile, un seul est en fait constamment présent: l'artbitrage favorable.

L'arbitrage maison est une constante

En 2003, l'économiste allemand Thomas Dohmen a montré, en étudiant neuf saisons de Bundesliga, que les arbitres donnaient systématiquement plus de temps additionnel quand l'équipe évoluant à domicile était légèrement derrière au score, et que l'amplitude de l'avantage donné par l'arbitre dépendait notamment de la composition sociale du public et de sa proximité avec le terrain.

En 2007, une étude publiée dans le Journal of sports sciences s'est intéressée à 5.244 matchs de Premier League anglaise impliquant 50 arbitres différents, et a mesuré pour chaque arbitre le nombre de cartons jaunes et rouges moyen qu'il a distribué à l'équipe à domicile et à l'équipe à l'extérieur. Les résultats ont montré que certains arbitres donnaient beaucoup plus de cartons jaunes et rouges à l'équipe qui évolue à l'extérieur. Les chercheurs concluaient:

«Ces résultats confirment que les arbitres sont responsables d'une partie de l'avantage de jouer à domicile observé en Premier League et suggèrent que l'avantage de jouer à domicile dépend des décisions subjectives des arbitres qui varient d'un homme à un autre.»

En bon entraîneur qui a fait son travail de préparation et a sans doute jeté un œil sur les statistiques, le Croate Niko Kovac savait que le Brésil allait avoir l'avantage de jouer à domicile contre son équipe et que cet avantage allait sans doute venir de l'arbitrage. Après la rencontre, il a déclaré aux journalistes qui lui demandaient s'il en voulait à l'arbitre:

«Ça n’a rien à voir avec cet arbitre en particulier, mais plus sur le fait qu’on jouait contre le pays organisateur. J’avais prévenu mes joueurs d’éviter les situations litigieuses.»

Il avait bien fait de prévenir ses joueurs, mais ça n'a pas suffit. L'«arbitrage maison» a encore de beaux jours devant lui.

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