Culture / Sports

On a demandé à un chef d'orchestre d'écouter les 32 hymnes nationaux du Mondial. Voici ses choix

On les écoute distraitement avant qu'ils soient couverts par les beuglements des supporters, mais quels sont les meilleurs? Ont-ils une quelconque valeur musicale? Le chef d’orchestre Nicolas Chalvin et notre spécialiste musique classique débattent de leur palmarès. Il y a du Séville 1982 dans l'air...

L'équipe allemande lors de Allemagne-Portugal, le 16 juin à Salvador. REUTERS/Dylan Martinez.
L'équipe allemande lors de Allemagne-Portugal, le 16 juin à Salvador. REUTERS/Dylan Martinez.

Temps de lecture: 6 minutes

A cause d'une sono défaillante lors de France-Honduras, on n'a pas encore pu se délecter de l'ensemble des hymnes des qualifiés pour la Coupe du monde. Nicolas Chalvin, si: et cela a été une rude épreuve pour le directeur musical de l’Orchestre des pays de Savoie que de lire les 32 partitions en question… «Je n’ai pas eu de révélation, rien entendu de génial», euphémise-t-il.

A l’exception (on y reviendra) de Joseph Haydn, il n’y pas eu beaucoup de grands compositeurs mis à contribution pour exalter l’orgueil national. L’histoire retient à peine Hanns Eisler, à qui l’on doit l’hymne de la RDA (1949-1989) –on se dit qu’il aurait mieux fait de s’abstenir.

Pauvres, efficaces, populistes

Premier constat: les hymnes nationaux, ce n’est pas toujours de la bonne musique. On s’en doutait, mais c’est encore mieux lorsque c’est l’oreille du spécialiste qui le dit.

«C’est un peu pauvre quand même… Il ne s’agit pas d’aller chercher midi à quatorze heures! Ça doit être efficace, facilement mémorisable. Parce qu’il faut que ce soit repris par les foules.»[1]

D’où une légère réticence face à ces airs, qui expriment «une certaine forme de populisme». Nicolas Chalvin n’aime guère les hymnes «à la gloire de». On célèbre «Dieu, une Nation, un souverain… Et rarement le peuple. C’est aussi ce qui fait que j’aime La Marseillaise!».

Et de citer God Save the Queen bien sûr, mais aussi des hymnes officieux comme God Bless America ou encore le célèbre Pomp and Circumstance (Land of Hope and Glory) d’Edward Elgar, véritable hymne bis du Royaume-Uni, entonné traditionnellement aux Prom’s, la série de concerts estivaux chapeautés par la BBC, par une foule chair de poule:

«Paradoxalement, ce serait encore plus efficace que l’hymne officiel! Mais c’est un peu galvaudé. Et puis ce final des Proms, on le sait peu, est aussi un signe de ralliement à l’extrême droite...»

Dommage... On le voyait plutôt comme quelque chose de bon enfant…

Typologie des hymnes

Les hymnes sont-ils tous marqués par leur pays d’origine ou bien se ressemblent-ils? La réponse n’est pas si évidente. Ainsi de la Suisse, dont «l’hymne est vraiment en rapport avec l’identité du pays. Il est très terrien, pas démonstratif». Un patriotisme non ostentatoire qui correspond bien aux placides Helvètes.

L'hymne uruguayen.

Il y a également les marches, comme pour l’Angleterre ou les Pays-Bas:

«C’est d’une efficacité redoutable dans un stade, mais c’est basique. Pierre Boulez disait que lorsqu’on parle de marches militaires, on ne peut pas parler de musique. C’est un rythme qui a quelque chose à voir avec le fascisme… comme la musique techno!»

Les hymnes en provenance d’Amérique du Sud se ressemblent beaucoup, ne serait-ce que par les paroles, avec des «libertà» et «patria» qui reviennent souvent, mais aussi par leur filiation évidente avec la musique méditerranéenne. Ainsi du Brésil et de l’Uruguay, l’hymne de ce dernier évoquant immédiatement la verve de Rossini:

«C’est un peu un succédané d’influences espagnoles ou italiennes. Cela évoque la légèreté des opérettes, ou plutôt de certains opéras de Donizetti...»

Hymne croate et mélomanes serbes

Une inspiration que l’on retrouve évidemment dans l’hymne italien. «On dirait un opéra léger. C’est très marqué XIXe siècle, comme un petit Verdi… Avec presque une forme de second degré.» Autre parenté, un peu moins attendue, de l’autre côté de la mer Adriatique: «J’ai été agréablement surpris par l’hymne croate, avec sa verve un peu italienne… Mais il y a de l’histoire en commun, du côté de Trieste…»

Les hymnes africains? Paradoxalement, ils trahissent l’influence du passé colonial. Pour le Nigéria ou le Ghana, par exemple, «on devine l’envie de se faire un hymne qui soit comme God Save the Queen…»

And the winner is…

La Coupe du monde étant une compétition, reste à désigner les meilleurs. Evacuons le bas de tableau, avec les hymnes lénifiants, tel celui du Japon, sirupeux, comme celui de la Corée du Sud, «bien trop sentimental», décevants, comme pour l’Australie, «un succédané de choses déjà entendues», voire carrément bâclés, comme celui de l’Algérie. Oublions le milieu de tableau, où figurent la Russie, le Costa Rica, l’Argentine ou le Cameroun. Sans oublier les Pays-Bas, pourtant le plus ancien de tous:

«Leur hymne est un peu agaçant. Ca ne module pas du tout. C’est presque un canevas de musique de variété, très simpliste! On va vers la dominante et on revient à la tonique. Musicalement, la mélodie se défend mais harmoniquement, c’est basique...»

Tant pis pour l’acrostiche Willem van Nazzov, qui donne son nom au Het Wilhelmus!

Nicolas Chalvin dirigeant l'orchestre des Pays de Savoie

Concentrons-nous sur le podium, même si un tel classement s’avère «difficile lorsque certains hymnes ont une résonance bien particulière, historiquement et aussi sportivement. C'est un peu malheureux, mais ce sont les nations les plus anciennes qui ont les hymnes les plus intéressants musicalement…» Ce qui s’explique sans doute par le fait qu’il y a eu historiquement davantage de compositeurs en Europe: «Ces pays ont eu le choix. Et même celui du changement d’hymne, pour se construire.»

Le top 10 de Nicolas Chalvin

1. France

2. Allemagne

3. Italie

4. Angleterre

5. Croatie

6. Suisse

7. Belgique

8. Brésil

9. Uruguay

10. Grèce

Et l’Allemagne alors? Stupeur, le Français Nicolas Chalvin place donc La Marseillaise en tête: «D’abord, je suis Français. Mais c’est peut-être le seul hymne qui module. Ecoutez ce "jusque dans nos bras…". Et suivez le rythme de la marche… En fait, on ne peut pas marcher sur La Marseillaise! La musique est assez berliozienne, je trouve –et d’ailleurs, Berlioz l’a défendue!»

Les paroles comptent aussi, qui ne sont pas à la gloire d’un souverain: «Il y a une conquête dans La Marseillaise, c’est ce qui en fait un chant révolutionnaire. Historiquement, on sait d’où on vient. »

Musicalement, Rouget de Lisle n’est donc pas un manchot. A-t-il trouvé son inspiration dans le Concerto pour piano n° 25 de Mozart? Ce ne serait pas démériter.

Joseph Haydn, Quatuor à cordes en do majeur Op. 76/3, «L'Empereur» (2e mouvement) / Shostakovich Ensemble.

Mais l’Allemagne seulement sur la deuxième marche? Avec cette musique extraordinaire, issue d’un quatuor[2] de Joseph Haydn? Une musique tout empreinte de grâce élégiaque, avec un thème savamment repris et développé par chacun des instruments du quatuor. «Chopin me dit que l'expérience lui a donné cette perfection que nous y admirons», rapporte Delacroix dans son journal. Perso, j’ai la larme à l’œil dès qu’un haltérophile allemand monte sur la plus haute marche du podium.

On se rassure: le jugement de Nicolas Chalvin n’est pas entièrement musical. Le sport y a sa part, avec un petit goût amer de Séville au fond de la gorge:

«Je ne pouvais pas mettre l’Allemagne en premier… Vous savez qu’on dit que le football est un jeu où les Allemands gagnent toujours à la fin… Je préfère déjouer les pronostics! Mais c’est vrai que Haydn est vraiment au sommet de la musique. Et dans l’hymne allemand, tout est gardé. C’est une simple réorchestration.»

Même châtiment pour l’hymne britannique… «Je l’ai un peu déclassé à cause des samedis après-midis à Twickenham…», avoue-t-il.

Une mention s’impose pour la Belgique:

«C’est un hymne amusant! J’aime beaucoup l’humour de La Brabançonne. Comme si les Belges ne se prenaient pas au sérieux...»

Mieux vaut écouter «Il pleut bergère»

L'hymne allemand

Le classement de Slate.fr

1. Allemagne

2. (loin derrière et par ordre alphabétique): Algérie, Angleterre,  Argentine, Australie, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Brésil, Cameroun, Chili, Colombie, Corée du Sud, Costa Rica, Côte d'Ivoire, Croatie, Equateur, États-Unis, France, Ghana, Grèce, Honduras, Iran, Italie, Japon, Mexique, Nigeria, Pays-Bas, Portugal, Russie, Suisse, Uruguay.

32. Espagne (voilà au moins une compétition qu’ils ne gagneront pas)

Et ils ont bien raison, car la plupart des hymnes ne valent pas grand-chose. Au moins, les paroles et la musique s’accordent-elles? «C’est vraiment très simple! Rien à voir avec une mélodie de Fauré ou un lied de Schubert… Certes, des choses très simples peuvent très bien s’accorder. C’est cela l’efficacité. Mais il y a plus de poésie dans Il pleut bergère que dans un hymne national…», s’amuse Nicolas Chalvin.

Alors, oui, l’Allemagne, incontestablement a le plus beau des hymnes, même chanté –ou pas– par onze énergumènes en short.

Aussi suggère-t-on aux 31 autres pays qualifiés de réécrire le leur en piquant la musique de l’un des nombreux quatuors de Haydn. Après tout, l’Europe a bien emprunté le sien à Beethoven. Avec 32 Haydn à crampons, on pourrait commencer à débattre sérieusement entre mélomanes bradypsychiques dans les stades. Comme en 1985, au Heysel.

 

On notera que l'Orchestre des Pays de Savoie n'a programmé (ouf) aucun hymne pour sa saison prochaine.

1 — Simplicité et efficacité. Dans l’émission «La Musique au rythme des identités» (France culture, 29 novembre 2012), Esteban Buch, directeur d'études à l'EHESS, voit dans l’hymne «une figure historique de la constitution performative de la communauté. Performative au sens où une nation, c’est une communauté de gens, et quand est-ce que cette communauté existe, entre guillemets, dans une sorte de fratrie? Quand on chante à l’unisson, tous la même chose. » C’est pourquoi Pierre Boulez n’a pas été sollicité pour écrire l’hymne national. Retourner à l'article

2 — Pour l’écouter, deux versions de qualité – Quatuor Mosaïques (1 CD Astrée) ou couplé avec les opus 75 et 77 (Quatuor Festetics, 3 CD Arcana A 419). Retourner à l'article

 

cover
-
/
cover

Liste de lecture