Économie / France

La concurrence ne se décrète pas. La preuve? Le marché du gaz

Cela fait sept ans que l'on peut se fournir ailleurs que chez GDF-Suez. Et pourtant.

REUTERS/Regis Duvignau
REUTERS/Regis Duvignau

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Depuis sept ans, le marché français du gaz est entièrement ouvert à la concurrence. Tous les clients, y compris les particuliers, peuvent donc faire des infidélités à GDF-Suez pour profiter d'offres plus alléchantes.

Et pourtant, jusqu'à l'automne dernier, rares étaient ceux –hormis les entreprises– qui en avaient profité:  81% des clients résidentiels restaient, en juin 2013, fidèles au tarif dit «réglementé» de l'opérateur historique GDF-Suez, un tarif évoluant en fonction d'une formule complexe, validée par le régulateur, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et prenant en compte l'évolution des coûts d'approvisionnement de l'opérateur historique.

Cette fidélité est, à vrai dire, étonnante: autant, en matière d'électricité, il est compliqué pour un concurrent d'EDF de proposer un prix moins élevé que le tarif réglementé, autant l'équation est différente en matière de gaz. La Commission de régulation de l'énergie l'affirme elle-même dans ses rapports réguliers sur l'état du marché: les alternatives moins chères à ce fameux tarif existent depuis déjà quelques temps. Selon ses calculs, un ménage se chauffant au gaz (avec une consommation de 17.000 kwh/an) pouvait ainsi, en juin 2013, économiser une centaine d'euros annuels (soit 8,5% environ de sa facture) en passant à la concurrence. 

Rien d'étonnant: les tarifs réglementés du gaz ont très fortement augmenté ces dernières années. Ils ont pris 80% entre  janvier 2005[1] et l'automne 2013. Du coup, la facture d'un client se chauffant au gaz est passée d'environ 850 euros début 2006 à environ 1.200 euros à la fin du premier semestre 2013[2] (la facture comprend aussi les tarifs d'abonnement, qui, eux, ont progressé moins vite). Par comparaison, l'indice des prix à la consommation a, sur cette même période, progressé denviron 13% et le prix du baril de Brent d'un peu plus de 50% (en dollars). Le gouvernement a certes tenté de limiter ces hausses, mais il a été désavoué par le Conseil d'Etat.

Passer
à la concurrence permet vraiment d'économiser

Mais ces augmentations importantes ont laissé une marge de manoeuvre aux concurrents de GDF Suez (et même à GDF Suez, qui peut lui aussi proposer des offres à prix «libres» à côté du tarif réglementé) qui, s'approvisionnant et gérant leurs marges différemment, arrivaient donc à proposer des tarifs un peu plus compétitifs.

Ceci n'a cependant pas suffit à séduire l'immense majorité des ménages. Pourquoi? Tout simplement parce que les particuliers connaissent mal les principes de l'ouverture du marché, comme en témoigne un baromètre réalisé régulièrement par la CRE: tous ne  savent pas, par exemple, que rien ne change concrètement, sauf l'expéditeur de la facture. Aucun changement de compteur, ni bien sûr, de canalisation. Du reste, c'est  GDF Suez –ou plus précisément sa filiale GRDF– qui continue d'acheminer leur gaz jusqu'au compteur.

Aucun risque donc de coupure intempestive ou de baisse de la qualité du gaz. Mais surtout, rien n'empêche le consommateur de changer d'avis: s'il constate que les prix du gaz deviennent trop volatils par exemple, ou s'il n'est  pas satisfait de son nouveau fournisseur, il peut à tout moment revenir au tarif «réglementé» (sauf s'il brûle plus de 30.000 kWh par an). Et ce, gratuitement. Mais le gaz n'est pas le téléphone, avec ses campagnes de publicité tonitruantes, et, surtout, ses téléphones attractifs et les multiples services mobiles qu'ils permettent d'utiliser. Le gaz coûte cher, mais ne fait pas rêver le consommateur qui, du coup, se pose peu de questions à son sujet. 

Jusqu'à l'automne dernier.

L'association de consommateurs UFC-Que Choisir a finalement pris elle-même les choses en mains: comme d'autres associations de consommateurs étrangères avant elle,  elle a  initié une grande campagne, baptisée «gaz moins cher ensemble» pour inciter les consommateurs abonnés au gaz à faire marcher la concurrence.    

Concrètement, elle a lancé un appel d'offre auprès de sept fournisseurs, leur demandant un prix attractif, un contrat plus protecteur que la loi pour le consommateur, et l'implication de l'association en cas de réclamation. Au final, Lampiris, installé en France depuis 2010 et déjà actif en Belgique a proposé un tarif du KWh inférieur de 15,5% au tarif d'octobre 2013 de GDF Suez (ceci ne concerne que le prix de l'énergie, et non celui de l'abonnement). 

74%

Le taux de ménages au tarif réglementé en mars 2014. Ils étaient 81% en 2013.

L'opération a été un succès, puisque 70.000 clients ont, d'après l'UFC, adopté cette nouvelle offre. Mieux: elle a réveillé le marché, puisque d'autres opérateurs ont revu –mais aussi simplifié– leurs tarifs. Comme l'italien Eni, qui a annoncé une offre à prix bloqué à la hausse, mais ajustable à la baisse en cas de baisse du tarif réglementé.

Une précaution nécessaire puisque, justement, depuis le début de l'année, celui-ci a sensiblement fléchi.

Du coup, le marché commence, enfin, à bouger. Selon les derniers chiffres publiés par la CRE, le taux de ménages payant toujours le tarif réglémenté n'était plus, au 31 mars 2014,  que de 74%, contre, donc 81% en juin 2013.  La part de marché des fournisseurs alternatifs est passée de 12,2% en juin 2013 à  14,7% en mars 2014.  

Reste à savoir si le mouvement s'inscrira dans la durée. Reste à savoir, surtout, si ce type d'opération sera, un jour, possible en matière électrique, où l'équation est là, encore plus difficile: la part de marché d'EDF sur le marché résidentiel reste de l'ordre de 92%...

1 — Tarifs moyens en distribution publique selon la Commission de régulation de l'énergie, sachant que les tarifs ne sont pas identiques partout en France. Retourner à l'article

2 — Selon la Commission de régulation de l'énergie, pour un client «chauffage» consommation 17 000 kwh/an.  Source: observatoire des marchés juin 2013. Retourner à l'article

 

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