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L'ETA a trompé tous les gouvernements espagnols

Une négociation avec l'organisation terroriste ne pourra plus porter aujourd'hui que sur les conditions d'une reddition définitive.

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Les organisations terroristes ne célèbrent pas d'anniversaire. Elles posent des bombes. C'est ce qu'a fait l'ETA la semaine dernière, avec deux actions particulièrement audacieuses: l'explosion d'une voiture piégée devant la caserne de la Garde civile espagnole de Burgos (ville du nord de l'Espagne) et une bombe-ventouse placée sous un véhicule de la garde civile, devant la caserne de Palma Nova (sur l'île de Majorque). Le premier attentat a tué deux jeunes policiers.

Elles ne célèbrent aucun anniversaire bien que ces jours-ci, on ait évoqué la création de l'ETA en juillet 1959, en pleine époque franquiste. Car la perpétuation des sigles ne correspond même pas à la perpétuation des idées ou aux modes opératoires terroristes. Un ex-militant de l'ETA, aujourd'hui farouchement antinationaliste et conservateur, fait remarquer dans le journal madrilène de droite Abc que «le marxisme et le culte de la violence n'apparaissent à aucun endroit» dans les textes de fondation de ce qu'est aujourd'hui cette organisation armée. Il écrit que «ses partisans se considéraient comme des chrétiens, des existentialistes et même des adeptes de Gandhi». Peu d'intellectuels espagnols ont un discours aussi hostile à l'égard de l'ETA et du nationalisme que l'auteur de ces lignes, le poète et linguiste Jon Juaristi, qui s'emploie avec beaucoup de précision, dans le même article, à imputer au nationalisme basque la responsabilité du virage ouvertement terroriste de l'organisation à partir des années 70, alors que la société espagnole s'engageait dans le processus de transition démocratique.

La campagne d'attentats à la bombe que vient de reprendre l'ETA alors même que l'organisation est au plus bas politiquement et qu'elle est extrêmement isolée sur le plan social et politique, révèle une bonne logistique et, surtout, un esprit criminel sophistiqué. Il n'est pas facile de déjouer les nombreux contrôles mis en place depuis plusieurs années dans les installations de la police et de l'armée et dans les bâtiments officiels, d'autant que l'organisation criminelle est aux abois à la fois en Espagne et dans son arrière-pays, en France.

Mais les dirigeants de l'ETA - qui ont une grande expérience des attentats et un bilan de 828 morts à leur actif depuis 1968 - n'ont guère besoin d'une large base sociale ni d'une organisation complexe pour planifier l'attentat le plus cruel et le mettre à exécution grâce à un petit commando bien entraîné.

A Burgos, l'objectif était de commettre un massacre de grande ampleur en faisant sauter une bombe devant un immeuble hébergeant des dizaines de familles de policiers (dont plus de quarante enfants). En revanche, dans le cas de l'attentat perpétré à Majorque, la cible étant située à une dizaine de kilomètres de la résidence d'été de la famille royale et en pleine zone touristique, le but était de provoquer une réaction de panique ayant des répercussions internationales.

C'est pourquoi les dizaines de blessés à Burgos, les deux policiers décédés à Palma Nova (Majorque) et la panique déclenchée ne sont pas, dans l'esprit des dirigeants de l'ETA, une sinistre commémoration d'anniversaire de l'organisation, mais plutôt un certificat attestant de son existence, la preuve que l'organisation terroriste est toujours vivante malgré les revers qu'elle a subis ces dernières années.

Le plus grand camouflet porté à l'ETA fut la décision du Tribunal européen des Droits de l'homme, rattaché au Conseil de l'Europe (dont le siège se trouve à Strasbourg), confirmant l'interdiction de tous les partis qui composent l'ETA. Ces derniers mois, une série de membres de l'organisation terroriste basque ont été arrêtés par les forces de police françaises et espagnoles. Ses organisations politiques ont été interdites et sa présence au sein des institutions basques s'est vue réduite à une représentation marginale dans certains conseils municipaux.

Pour la première fois dans l'histoire de l'autonomie basque, il n'est plus de force politique qui affiche ouvertement sa lutte violente; au contraire, les partis nationalistes les plus proches de l'idéologie indépendantiste, comme c'est le cas d'Aralar (qui compte quatre députés au Parlement d'Euskadi [Communauté autonome du Pays basque] et cinq à celui de la Navarre) appellent leurs bases abertzales (nationalistes) à marquer leur distance par rapport aux terroristes. La loi espagnole sur les partis politiques, adoptée par le Parlement espagnol et entérinée par le Tribunal strasbourgeois, et le procès visant l'ETA devant l'Audiencia Nacional (l'une des plus hautes instances judicaires d'Espagne), sous la direction du juge Baltasar Garzón, ont privé les commandos armés de toute plateforme légale, de tout financement ou soutiens institutionnels.

Le point culminant de l'isolement de l'ETA procède des initiatives du nouveau gouvernement autonome basque, élu le 1er mars 2009. Pour la première fois, ni le Parti nationaliste basque, ni les formations nationalistes voisines n'y sont représentés. Avec l'élection du dirigeant socialiste basque Patxi López en tant que lehendakari (président), il s'est enfin produit une curieuse alternance, inédite dans l'histoire de l'autonomie basque. Le nouveau gouvernement basque a pris un certain nombre de mesures remarquables qui ont renforcé l'isolement de l'organisation terroriste. Parmi elles, on peut citer l'annulation des aides aux proches de terroristes condamnés et incarcérés dans des prisons espagnoles, la suppression, dans les rues et sur les bâtiments, des symboles, graffitis et drapeaux à l'effigie du groupe armé ou exaltant ses prisonniers et dirigeants, ou encore la restriction d'accès aux médias basques pour les sympathisants de l'ETA.

Ces initiatives ont surtout changé l'attitude de tolérance face aux violences et à l'indifférence à l'égard des victimes. Le nouveau président de la communauté autonome du Pays basque l'a très bien exprimé à travers des gestes symboliques d'affection et de compassion envers les familles des victimes du groupe armé.

L'arrivée du socialisme basque au gouvernement de la Communauté basque est le fruit d'un paradoxe pour le moins intéressant. Le Parti socialiste d'Euskadi a joué un rôle prépondérant dans la négociation entre l'ETA et le gouvernement du chef de l'Etat espagnol, José Luis Rodríguez Zapatero, entre mars et décembre 2006, qui a entraîné la rupture du front antinationaliste tenu par les deux grands partis espagnols, le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol, social-démocrate) et le PP (Parti populaire, conservateur), sous la présidence de José María Aznar. Le socialisme doit, en partie, sa progression électorale à un virage autonomiste qui l'a éloigné du PP et l'a rapproché du PNV (Parti nationaliste basque). Mais sa matérialisation sous la forme d'une majorité gouvernementale est clairement due aux voix des députés du PP, qui ont de fait empêché Juan José Ibarretxe d'accéder à un nouveau mandat de président de la Communauté autonome basque. Rappelons qu'à deux reprises, une première fois sous Aznar, l'autre sous Zapatéro, Ibarretxe avait tenté de lancer un processus souverain de consultation de la population basque, en faisant implicitement concurrence au rôle de leader de l'ETA dans la lutte pour l'indépendance et, en tout état de cause, en comptant directement sur sa base électorale.

L'élimination de la représentation politique des terroristes et la défaite électorale des forces politiques les plus disposées à adhérer à leurs objectifs a également enlevé à l'ETA ses marges d'action. Par le passé, le commandement de l'organisation armée avait déjà manqué une occasion unique en rompant le dernier cessez-le-feu, la troisième trêve déclarée lors de négociations avec le gouvernement espagnol. Cette trahison a définitivement coupé les ponts avec le pouvoir central. L'ETA a négocié avec tous les gouvernements espagnols, quelle que soit leur couleur politique. Elle les a tous trompés.

S'il y a une nouvelle négociation, elle devra strictement concerner les modalités techniques de reddition et de remise des armes et la fin définitive et sans condition des attentats. Personne ne comprendrait qu'il en soit autrement. Mais le plus sage serait que les chefs de file de l'ETA comprennent qu'avec leur campagne d'attentats actuelle - qui, du reste, épuise leurs dernières ressources - ils ont annulé leur droit à l'existence qui leur aurait permis d'envisager une nouvelle trêve et une négociation définitive avec le gouvernement espagnol.

Lluís Bassets, directeur adjoint et chroniqueur du quotidien El País

Traduit par Micha Cziffra

Image de Une: Des gardes civils aux obsèques de leurs camarades assassinés Dani Cardona / Reuters

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