Égalités

Les toilettes, là où trône le genre

Pour tous ceux qui présentent des identités ou des expressions de genres différentes, les toilettes publiques peuvent devenir un véritable cauchemar, un lieu de violence et de harcèlement au quotidien.

<a href="https://www.flickr.com/photos/mikecogh/13161055705/">Unisex toilet</a> / Mike Coghlan via FlickrCC <a href="https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0/deed.fr">License by</a>
Unisex toilet / Mike Coghlan via FlickrCC License by

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Vous est-il déjà arrivé de vous faire jeter des toilettes parce qu’on vous a pris pour un homme qui s’introduit dans les toilettes des femmes? Tous les jours si, comme moi, votre expression de genre plutôt masculine jure avec la signalétique de la porte que vous venez de pousser. Ça arrive aussi aux femmes ou aux hommes trans qui courent le risque de se faire exclure ou insulter par les femmes cisgenres dans les toilettes des femmes. 

Ainsi qu’aux transgenres et autres gender queer et aux personnes trans dont le passing (le fait pour une personne trans de passer comme un homme ou une femme) est insuffisant ou non désiré. Pour tous ceux qui présentent des identités ou des expressions de genres différentes, les toilettes publiques peuvent devenir un véritable cauchemar, un lieu de violence et de harcèlement au quotidien.

Mais la riposte s’organise. Un nombre impressionnant de mobilisations et d’initiatives fleurissent ces derniers temps pour en finir avec cette forme de discrimination. Après tout, les toilettes publiques ne font-elles pas partie de l’espace public au même titre que les restaurants, les transports en commun, les salles de sport ou la piscine? En Thaïlande, dans la province de Chiang Mai, on trouve des toilettes pour les étudiants katoey (ladyboy) et Rio de Janeiro compte des toilettes pour travestis. 

Les étudiants des universités de Washington Northwestern et Columbia pour ne citer qu’elles aux Etats-Unis et des universités de Sussex et de Manchester en Angleterre ont exigé et obtenu le remplacement des toilettes séparées hommes/femmes par des toilettes neutres (gender neutral) accessibles à tous et à toutes. Une variante consiste à proposer des toilettes «tous sexes/tous genres». Aux logotypes traditionnels homme/femme, pantalon/jupe vient s’ajouter une silhouette mi-pantalon mi-robe ou tout autre chose. L’université de York au Canada a choisi d’imbriquer les signes astrologiques masculins et féminins.

Les administrations publiques suivent le mouvement. Philadelphie vient de se doter d’un décret municipal qui oblige les bâtiments publics à se doter d’une toilette neutre en plus des toilettes homme/femme (et à neutraliser tous les sites web et les candidatures pour les jobs de la ville). La ville de San Francisco propose des mesures incitatives pour que les commerces optent aussi pour des toilettes neutres.

Petit lexique

Cisgenre: personnes qui vivent une identité de genre alignée avec le sexe assigné à la naissance. Coïncide en grande partie avec les identités de genres hétéro-normatives. Source de privilèges par rapport aux autres identités de genres minoritaires ou perçues comme anormales. Opposé à Transsexuel pour Cis et à Transgenre pour Cisgenre.


 

Femme trans: personne de sexe non féminin qui revendique à la fois une identité trans et une identité de femme.


 

Homme trans: personne de sexe non masculin qui revendique à la fois une identité trans et une identité d’homme.

 

Transgenre: terme qui regroupe les personnes qui ne souhaitent pas s’identifier comme transsexuels/les en raison de la connotation médicale et pathologisante du terme ou qui revendiquent d’autres identités de genres liées ou non à la construction de sexes alternatifs.


 

Genderqueer: identités de genre qui se situent en dehors du –et en réaction au– binarisme homme/femme hétérosexuel et aux stéréotypes de genre ou personnes qui cumulent plusieurs identités de genres. Terme qui regroupe toutes les identités de genre volontairement dissidentes en relation ou non avec une volatilité en matière d’orientation sexuelle. Les genderqueer peuvent s’identifier comme transgenres.

 

Plus de détails ici

De leur côté, les associations de trans ne sont pas en reste. Le Transgender Law Centre de San Francisco a édité une brochure d’information sobrement intitulée «Peeing in Peace: A Ressource Guide for Transgender Activist and Allies» et les guides permettant de repérer les toilettes neutres ont fait leur apparition sur le web: Refuge vient de prendre le relais de l’excellent mais défunt Safe2pee et les étudiants de l’université de Californie Santa Barbara se sont lancés dans une évaluation de l’accessibilité des toilettes avec un projet qui répond au doux nom de PISSAR (People in Search of Safe and Accessible Restrooms).

A chaque fois, l’objectif est le même: une politique de l’espace public inclusive qui dépasse largement les cercles LGBT ou queer.

Auparavant, les toilettes pour handicapés étaient invariablement intégrées dans les toilettes pour femmes. En accord parfait avec l’infantilisation, la féminisation et la désexualisation dont le corps de la personne handicapée fait l’objet dans les sociétés occidentales.

Pour autant, les toilettes ne sont pas des lieux neutres pour les LGBTQ. Les gays les ont ré-investis comme des lieux de drague et de sexe anonyme, même quand la baise dans les chiottes n’était plus une solution comme au temps de la prohibition du sexe homosexuel. Les lesbiennes s’y sont mises dans les années 1990 et avoir un rapport sexuel dans les toilettes des bars devint un must. Une toilette trans vient d’être mise à disposition à la Mutinerie, le bar queer situé à deux jets de Beaubourg. 

Comme si les toilettes permettaient aussi de délimiter un espace différent qui veut repousser les limites de l’espace hétérocentré. Un espace sex-positive et moins sexophobe: les chiottes ne sont pas seulement des nids de bactéries des pubs télé mais aussi des lieux de baise en dehors de la chambre à coucher qui nous rappelle que le sexe n’est jamais une affaire privée. 

Queer Bathroom Monologs.

C’est également ce qui ressort de l’enquête de la sociologue canadienne Sheila L. Cavanagh qui a, en 2010 , interviewé 100 personnes LGBTQ dans les grandes villes américaines et canadiennes pour analyser le rôle que jouent les toilettes dans leur négociation des identités sexuelles et de genre en public.

Mais Sheila L. Cavanagh a poussé plus loin l’aspect toilet-positiv. Un an plus tard, le livre s’était transformé en une pièce de théâtre, Queering Bathroom Monologs jouée à Toronto puis New York. La version expanded des Monologues du vagin, en somme.

 Pour Canavagh, le problème n’est pas que les toilettes soit genrées mais le fait qu’elles puissent légitimer une police des genres normative, violente et restrictive: 

«Les toilettes ne devraient pas donner le droit à quiconque de définir ce qui fait un homme ou une femme à la place des autres.»

Elle appelle de ses vœux des designs et des architectures de toilettes plus ouverts qui permettent aux usagers de resignifier ces endroits à leur convenance: 

«La fonction de la signalétique des toilettes n'est pas d'être claire en soi mais d’ouvrir un espace qui puisse permettre de cultiver des manières nouvelles et inédites d’être genré et sexuel dans le paysage social.»

Cette utopie peine à trouver traduction en France. Non que les gender variants de tout poil, les personnes trans et handis n’y rencontrent pas les mêmes difficultés et ne soient pas exposées aux mêmes discriminations. Dans mon université, le premier «plan handicap» avait certes construit des rampes d’accès, mais elles conduisaient toutes direct aux toilettes pour femmes.

Mais quand on voit l'hystérie qu'ont déclenché le mariage gay et l'épouvantail de la «théorie du genre», il y a fort à parier qu'il serait mal venu de lancer les toilet studies dans l'Hexagone.

Dans un pays qui est devenu le musée de la différence sexuelle et dont le conservatisme en matière de culture sexuelle est patent, on voit mal comment les toilettes françaises ne resteraient pas un puissant opérateur de genre au service de sa protection et de la police des genres, au même titre que le sport ou les salons de coiffure.

Il est d’ailleurs amusant de voir que c’est en France que serait apparue pour la première fois des toilettes séparées en 1739 dans un restaurant parisien à l’occasion d’un bal. Mais qu’on le veuille ou non, les politiques des toilettes inclusives qui favorisent la prolifération des expressions de genre vont de paire avec l’actualité des revendications en matière d’acceptation de la diversité des genres et des corps.

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