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A Roland-Garros, les femmes ne sont pas là pour faire le service

Le service est l’un des coups les plus importants du tennis et pour les femmes, il constitue pourtant un casse-tête plus épineux que les autres.

Angelique Kerber, le 25 mai 2014 à Roland-Garros. REUTERS/Gonzalo Fuentes
Angelique Kerber, le 25 mai 2014 à Roland-Garros. REUTERS/Gonzalo Fuentes

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Au musée des petites horreurs de Roland-Garros, la finale féminine de l’édition 2004 est posée en évidence sur une étagère déjà pleine de poussière. Cette année-là, fait historique, deux joueuses russes s’étaient retrouvées opposées pour la première fois en finale d’un tournoi du Grand Chelem.

Mais ce sommet moscovite, tenu à Paris, accoucha d’une souris dépressive au terme d’un match que personne n’oserait revoir aujourd’hui sauf Anastasia Myskina, la gagnante, victorieuse cet après-midi-là de sa compatriote Elena Dementieva.

D’une durée de 59 minutes, la partie avait été parsemée d’erreurs et marquée par un total de 15 doubles fautes en seulement 15 jeux (6/1, 6/2). La plus «coupable» au service avait été Elena Dementieva, auteure de 67 doubles fautes en sept matches dont 10 pour cette seule finale. «Je hais mon service», avait-elle même fini par crier à la foule au début du deuxième set.

Pendant toute sa carrière, le service a été le talon d’Achille de la joueuse russe, championne olympique en 2008, mais qui n’a jamais remporté un titre du Grand Chelem à cause, en partie, de ce problème de mise en jeu. Son souci était à la fois technique et psychologique comme le relevait à l’époque Mélanie Maillard, psychologue, au sujet de ses doubles fautes à Roland-Garros:

«Plus on avance dans le tournoi, plus la moindre fragilité prend des proportions importantes d’autant que les medias au fil des tours insistent sur cette faiblesse lors des conférences de presse. Et cela devient une sorte d’obsession qui finit par vous consumer et par vous faire perdre vos repères

Le service est l’un des coups les plus importants du tennis et l’un des plus «faciles» à contrôler car c’est le seul en définitive qui dépend entièrement du seul joueur qui doit s’adapter sinon en permanence aux répliques de celui qui lui fait face.

Un nombre élevé de doubles fautes

Pour les femmes, il semble constituer pourtant un casse-tête plus épineux que les autres. C’est un coup qu’elles maîtrisent moins bien que les hommes comme le montre donc leur nombre parfois élevé de doubles fautes y compris pour des championnes de la trempe de Maria Sharapova, une habituée des «doubles» avec des crises aiguës à l’occasion. Le nombre de doubles fautes ne dit pas tout du service (les vitesses en deuxièmes balles sont aussi un bon indicateur), mais il offre néanmoins un bon angle de vue.

Lors du premier tour du dernier Open d’Australie, les hommes ont ainsi commis 620 doubles fautes pour un total de 228 sets disputés (moyenne: 2,7 doubles fautes par set). Au même stade de la compétition, ces dames en ont cumulé 530 pour un total de 135 sets (moyenne: 3,9 doubles fautes par set, soit 44% de plus).

Sur l’ensemble de la quinzaine, le vainqueur de cet Open d’Australie, Stanislas Wawrinka, a servi 19 doubles fautes en 28 sets quand la gagnante, Li Na, a, elle, atteint le total de 18 en seulement 15 sets.

Avant que le service ne devienne un véritable stress en fonction de la nervosité montante au fil des doubles fautes et ne suscite éventuellement des yips bien connus au golf, il constitue en premier lieu un défi technique et physique. C’est d’abord un coup qui s’apprend et se travaille. Or, il est un peu négligé par les femmes selon Patrick Mouratoglou, l’entraîneur français de Serena Williams, n°1 mondiale et tenante du titre à Roland-Garros:

«L’importance accordée à ce coup est insuffisant dans le tennis féminin. A chaque entraînement, les joueuses ne consacrent que très peu de temps au service, ce qui ne constitue pas une démarche constructive pour le développement d’un coup fort

Une explication physique peut étayer l’approche relativement passive de ce coup: «Le geste du service s’apparente à celui du lancer qui semble être plus naturel chez l’homme que chez la femme, détaille-t-il. C’est la raison pour laquelle, il réclame beaucoup plus de travail pour obtenir le même résultat dans le tennis féminin.»

«Revenez à votre enfance et rappelez-vous vos tentatives de ricochets sur l’eau, remarque Georges Deniau, ancien entraîneur de l’équipe de France de coupe Davis. Vous vous souviendrez probablement que les petits garçons avaient plus d’aisance dans ce domaine.» Il n’y a heureusement aucune fatalité dans ce domaine, on y reviendra.

Faible inititiation du service, sauf chez les Williams

De manière inversée sur le plan psychologique par rapport à l’état d’esprit des hommes, les femmes aborderaient aussi le service de manière défensive quand leurs homologues masculins auraient une démarche plus offensive. «Aujourd’hui, on apprend aux joueuses à développer une grande agressivité dès le retour de service, explique Patrick Mouratoglou. La serveuse se trouve donc très souvent sous pression, toute l’année, dans la majorité de ses matches et “conçoit” son service comme une faiblesse potentielle qui va susciter l’attaque adverse

Le retour, qui n’est rien d’autre qu’un coup droit ou en revers, est un coup «facile» car il ne nécessite pas, il est vrai, un apprentissage particulier, ce qui n’est pas le cas du service. «Je regrette qu’en France, la simple initiation par laquelle passe tout débutant ne soit pas meilleure, regrette Georges Deniau. Je dirais même qu’elle est très, très, très faible et notamment donc au niveau de la première maîtrise du service pour les petites filles.»

Si le niveau du service reste relativement moyen au plus haut niveau féminin, il existe tout de même de rares exceptions d’excellence à commencer par Serena Williams qui s’était imposée sur un ace à Roland-Garros en 2013 et qui comptait 194 aces en 26 matches en 2014 avant le début de ce Roland-Garros. Mais il n’y a pas de mystère en ce qui la concerne. «Sa technique s’approche de la perfection car elle a commencé à servir en apprenant à lancer, raconte Patrick Mouratoglou. Son père avait récupéré de nombreuses raquettes de tennis usagées et cassées et il s’en servait en apprenant à ses filles à les jeter au-dessus du grillage. Son timing est parfaitement juste notamment en ce qui concerne la coordination haut-bas

En deuxièmes balles, il n’est pas rare de voir Serena Williams tenter un ace. Elle a la même approche mentale sur ce point que Pete Sampras, probablement le meilleur serveur de tous les temps, qui «tentait» beaucoup sur ses «deuxièmes», persuadé d’être gagnant sur le long terme en faisant le bilan du nombre de points gagnés par rapport au nombre de doubles fautes.

Un faible service comme arme

Un service insuffisant sur le circuit féminin ne vous prive pas, cependant, d’une belle carrière comme l’attestait naguère Elena Dementieva ou comme le prouve aujourd’hui l’Italienne Sara Errani, 5e mondiale en 2013, dont le service relève presque plus de la «poussette» que d’autre chose.

Cette mise en jeu «anémique», qui privilégie la sécurité avec des pourcentages de premières balles élevés, a même le don de se transformer parfois en un avantage tant elle désoriente les joueuses placées de l’autre côté du terrain qui n’ont pas l’habitude de relancer des balles aussi molles. Elles peuvent ne pas savoir les négocier en voulant frapper trop fort sur cette cible trop évidente à première vue. Et l’«arrosage» n’est jamais loin.

De manière presque bizarre, le tennis, qui a vu grossir des entourages pléthoriques autour des champions, ne s’est pas doté de spécialistes uniquement dédiés au service —il y aussi des hommes qui servent très moyennement— comme il existe des coaches pour le swing et le petit jeu au golf ou le shoot au basket. «J’espère que cela ne sera pas le cas, soupire Georges Deniau. Car un bon entraîneur de tennis doit être un spécialiste de tous les coups. S’il existe des services peut-être trop justes sur le circuit féminin, alors c’est probablement parce que leurs coaches ne sont pas assez compétents

Yannick Cochennec

NB: A titre comparatif, en termes de vitesse, au dernier Open d’Australie, le service le plus rapide chez les hommes a été mesuré à 234km/h et a été frappé par l’Australien Samuel Groth. Du côté des dames, l’Ukrainienne Nadiya Kichenok s’est montrée la plus puissante avec une première balle à 202km/h.

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