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#BringBackOurGirls: attention, les bons sentiments ne servent à rien

L’indignation planétaire suscitée par l’enlèvement de plus de 200 jeunes Nigérianes n’a été déclenché que par le hashtag #BringBackOurGirls. Elle risque de rester sans effet et de se dissiper aussi rapidement qu’elle est apparue.

Manifestation à Lagos, le 5 mai. REUTERS/Akintunde Akinleye
Manifestation à Lagos, le 5 mai. REUTERS/Akintunde Akinleye

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Plus de 200 jeunes filles sont toujours prisonnières du groupe terroriste nigérian Boko Haram, affaire qui a attiré l’attention du monde entier sur l’insurrection qui sévit dans la région depuis plusieurs années.

Cette semaine, à Gamboru Ngala, ville du nord du Nigeria, un groupe de militants appartenant probablement à Boko Haram a tué des centaines de personnes à la kalachnikov, au lance-roquettes et en mettant le feu à leurs maisons. Comme le remarque Adam Nossiter du New York Times, «Les écolières disparues ont attiré l’attention du monde et mercredi, la Grande-Bretagne, la Chine et la France ont fait de nouvelles propositions d'aide au gouvernement nigérian. Or, l’attaque mortelle de Gamboru Ngala par Boko Haram ressemble fort à de nombreuses autres menées au cours de ces dernières années, qui n’ont pas ou peu été remarquées ailleurs qu’au Nigeria

L’enlèvement des jeunes filles est une abomination sans précédent—qui apparemment met même al-Qaida mal à l'aise—mais dont on ne peut dire que le contexte ne s'y prêtait pas, et il n’est pas déraisonnable de se demander si le soudain intérêt de la part des médias sociaux et traditionnels a une quelconque utilité.

Zeynep Tufekci verbalise le sentiment de malaise qui touche un grand nombre de gens suite à la rapide diffusion de la campagne #BringBackOurGirls sur les médias sociaux hors des frontières du Nigeria. Au-delà de ce phénomène particulier, elle se demande si «l’attention» et «la prise de conscience» sont en soi des facteurs souhaitables en cas de crise humanitaire. Voici ce qu’elle écrit:

Je me méfie car l’attention, comme le dit le proverbe turc au sujet de l’alcool, ne reste pas hors de la bouteille aussi tranquille, sereine et paisible qu’elle en avait l’air à l’intérieur. Une fois lâchée, l’attention déploie ses propres ailes puissantes et destructrices et crache du feu que ceux qui l’ont libérée contrôlent souvent très mal. Parce que l’attention me fait peur, surtout lorsqu’elle est maniée par les faibles, qui ont besoin d’attention plus que quiconque, parce qu’elle leur échappe très rapidement. Parce que l’attention, comme tout dans le monde, ne vit pas dans un contexte hors-pouvoir.

L’attention peut pousser à identifier à tort quelqu’un comme étant l’auteur de l’attentat du marathon de Boston—et mettre sa vie en danger; l’attention n’a heureusement pas conduit à une intervention extérieure massive en Ouganda (mais je me demande à quel point elle a compliqué, pour ce pays, la tâche de panser ses blessures, ce qu’il était seul à pouvoir faire?) mais cela aurait pu arriver; l’attention a même déclenché l’un des pires massacres de masse en Irak—lorsque l’indignation suscitée par le meurtre brutal d'une jeune fille yézidie a été transformée par des militants en une campagne meurtrière. Il est de plus en plus évident que l’attention  (posthume) est ce quien partie en tout casmotive les jeunes hommes dérangés qui se déchaînent et tuent des étudiants aux États-Unis.

Le fait que plus de trois semaines après l’enlèvement des jeunes filles le gouvernement se sente sous pression est une bonne chose, mais il ne faut pas négliger les risques qu’impliquerait une intervention trop rapide ou irréfléchie. Comme l’a rappelé le Financial Times, «les tentatives antérieures de libérer de plus petits groupes d’otages aux mains de militants de Boko Haram ont conduit à leur assassinat.» (Pensez-y quand vous lirez des gens comme l’animateur de télévision britannique Piers Morgan, qui affirme qu’il suffirait pour tout régler que les États-Unis envoient la Delta Force). Et l’armée nigériane elle-même a violé les droits de l'homme en combattant le groupe dans le passé.

Les similitudes entre #BringBackOurGirls, la campagne de médias sociaux qui a décollé ces derniers jours grâce notamment à des coups de pouce de gens comme John Kerry, Chelsea Clinton ou Chris Brown, et #Kony2012, la campagne au succès phénoménal mais dangereusement simpliste et trompeuse autour de l’Armée de résistance du seigneur qui a démarré il y a deux ans, sont évidentes. Bien que, comme le souligne Adam Taylor, il y ait quelques différences cruciales.

Pour commencer, la campagne #BringBackOurGirls a démarré au Nigeria, elle n’a pas été créée par une ONG américaine vendant des bracelets. Plus précisément, elle semble avoir été lancée par Obiageli Ezekwesili, ancien ministre de l’Education nigérian.

En outre, elle a un but précis—le retour des jeunes filles—et n’est pas juste une vague proposition d’inciter les gouvernements à faire quelque chose au sujet d’un groupe qui avait déjà des années de forfaits à son actif avant que les twittos américains ne décident de se pencher sur son existence.

D’un autre côté, comme le remarque le romancier nigérian Teju Cole, l’adoption du hashtag par tous, de Piers Morgan qui dispense de douteux conseils militaires à la police nigériane elle-même, décrédibilise quelque peu le message.

Le retour des jeunes filles nécessitera sûrement soit une opération militaire risquée, soit des négociations controversées, et toute cette attention internationale ne va probablement accélérer aucun des deux processus. Mais il est clair que le gouvernement nigérian, qui se trouve être également en train d’accueillir une réunion du Forum économique mondial et cherche à se présenter comme un moteur économique émergent, ressent déjà une bonne pression pour ne pas qu’un tel événement se reproduise. Un exemple: un projet international soutenu par des chefs d’entreprise nigérians visant à sécuriser les écoles du pays a été dévoilé pendant la conférence de cette semaine.

#BringBackOurGirls—que ce soit le hashtag lui-même ou la grande campagne qu’il a déclenchée—ne va peut-être pas mettre un terme à cette crise-là, mais s’il contraint le gouvernement à s’attaquer aux racines de la violence dans le pays et s’il permet aux filles d’être scolarisées dans de meilleures conditions de sécurité, il peut avoir des effets positifs.

Au final, nous savons par expérience que l’attention internationale va rapidement se détourner. La question est de savoir si cette crise va marquer un virage décisif au sein du Nigeria, et si ses citoyens indignés vont pouvoir maintenir la pression.

Joshua Keating

Traduit par Bérengère Viennot

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