Sports

Mourinho viré de Chelsea: comment il était devenu le prince des entraîneurs

Après une série de mauvais résultats, The Special One a été limogé de son club de Chelsea jeudi 17 décembre. En 2014, nous avions expliqué pourquoi il semblait s'inspirer des thèses de Machiavel pour dominer le football européen.

José Mourinho, le 24 novembre 2015 I Reuters / John Sibley
José Mourinho, le 24 novembre 2015 I Reuters / John Sibley

Temps de lecture: 5 minutes

Mise à jour: Cet article d'avril 2014 a été mis à jour après le limogeage de José Mourinho de son poste d'entraîneur de Chelsea le 17 décembre 2015.

Le voilà aujourd'hui à terre. Mais avant de se faire licencier de Chelsea pour les mauvais résultats de ce début de saison (16e du championnat à 20 points du leader Leicester), José Mourinho a connu les sommets du foot européen. En mai dernier, il remportait son troisième titre de champion d'Angleterre. Le premier depuis son retour à Chelsea en 2013. Malgré un palmarès impressionnant, la manière, elle, a fait l'objet de nombreuses critiques. 

À l'occasion du match aller des demi-finales de la Ligue des champions, mardi 22 avril 2014, entre l’Atletico Madrid et Chelsea, de nombreux amateurs de football à travers le monde –pas ceux de Chelsea très sûrement– s'étaient par exemple insurgés devant l’«anti-football» proposé par l’équipe de José Mourinho dans l’antre brûlante du stade du stade Vicente-Calderon. Le planète football attendait avec gourmandise cette affiche entre l’incroyable surprise de la saison, l’Atletico Madrid, avec à sa tête l'étoile montante des entraîneurs Diego Simeone et José Mourinho, ancien coach du Real Madrid qui revenait en Espagne auréolé de l’exploit de ses Blues, qui ont éliminé après un beau retournement de situation le PSG en quarts de finale.

Mais le spectacle a viré à la gabegie, sans buts ni occasions. La faute notamment à la tactique ultra-défensive du Special One. «Le Chelsea qu’on a vu hier est un pur produit de Mourinho, une équipe qui se fait détestable, repoussante, antipathique par son obsession de jouer à tout sauf au football», pouvait-on lire dans le quotidien espagnol Marca, le lendemain du match. 

Ses détracteurs –et ils sont très nombreux– disent du «Mou» qu’il détruit le football. Ses partisans, eux, soutiennent que le technicien portugais est simplement pragmatique face à plus fort que lui. Et si l’on lit le philosophe florentin de la Renaissance Nicolas Machiavel et son célèbre traité politique Le Prince, ils ont raison. Voici en cinq raisons pourquoi.

1.Une prise de pouvoir par l’habileté

Pour Nicolas Machiavel, la voie la plus fiable pour s’emparer du pouvoir est celle de «ceux qui sont devenus princes par leur propre vertu et non par la fortune». Si dans le monde du football de haut niveau les entraîneurs n’arrivent jamais sur le bancs des grandes équipes par le seul biais de la fortune –qui est plus ou moins le hasard–, José Mourinho s’est hissé à la tête des plus grands clubs du monde (Chelsea, Inter de Milan, Real Madrid) à la seule force de son poignet. Le technicien portugais n’a –contrairement à beaucoup de ses homologues–  en effet jamais percé comme joueur dans le football professionnel. Footballeur médiocre, il s’est contenté de quelques apparitions en D2 portugaise.

Mais par ses qualités de polyglotte –il parle couramment le français, l’anglais, l’espagnol, l’italien et le portugais– et ses capacités intellectuelles, le «Mou» signe son premier tour de force à pas même 30 ans en se faisant embaucher par le Sporting Lisbonne pour aider le nouvel entraîneur star du club lisboète, Bobby Robson, à diriger l’équipe. Et l’Anglais, coach mythique, n’était pas avare de compliments envers le jeune José, comme le révèle le journaliste anglais Patrick Barclay dans Further anatomy of a winner, sa biographie de Mourinho.

«Il écoutait, il apprenait, il regardait, il retenait. Il était brillant, vif et intelligent. Mais ce que j’aimais le plus, c’est que lorsque je disais à José de dire quelque chose à un joueur, j’avais toujours le sentiment qu’il le disait de la manière dont je l’aurais dit», disait Bobby Robson, qui l’emmènera ensuite avec lui à Barcelone. José Mourinho se servira comme tremplin de cette expérience barcelonaise pour lancer ensuite sa carrière d’entraîneur au Portugal.

Pour Machiavel, «les occasions dues à la fortune» sont cependant nécessaires, même aux grands hommes, pour prendre le pouvoir. Pour Mourinho, cette fortune porte le nom de Bobby Robson. «Ce fut par leur habileté qu’ils surent mettre à profit les grandes occasions pour la grande prospérité et la gloire de leur patrie», précise Machiavel.

2.L’art de dissimuler

«Le prince doit combattre en homme et en bête, c’est-à-dire avec les lois et avec la force; et la bête doit avoir la force du lion et la ruse du renard», écrivait Machiavel, pour qui le prince doit aussi «posséder parfaitement l’art et de simuler et de dissimuler».

La «ruse du renard», c’est tout José Mourinho. En 2005, lors de son premier passage à Chelsea, il est interdit de banc lors d’un quart de finale de Ligue des champions face au Bayern Munich pour des propos qui ont conduit l’arbitre Anders Frisk à mettre sa carrière entre parenthèses.

Le technicien portugais assiste donc officiellement au match devant la télé chez lui... Deux ans plus tard, deux journaux anglais révèlent que selon des témoins présents dans le vestiaire ce soir-là, «Mou» aurait en fait trouvé le moyen d'accéder au vestiaire avant le match et pendant la mi-temps, en se cachant dans un chariot servant au transport des équipements des joueurs.

On le soupçonne également d'avoir transmis ses instructions sur le banc via Rui Faria, le préparateur physique, et une oreillette cachée sous son bonnet. Ou «l’art de dissimuler».

3.Fuir les flatteurs

Se laisser flatter est une «erreur» et le prince ne doit pas «se laisser corrompre par cette peste», professait Machiavel. Une leçon que José Mourinho a bien apprise. Même si le coach portugais, qui affiche en 685 matchs de carrière de coach la statistique hallucinante de 67,59% de victoires, l'applique comme souvent de manière théatrâle.

Pendant longtemps –il ne le fait plus actuellement à Chelsea– The Special One envoyait son entraîneur adjoint à sa place en conférence de presse en cas de victoire, et s’y rendait lui-même en cas de défaite. Une manière de dire aux journalistes «que la victoire appartient aux joueurs», et d’assumer sa responsabilité en cas de défaite. Mais bien sûr, tel un prince qui ne doit rien à la fortune, Mourinho estime être l’artisan principal de ses victoires.

4.Abaisser les grands

«Le prince doit se défendre contre les attaques extérieures, pour cela il lui suffit de bonnes armes», écrit Machiavel.  Parmi ces armes, «le prince peut avoir besoin d'abaisser les grands» pour «s’attirer le soutien de son peuple».

Le technicien portugais, qui souffre peut-être de ne pas avoir fait carrière comme joueur, s’est justement fait une spécialité de descendre en flamme les plus grands entraîneurs. Histoire d’enlever une part de pression médiatique à ses joueurs avant les grands rendez-vous.

Lors de sa rivalité aiguë avec Pep Guardiola, quand ce dernier dirigeait le Barça et lui le Real, le «Mou» moquait régulièrement son rival en conférence de presse. Une tradition qu’il perpétue avec Chelsea, où il ne se prive jamais de fusiller avec les mots ses concurrents.

Avant un match décisif dans la lutte pour le titre de champion d’Angleterre face à Arsenal en mars, Mourinho s’en était pris au Français Arsène Wenger, personnage hautement respecté du football britannique avec plus de 1.000 matchs au compteur à la tête des Gunners:

«Wenger c’est un spécialiste de l’échec, pas moi. S’il a raison et que j’ai peur d’échouer, c’est parce que ça m’est rarement arrivé. La vérité, c’est que lui est un spécialiste. Huit ans sans le moindre trophée, ça c’est un échec.»

Pour détourner les critiques de son équipe et «ménager le peuple». En d’autres mots: ses joueurs.

5.Le prince doit construire des forteresses

«Le prince doit construire des forteresses s’il craint son peuple, pour se réfugier en cas de rébellion», théorisait Machiavel. José Mourinho, lui, ne craint peut-être pas son peuple (même si son histoire d’amour avec Madrid s’est terminée en divorce avec les supporters) mais se passionne dans la construction de forteresses.

Sa plus fameuse? La muraille impénétrable qu’il avait bâtie avec l’Inter de Milan face à Barcelone en demi-finale de Ligue des champions le 28 avril 2010 pour défendre son avantage du match aller face à ce qui était la meilleure équipe d’Europe. Réduit à 10 dès la demi-heure de jeu, son équipe avait terminé à 10 dans sa surface.

Un spectacle qui avait choqué l’Europe déjà, comme le bus londonien garé devant le but de Chelsea face à l’Atletico finalement.

Mais en cas de nouvelle qualification pour la finale de la Ligue des champions (il a déjà remporté l’épreuve deux fois) ce mercredi 30 avril à l’issue de la manche retour entre Chelsea et l’Atletico, le technicien portugais pourrait s’affubler du surnom «Mourinho le Magnifique». C’est au prince florentin Laurent Le Magnifique que Nicolas Machiavel avait en effet dédicacé son œuvre.

cover
-
/
cover

Liste de lecture