Culture

Les poèmes visuels de Bill Viola

La rétrospective Bill Viola au Grand Palais à Paris couvre près de 40 ans du travail de l’artiste américain, l’un des pionniers de l’art vidéo, dont l'objectif est de «réveiller l'âme».

Ascension 2000 Installation vidéo sonore, 10 minutes performeur: Josh CoxxBill Viola Studio, Long Beach, Etats-Unis Photo Kira Perov
Ascension 2000 Installation vidéo sonore, 10 minutes performeur: Josh CoxxBill Viola Studio, Long Beach, Etats-Unis Photo Kira Perov

Temps de lecture: 5 minutes

Bill Viola s’est-il trompé d’époque? Ce n'est pas que l’artiste, l’un des plus grand de la vidéo, pratique un art désuet. Bien au contraire. Mais muni d’une palette digitale, il décline sur pellicule ou vidéo, un art emprunt de lenteur, demandant au spectateur un réel effort pour suspendre le temps au cours de sa visite. C’est risqué, au moment où certains se demandent combien de temps faut-il consacrer à regarder un œuvre dans un musée. Bill Viola impose lui d’emblée son propre rythme. En entrant pour découvrir la rétrospective qui lui est consacrée au Grand Palais, oubliez tout. Laissez vous embarquer pour un voyage introspectif, une expérience unique au gré de la vingtaine d’œuvres, des cinquante écrans et des heures d'images, qui couvrent près de 40 ans du travail de l’artiste, l’un des pionniers de l’art vidéo. C’est une œuvre presque impossible à raconter et à résumer, mais sa gamme émotionnelle est sans doute la plus vaste. Et cette exposition a le mérite de baliser, pour la première fois, le parcours artistique de l’américain.

Une nouvelle forme d'art

Bill Viola a beau être l’un des artistes les plus exposés, rien que l’an passé une quinzaine d'expositions étaient organisées dans le monde, son travail reste surprenant et inclassable. La meilleure illustration de cette reconnaissance? Il était sollicité par le Vatican pour représenter le micro Etat pontifical lors de sa première participation à la Biennale de Venise en 2013. Il a décliné l’invitation.

Né en 1951 à New York, Bill Viola est presque venu au monde avec la vidéo, artistiquement s’entend. Au début des années 1970, alors qu’il commence à étudier les arts visuels et la musique électronique à l’université de Syracuse, il expérimente progressivement une nouvelle forme d’art en manipulant des signaux, en combinant des technologies dans des laboratoires, en trafiquant les images animées, des sons. Il bricole déjà ses premières installations vidéo. Il crée, avec d’autres disséminés dans des laboratoires, plutôt que dans des ateliers, une nouvelle forme d’art. Son travail ne rencontre pas tout de suite  le succès... ou même la compréhension loin s’en faut «beaucoup de critiques ne comprenait pas la vidéo. J’avais de mauvaises critiques. Les réalisateurs ne comprenaient pas plus ce que nous faisions. Il y avait de vraies bagarres entre les cinéastes et vidéastes. Je fus le témoin de l’une d’entre elle.»

Les grands thèmes de l'existence

Ses supports sont des instruments du XXIe siècle, des moyens à la technologie sûre et précise: une caméra, de la pellicule ou de la vidéo, des ordinateurs. Son travail reste toutefois très éloigné du cinéma ou de la télévision même si ses «tableaux en mouvement» nécessitent parfois autant de moyens techniques qu'une super production. Au départ Bill Viola imagine une image, parfois il crayonne une esquisse. C’est lors du passage à la réalisation que cela se complique tant sa vision initiale représente le plus souvent un défi technique. 

Pour réaliser ses images, il utilise des plans fixes, presque sans mobilité et sans dialogue. Il découpe seconde par seconde, plan par plan pour un résultat qui doit s‘adresser au plus profond de nos sens ou de nos émotions.

 

ZOOM SUR 4 OEUVRES EXPOSÉES AU GRAND PALAIS

Tristan's Ascension

Cette vidéo fait partie du Tristan Project, une série comprenant cinq vidéos. Son inspiration provient de la scénographie qu’avait conçue Bill Viola pour Tristan et Iseult, l’opéra mis en scène par Peter Sellars et accompagné par l’orchestre philharmonique de Los Angeles. 

Un homme est allongé sur une dalle de pierre. Quelques gouttes apparaissent. L’eau se déchaîne, et soulève peu à peu le corps de l’homme, jusqu’à le faire disparaître de l’écran. L'écoulement de l'eau et les gouttes diminuent lentement, jusqu'à ce que la dalle soit vide et que l’espace soit à nouveau vide et noir .

Ascension

Réalisée en 2000, cette vidéo montre un homme entrant dans l’eau, il s’enfonce lentement les bras en croix. A mi-chemin, l’homme ralentit dans sa descente avant de s’arrêter, son corps reste suspendu puis remonte et disparaît. Une lumière latérale, bleue, l’éclaire.

Fire Woman

Cette œuvre, réalisée en 2005, appartient aussi au cycle du Tristan Project. Elle met en scène une silhouette féminine qui se dresse devant un mur de flammes. Au bout de quelques minutes elle avance, tend les bras et plonge dans l’eau et disparaît dans son propre reflet puis l’eau et le feu peu à peu se confondent...

The Deluge

Réalisée en 2002, l’œuvre appartient à un cycle de cinq «projected images»: Going Forth By Day, inspiré par des épisodes de la Bible. Les fresques de Giotto pour la chapelle Scrovegni de Padoue ont servi de modèles, en particulier pour l’un des épisodes, The Voyage – un autre, The Path, s’inspire d’une scène de chasse de Paolo Uccello.

Dans Thhe Deluge, une maison se dresse dans une rue animée et on assiste à la vie quotidienne. Puis brusquement la maison est envahie par l’eau, puis survient un véritable déluge emportant tout sur son passage. Pour réaliser cette vidéo, Bill Viola a demandé l’aide du spécialiste hollywoodien des scènes d'inondations en tous genres, Robbie Knott.

Sa matière première, Bill Viola la tire des grands thèmes de l'existence, de la tradition, de rituels tirés de tous les systèmes de croyance, du christianisme au bouddhisme, de taoïsme au soufisme en passant par le chamanisme. Une démarche spirituelle presque militante. «L'art est pour moi, le processus pour essayer de réveiller l'âme. Parce que nous vivons dans un monde industrialisé trépidant qui préfère que l'âme reste endormie.» Pour mener ses quêtes Bill Viola travaille avec Kira Perov, sa femme et collaboratrice de la première heure.

Noyade mystique

Sa référence ininterrompue, l’élément qui apparaît dans presque toutes ses 150 œuvres est l’eau, symbole de vie.

«J'ai une réelle affinité envers elle. Et c'est comme ça que mon art a commencé, vraiment

L’eau renvoie l’Américain à une expérience de noyade mystique vécue, quand il avait 6 ans.

«Un jour, je suis tombé dans un lac, et j’y serai bien resté si mon oncle ne m’avait pas extrait, tellement c’était beau et tellement je me sentais bien.»

Une source d’inspiration qu’il réinterprète et nuance de mille et une façon.

Dans The Reflecting Pool  (Le bassin miroir) (1977-79) l’eau serait comme un baptême invisible pour un homme plongé dans une piscine qui n’en ressort que sept très longues minutes plus tard.

Dans le récentThe Dreamers (Les rêveurs) (2013), les sept personnages immergés dans l'eau semblent dormir, n’ayant pas besoin de respirer, ils symboliseraient l'immortalité. Ou dans Ascension (2000), un corps en croix est plongé dans l’eau avant de s’élever peu à peu et d’être finalement hors de vue.

Dans Surrender (l'abandon) (2001), un diptyque composé de deux écrans muraux rectangulaires installés l'un au-dessus de l’autre, le buste d’un homme et celui d’une femme, penchent progressivement, alors que leurs visages s'enfoncent dans un plan d'eau sombre, créant des ondulations à la surface comme un miroir.

Enfin, dans Going Forth By Day (Sortir au jour) (2002), son travail le plus important et le plus complexe pour le moment, il utilise une distribution de près de 100 personnes et dispose de cinq scènes différentes projetées sur cinq murs différents, à l’instar d’une vaste représentation rappelant les fresques de Giotto dans la basilique de Saint-François d'Assise, en Italie.

«Mes œuvres racontent un voyage à travers la vie

L’Américain tente de rendre visible ce qui ne l’est pas, et utilise pour cela les médiums de la technologie moderne.

Anne de Coninck

Rétrospective Bill Viola au Grand Palais,
 entrée Square Jean Perrin, Champs-Elysées, jusqu'au 21 juillet 2014, de 10h à 22h du mercredi au samedi et de 10h à 20h le dimanche et le lundi. Fermeture le mardi.

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