Life

Dix choses que j'ai apprises sur moi-même grâce à la neuroscience

Entre autres: un scanner du cerveau révèle très peu de choses sur nous-mêmes en tant qu’individus.

La «plantation de cerveau», statue de Suharyanto Tri, en Indonésie.  REUTERS/Dwi Oblo
La «plantation de cerveau», statue de Suharyanto Tri, en Indonésie. REUTERS/Dwi Oblo

Temps de lecture: 6 minutes

C'est par une fraîche journée d’octobre, dans un café de Greenwich Village, que le neuroscientifique David Poeppel, de l’université de New York, a ruiné mon rêve: écrire LE livre de référence sur la science de la personnalité.

J’avais naïvement pensé pouvoir joyeusement jongler avec les génotypes, les scanners de cerveaux et les tests de personnalité pour expliquer de quelle manière des individus uniques et pleinement conscients émergent de la matrice originelle.

Mais au lieu de cela, je me suis retrouvée à me débattre avec des concepts empiriques tortueux qui me glissaient constamment entre les mains. Comment une humble auteure de livres scientifiques pouvait-elle prétendre tirer la substantifique moelle d’un sujet aussi incroyablement complexe alors que les plus grands penseurs actuels ne sont toujours pas parvenus à déterminer ce qui fait de nous ce que nous sommes?

«Laissez tomber. Comment voulez-vous y arriver?», m’avait répondu sans détour David Poeppel après que je lui ai formulé mon projet.

«Cela fait des années et des années que nous travaillons sur des problèmes apparemment simples, comment voudriez-vous trouver la réponse à un problème aussi compliqué? Ça ne peut pas marcher comme ça. Vous ne trouverez pas la réponse.»

Autant l’annoncer tout de suite: Il avait raison (merde). Mais même si je n’ai pu trouver LA réponse ultime à la source du moi, l’expérience n’en a pas été moins enrichissante, car j’ai appris plusieurs choses passionnantes en chemin.

1. Les gènes sont déterminants, mais il n’y a pas de fatalité. Sauf pour la consistance du cérumen. Mon cérumen est une fatalité. Nous avons tendance à croire que nos génomes fonctionnent selon un modèle «un gène = une caractéristique», mais la réalité est beaucoup plus complexe.

Certes, il y a bien un gène qui code une protéine qui détermine si votre cérumen sera plutôt sec ou humide, mais la plupart des gènes ont bien plus d’une seule fonction et n’agissent pas seuls.

Le fait d’être plus ou moins grand, par exemple, est une caractéristique simple qui est presque entièrement héréditaire, mais il n’existe pas de gène portant une étiquette taille. Au lieu de cela, plusieurs gènes interagissent les uns avec les autres afin de déterminer quelle taille nous ferons. Idem pour la couleur des yeux.

Et c’est encore plus compliqué pour les traits de personnalité, la santé et les comportements, qui sont également influencés, à des degrés divers, par l’éducation, la pression sociale, les influences culturelles, les expériences propres à chacun et même les hormones qui nous entourent lorsque nous sommes encore dans le ventre maternel.

2. Ce n’est pas l’inné ou l’acquis, mais les deux à la fois, si bien que je ne peux pas tenir mes gènes entièrement pour responsables du fait que j’adore la coriandre et que je déteste les brocolis ou les tomates crues. Il y a sans doute une composante génétique qui détermine certains récepteurs gustatifs spécifiques.

Je suis sensible à l’amertume, une caractéristique génétique récessive qui me permet de déceler la présence de composés baptisés glucosinolates que l’on trouve dans la plupart des légumes crucifères. Mais il y a des chances que mon environnement ait aussi joué un rôle.

3. Le scanner de mon cerveau[1] n’a absolument rien dit de ma personnalité. Mais il a clairement montré que j’ai des sinus bien dégagés.

Oui, un chapitre entier de mon livre est consacré à une IRMf n’ayant donné aucun résultat. Pour dire la vérité, j’ai participé à une étude de groupe qui n’est pas encore finie. La science progresse à son propre rythme, sans se soucier des délais de publication de mon livre. Mais, quand bien même, cela ne révèlera que très peu de choses sur ma personnalité.

Typiquement, les résultats d’une IRMf donnent une représentation visuelle, avec codes couleurs, de statistiques brutes issues de plusieurs scanners du cerveau. Ce n’est pas la photographie d’un cerveau en action. Cela m’a toutefois permis d’admirer une belle image aux rayons X de ma petite tête sur un écran d’ordinateur et de m’offrir une visite virtuelle des principales régions de mon cerveau (et de mes cavités sinusiennes).

4. Il y a une différence entre être timide et être introverti. Les gens sont souvent surpris d’apprendre que j’étais horriblement timide lorsque j’étais adolescente. Lors d’un bal organisé par mon collège, je suis un jour restée cachée toute la soirée dans le vestiaire des filles de peur d’avoir à parler à quelqu’un ou, pire encore, que l’on m’invite à danser.

J’ai réussi à vaincre cette timidité en devenant adulte, mais je suis toujours quelqu’un d’introverti. Cela ne veut pas dire que je suis antisociale, c’est juste que j’ai régulièrement besoin de m’isoler des autres pour recharger mes batteries.

Posez-vous la question: après une rupture difficile, seriez-vous plutôt du genre à aller prendre un verre avec des amis ou à rester cloîtré chez vous avec une pile de DVD et un gros pot de crème glacée? Si c’est la première réponse, vous êtes extraverti, si c’est la deuxième, vous êtes introverti.

5. Les drosophiles vont peut-être un jour pouvoir expliquer pourquoi je ne tiens pas l’alcool. La généticienne comportementaliste Ulrike Heberlein mène depuis un certain temps des expériences sur des drosophiles dont elle neutralise certains gènes afin de voir de quelle manière cela affecte leur résistance à l’alcool.

Les différents groupes portent des noms tels que «Gueule de bois», «Pilier de comptoir», «Pompette» ou, mon préféré, «Fille facile». Les drosophiles «Fille facile» ne tiennent vraiment pas l’alcool. Pourtant, il n’existe pas de gène de l’alcoolisme; les comportements ne peuvent être réduits à des traits de personnalité.

Lorsqu’arrive la question fatidique –l’alcoolisme est-il inné ou acquis?– c’est le plus sincèrement du monde que la science répond:

«Euh…ben, un peu des deux, en fait

6. Mon avatar numérique, Jen-Luc Piquant, est sans doute plus proche de moi que je ne l’imagine. Les avatars sont des extensions virtuelles de la personne. Nous sommes, que nous le voulions ou non, psychologiquement liés à nos avatars. Et plus nous partageons de points communs avec ces alter ego numériques, plus les liens sont forts. Nous ressentons le besoin d’être capables de regarder nos avatars en nous disant «C’est moi».

Le problème est que nos identités sont des flux constants. Mon avatar, qui me sert pour bloguer et sur Twitter, fait partie de moi, mais elle n’est pas totalement moi. Elle n’est peut-être même pas qui je suis en ce moment.

7. J’étais un incorrigible garçon manqué lorsque j’étais petite. J’ai donc eu une certaine chance de ne pas naître au XVIIe siècle, où mes vêtements et mon comportement auraient été considérés «anormaux».

Pourtant, les idées toutes faites relatives au genre restent encore aujourd’hui profondément enracinées dans notre société et il est encore mal toléré, par exemple, qu’un petit garçon puisse aimer les princesses ou jouer à la dinette.

Cette façon de penser rigide doit changer. Les stéréotypes de ce genre proviennent d’une paresse mentale qui permet, certes, de mieux appréhender la complexité du monde, mais qui oublie l’individualité des personnes (et qui peuvent faire beaucoup de mal aux enfants qui ne correspondent pas aux stéréotypes).

8. Le LSD ne m’apprend rien sur moi, si ce n’est qu’il ne me réussit pas. Vous avez vu cet épisode Mad Men où ils prennent du LSD, avec cette femme qui marche à quatre pattes sur le tapis?

Eh bien, cette femme, c’était moi. J’ai fusionné avec un tapis oriental de manière très profonde, moléculaire. Et il ne m’a jamais rappelée. Autre grande révélation? Il est vraiment très difficile de prendre des notes lorsque l’on est sous acide, parce que vos mains ne cessent de se fondre dans le papier.

9. Lorsque je mourrai, mon cerveau s’éteindra une fois pour toutes et je cesserai d’exister, parce que la conscience est une propriété émergente du cerveau.

La conscience est quelque chose de réel (c’est du moins ce que je crois, mais d’autres, notamment des personnes très intelligentes, pensent le contraire), mais elle reste le produit de ce flux constant d’informations nerveuses qui anime notre cerveau.

«Pas de matière, pas d’esprit», comme l’a dit le neuroscientifique Christof Koch. Le monde, ce monstre sans cœur, continuera de tourner après notre mort. C’est cette pensée terrifiante qui est à la base de notre peur primale de la mort: il nous est impossible de nous imaginer un monde sans «moi». Nous y faisons face en trouvant nos propres moyens de donner du sens au temps qui nous est alloué sur cette terre.

10. Nous sommes les histoires que nous racontons. Nous construisons tous des récits personnels, que nous travaillons et retravaillons toutes nos vies durant. Nos souvenirs ne sont pas aussi précis que nous le pensons (nous les fabriquons et les embellissons même lorsque nous pensons être honnêtes envers nous-mêmes), mais ce «moi autobiographique» est essentiel dans la manière dont nous construisons un tout unifié à partir des nombreux éléments qui contribuent à forger notre sens du moi.

Vous pouvez séquencer mon ADN, me scanner le cerveau, me soumettre à toute une batterie de tests de personnalité, mais rien de cela pris séparément ne permet de savoir qui je suis vraiment. Les histoires sont le ciment qui permet d’interpréter tout cela. Si vous voulez vraiment savoir qui je suis, laissez-moi vous conter une histoire.

Jennifer Ouellette

Traduit par Yann Champion

[1] Scanner réalisé par l’équipe du neuroscientifique David Eagleman. Retourner à l'article

cover
-
/
cover

Liste de lecture