Culture

Ce n'est pas la première fois qu'on veut marier Jésus

L’ancienneté d’un manuscrit copte, attestant que Jésus était marié, a été prouvée. Mais l’authenticité de ce document reste plus que douteuse. Depuis les origines du christianisme, la question du célibat de Jésus taraude les croyants comme les non-croyants. N’en déplaise aux amateurs de sensationnel, rien dans la Bible ne laisse supposer que Jésus a eu une femme.

Des acteurs recréent la cène, telle qu'elle a été peinte par Léonard de Vinci, au Paraguay, en 2011. REUTERS/Jorge Adorno
Des acteurs recréent la cène, telle qu'elle a été peinte par Léonard de Vinci, au Paraguay, en 2011. REUTERS/Jorge Adorno

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Deux mille ans après la mort de Jésus sur une croix et sa résurrection le jour de Pâques - «scandale pour les juifs, folie pour les païens», selon la formule de Saint-Paul— des «révélations» pseudo-scientifiques relancent, à intervalles réguliers, dans une presse en quête de sensationnel, les spéculations sur l’historicité du fondateur du christianisme.

Elles remettent en cause les dogmes les mieux établis: les évangiles disent-ils vrai? Les Eglises n’ont-elles pas beaucoup menti dans leur histoire et travesti la vérité? Le Jésus vénéré par deux milliards de croyants à travers le monde est-il bien le «vrai Jésus»?

La dernière en date de ces révélations, remontant à la découverte en novembre 2012 d’un fragment de papyrus copte, vient d’enflammer les médias: elle tient pour acquis que Jésus était un homme marié, alors que la Bible est muette sur ce point et que les Eglises ont toujours fait de lui un célibataire. Sur le minuscule fragment de ce papyrus, mesurant de 3,8 sur 7,6 centimètres, de provenance syrienne ou égyptienne, figurent ces mots déconcertants, écrits en dialecte sahidique, la langue liturgique des premiers coptes:

«Jésus leur dit: ma femme » (coupure). Et, plus loin : « Elle pourra être mon disciple ».

De quoi révolutionner des pans entiers de la discipline de l’Eglise catholique, en particulier, sur le célibat des prêtres et l’impossibilité pour les femmes d’exercer un sacerdoce ministériel.

Après les tests de rigueur au carbone 14, des scientifiques viennent d’annoncer que ce papyrus date d’une période comprise entre les VIe et le IXe siècles. «Le papyrus est le produit de chrétiens anciens, et non pas un faux d’aujourd’hui», affirme un article publié le 10 avril dans la Harvard Theological Review. Les experts ont étudié la composition chimique du papyrus copte et son oxydation et celui-ci correspond bien aux données des papyrus les plus anciens (comme celui de l’évangile de Jean à la fin du premier siècle).

Le fragment du fameux papyrus. Rose Lincoln/Harvard Staff Photographer

L’auteure principale de cette découverte est l’Américaine Karen Leigh King, professeur de christianisme ancien à la Harvard Divinity School, une faculté à la pointe de la théologie protestante libérale des Etats-Unis. C’est cette universitaire reconnue, militante féministe, qui avait déjà révélé en 2012 l’existence du papyrus détenu par un collectionneur privé réfugié dans l’anonymat.

 Un faux issu de sectes gnostiques

Ce document remonte donc aux premiers temps du christianisme et, en ce sens, il présente un réel intérêt scientifique. Mais, à ce jour, rien ne garantit absolument son authenticité. Dans la communauté scientifique (archéologues, exégètes, biblistes), le doute l’emporte même sérieusement. Selon l’égyptologue américain Leo Depuydt, de tout temps il a été facile de se procurer, sur un marché, des feuilles de papyrus ancien et de reconstituer, avec de la suie de bougie et de l’huile, une encre à la composition similaire à celle utilisée à l’époque ancienne.

Dès la présentation de ce fragment copte en 2012, plusieurs scientifiques avaient conclu que ce papyrus était un faux. Les preuves, pour eux, étaient son origine indéterminée (pourquoi le propriétaire privé garde t-il l’anonymat?), la forme des caractères des lettres et les erreurs grammaticales.

L’authentification récente de l’ancienneté du fragment copte peut-elle néanmoins relancer le débat sur le mariage de Jésus? Tout au long de leurs enquêtes, les chercheurs ont été frappés par la ressemblance entre les mots identifiés dans ce document et la lettre de deux évangiles apocryphes (non reconnus officiellement) parmi les plus célèbres, celui de Marie (Madeleine) et celui de Thomas, rédigés dans les cercles gnostiques (ésotériques) les plus anciens.

Les gnostiques représentaient un courant important dans le christianisme primitif (IIe et IIIe siècles) et ils faisaient souvent de Jésus un homme marié. Mais un mariage (avec Marie-Madeleine) purement mystique et symbolique, car, pour la doctrine gnostique fondée sur le rejet du corps et de la sexualité, Jésus était un être totalement spirituel.

Les évangiles gnostiques, devenus «apocryphes», ont été rejetés par l’Eglise des premiers siècles, qui n’a reconnu dans son «canon» biblique que les seuls quatre évangiles de Marc, Matthieu, Luc et Jean, encore lus et commentés aujourd’hui dans toutes les églises du monde.

Le cas Marie-Madeleine

La thèse du mariage de Jésus est donc aussi ancienne que le christianisme lui-même, dont l’histoire bimillinaire est jalonnée de sectes et d’hérésies parmi les plus farfelues. Etayée par des «scoops archéologiques» à répétition, elle alimente aujourd’hui encore toute une littérature suspicieuse envers le christianisme, sur le thème: l’Eglise nous cache des choses, elle travestit la vérité! Cette thèse surfe sur l’inculture religieuse croissante et une curiosité pas toujours bienveillante à l’égard des origines et de l’héritage du christianisme.

La fiction Da Vinci Code, qui fit la fortune de Dan Brown, a bâti son succès planétaire sur cette représentation d’un Jésus marié, auteur d’une descendance nombreuse avec son épouse, l’ancienne pécheresse Marie-Madeleine.

Mais il n’existe dans l’histoire aucune trace authentifiant ce mariage de Jésus. Le silence de la Bible sur ce point est complet. Et si le fondateur du christianisme avait eu une épouse, ce silence de la Bible serait totalement incompréhensible. Marie-Madeleine est l’une des nombreuses femmes qui ont accompagné Jésus sur sa route de prédicateur et de guérisseur.

Une longue tradition l’a associée au souvenir de la pécheresse (ancienne prostituée) pardonnée et aimante, dont parlent les évangiles. Jésus a chassé «les démons» qui étaient en elle (selon Marc et Luc). Elle a recouvert ses pieds de parfum (dans Luc). Elle était debout au pied de la croix pour l’assister dans son agonie et elle fut parmi les femmes qui, au matin de Pâques, ont découvert son tombeau vide. Mais rien dans les Evangiles ne laisse supposer l’existence d’une relation amoureuse et charnelle entre Jésus et Marie-Madeleine. Rien ne laisse supposer que le Christ n’est pas demeuré célibataire.

Il reste un argument souvent objecté à la position de l’Eglise: les coutumes juives du temps de Jésus méprisaient le célibat et il est peu probable qu’un homme juif comme Jésus n’ait pas été marié. Son mariage aurait même été une preuve de son autorité. La tradition juive a toujours favorisé, en effet, le mariage et, aujourd’hui encore, il faut par exemple être âgé d’au moins 40 ans et être marié pour avoir le droit d’étudier la Kabbale.

Mais Jésus a montré, plus d’une fois, sa distance avec les coutumes juives. C’est précisément ce qui provoqua les sarcasmes des pharisiens et des docteurs de la loi et qui causa sa perte, son procès et sa mort. Selon les évangiles, il se déclarait «au dessus du shabbat», quand il s’agissait pour un juif de faire le bien ce jour du repos. Il ne soumettait pas ses disciples au jeûne. Il a sauvé de la lapidation une femme adultère, interdit le divorce, pris ses repas chez les publicains (collecteurs d’impôts détestés chez les juifs) et les pécheurs… Une telle liberté avec son environnement juif est même l’un des traits majeurs de la vie de Jésus.

Henri Tincq

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