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Le naufrage de la diplomatie Obama

L’administration américaine a renoncé à jouer le rôle qui est celui des Etats-Unis dans les affaires du monde depuis 70 ans. Nous n’en mesurons pas encore toutes les conséquences, même si elles se font déjà sentir de Kiev à la Mer de Chine.

Barack Obama au téléphone avec Vladimir Poutine, le 1er mars. Leur entretien sur la situation en Ukraine a duré 90 minutes. REUTERS/Official White House Photo/Pete Souza/
Barack Obama au téléphone avec Vladimir Poutine, le 1er mars. Leur entretien sur la situation en Ukraine a duré 90 minutes. REUTERS/Official White House Photo/Pete Souza/

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La diplomatie est-elle faite de bons sentiments et de grands discours? Non. Et il il n’est pas nécessaire de lire Sun Tzu, Thucydide ou Machiavel pour le savoir. Le désastre de la politique étrangère de l’administration Obama vient nous le rappeler une fois encore.

Barack Obama en a pourtant prononcé, de belles paroles. En juillet 2008, à peine entré en fonction, à Berlin devant une foule extatique de 100.000 personnes venues l’acclamer, il promettait de «reconstruire le monde». En juin 2009 au Caire, le Président des Etats-Unis annonçait un «nouveau départ» dans les relations entre l’Amérique et le monde arabo-musulman et «tendait la main». En septembre 2009, cette fois devant l’Assemblée générale des Nations unies, il affirmait qu'«aucune nation ne peut ou ne doit essayer d’en dominer une autre». Et quelques jours plus tard, Barack Obama recevait le prix Nobel de la Paix pour «ses efforts à renforcer la diplomatie et la coopération entre les peuples».

Un peu moins de cinq ans plus tard, les bons sentiments sont passés aux oubliettes de l’histoire, balayés par les revers, les reculades, les humiliations et les promesses oubliées. La liste est longue des aveux de faiblesse d’une Amérique qui reste pourtant la première puissance économique et militaire au monde. On l’avait presque oublié.

Une succession d'échecs et de reculades

Les révolutions arabes soutenues par Washington ont sombré, à l’exception de la seule Tunisie. Les Etats-Unis auront vu au passage leurs alliés égyptien, saoudien, turc et israélien s’éloigner ou leur tourner le dos. Et que dire des errements et finalement de l’impuissance face au bourreau de Damas, Bachar el-Assad, en dépit de la volonté proclamée de le voir quitter le pouvoir et de la «ligne rouge» annoncée de l’utilisation des armes chimiques contre sa population civile. Rodomontades encore et reculades toujours face au programme nucléaire iranien. Les difficiles négociations en cours à Genève devraient permettre un accord de façade avec Téhéran et la fin des sanctions économiques contre un contrôle des sites nucléaires iraniens car la Maison Blanche veut absolument un succès. Mais il sera en trompe-l’œil, sans démantèlement du programme militaire secret d’armement nucléaire de la République islamique dont les parties engagées dans la négociation font depuis le début comme s’il n’existait pas.

Et que dire de l’impuissance, moins surprenante il est vrai, dans le conflit israélo-palestinien? Fallait-il que le secrétaire d’Etat John Kerry aille 12 fois en Israël et en Palestine au cours des 9 derniers mois pour se rendre compte que le gouvernement Netanyahou n’a aucune intention de négocier et que le Président de l’Autorité Palestinienne Mahmoud Abbas n’en a ni le pouvoir, ni la légitimité!

Pas étonnant dans ces conditions que Pékin manifeste toujours plus ouvertement ses ambitions militaires et territoriales en mer de Chine et que les puissances asiatiques se lancent dans une véritable course aux armements, Japon compris.

Toujours surpris par Poutine

La nature ayant horreur du vide, les absences répétées de Washington ont permis à Vladimir Poutine d’accomplir son rêve et de redonner à la Russie un statut de puissance internationale qui ne correspond pourtant à aucune réalité économique, démographique ou technologique. Mais la Russie a soutenu envers et contre tout et même sauvé ses derniers alliés syrien et iranien. Elle a même repris pied en Egypte pour la première fois depuis 40 ans et manifeste avec éclat en Ukraine, le fait que le gendarme américain ne lui inspire plus aucune crainte. Elle a annexé la Crimée et pourrait bien en faire de même avec l’est du pays dont elle avait garanti les frontières en 1994 avec... les Etats-Unis.

La Maison Blanche a été prise au dépourvu et les analyses de Barack Obama et de John Kerry frôlent le ridicule depuis des semaines.

Ainsi, la stratégie de Vladimir Poutine serait une simple résurgence du passé et Barack Obama lui a conseillé de «transcender enfin la Guerre froide». Vladimir Poutine ne fait pourtant pas référence à l’URSS, mais à l’histoire russe. Et il est extrêmement clair: «Après la révolution, les Bolcheviks... puisse Dieu les juger, ont ajouté de grandes parties du sud historique de la Russie à la République d’Ukraine», a-t-il déclaré le 18 mars. Et il ne faisait pas allusion à la Crimée qu’il venait d’annexer et qui a été apportée à l’Ukraine en 1954, mais à l’est de l’Ukraine, à savoir les régions de Kharkiv et de Donetsk où les troubles ont éclaté depuis plusieurs jours. Comment peut-on être surpris?

Mais pour Obama, la Russie est «une puissance régionale qui agit par faiblesse». Elle a néanmoins réussi à prendre le contrôle de la Crimée sans un seul coup de feu et en trois semaines. Et avec pour seules conséquences quelques sanctions économiques si légères qu’elles en sont risibles.

La seule façon non militaire de contrer Poutine en Ukraine consisterait à renforcer avec éclat le pouvoir de Kiev, à le soutenir économiquement, financièrement, sur le plan énergétique, voire en lui vendant du matériel militaire. Washington aurait dû prendre la tête d’une coalition comprenant les principales puissances européennes pour épauler le pouvoir pro-occidental en Ukraine. Il aurait fallu un plan Marshall pour l’Ukraine, un pont aérien.

Se gagner des alliés et construire des coalitions

Depuis 1945, les onze présidents qui se sont succédés à la Maison Blanche ont eu pour constante de protéger les alliés des Etats-Unis des tentatives hégémoniques des puissances régionales. L’une des caractéristiques de la diplomatie américaine a été de se démultiplier via des alliés et en construisant des coalitions.

Non seulement l’administration Obama a perdu depuis 2008 de nombreux alliés, mais elle a été aussi incapable de s’en faire d’autres. Les ouvertures faites vers l’Inde, le Brésil, l’Indonésie et même la Russie en 2008 quand Obama évoquait un «reset» (une remise à zéro) des relations avec Moscou ont été repoussées avec dédain. Et cela sans parler du désastre pour l’image des Etats-Unis des révélations sur l’étendue des interceptions de communications dans le monde menées par la NSA y compris des dirigeants des principaux pays alliés qui lui restent...

Il est vrai que dans un monde devenu multipolaire, pour employer le jargon cher au Quai d’Orsay, qui s’est longtemps inquiété de... l’hyperpuissance américaine avant de la voir sombrer, les Etats-Unis n’ont plus la même capacité à peser sur les affaires du monde qu’il y a 20 ans, au lendemain de l’implosion de l’URSS.

Il est vrai également que l’administration Obama a pris le contrepied des errements et des aventures de George W. Bush en Irak et en Afghanistan tout en poursuivant d’ailleurs avec les mêmes méthodes contestables la «guerre contre le terrorisme».

Mais en changeant de doctrine, Barack Obama a au passage renoncé au rôle qui est celui des Etats-Unis dans les affaires du monde depuis 70 ans. Et nous n’en mesurons pas encore vraiment toutes les conséquences, même si elles se font déjà sentir de Kiev à la Mer de Chine.

Réarmement en Asie et au Moyen-Orient

Les alliés des Etats-Unis ont aujourd’hui perdu toute confiance dans l’Amérique. Les pays arabes du Golfe persique et notamment l’Arabie saoudite, tout comme Israël, ont le sentiment d’avoir été «lâchés» et que leur ennemi mortel iranien aura bientôt un arsenal nucléaire... sans les sanctions. Ils sont tentés, pour Riyad de se doter aussi de l’arme atomique, et pour Israël de prendre une initiative militaire aux conséquences incontrôlables contre Téhéran que les Etats-Unis ont déjà bloqué à au moins deux reprises.

En Asie, le Japon, la Corée du sud, Taiwan et les Philippines s’interrogent avec anxiété sur l’attitude américaine si la Chine prenait exemple sur la Russie de Poutine. Tokyo et Séoul pourraient aussi chercher dans un avenir proche à se doter d’armes de dissuasion. Il faut dire que les Ukrainiens regrettent amèrement aujourd’hui d’avoir abandonné leur arsenal nucléaire en échange d’une garantie d’intégrité territoriale, un bout de papier, signé il y a 20 ans par les Etats-Unis.

Eric Leser

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