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Russie-Chine, un axe de papier

Depuis le début de la crise ukrainienne, la position de Pékin vis-à-vis de Moscou est ambiguë.

 Xi Jinping et Vladimir Poutine, au Kremiln en février 2014. REUTERS/Alexei Nikolsky/RIA Novosti/Kremlin
Xi Jinping et Vladimir Poutine, au Kremiln en février 2014. REUTERS/Alexei Nikolsky/RIA Novosti/Kremlin

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Par une coïncidence inattendue, le président chinois Xi Jinping faisait une tournée en Europe au moment où la tension entre les Européens et les Américains d’une part, les Russes d’autre part était à son comble à cause de l’annexion de la Crimée par Moscou.

L’Ukraine n’a pas été au centre des entretiens de Xi Jinping, ni à Paris, ni à Berlin, ni à La Haye ou Bruxelles. Les relations économiques bilatérales étaient à la première place de l’ordre du jour. Le contraste n’en était pas moins frappant. Alors que la Russie est menacée de sanctions par les Occidentaux, la Chine cherche à approfondir ses rapports avec les Etats européens, mais aussi avec l’Union européenne à laquelle Xi Jinping a rendu la première visite d’un président chinois.

Depuis le début de la crise ukrainienne, Pékin a une position ambiguë.

Comme Vladimir Poutine, les dirigeants chinois détestent le chaos provoqué par des manifestants qui à force de persévérance parviennent à renverser le pouvoir établi. C’est une crainte qu’ils partagent avec le chef du Kremlin. 

Comme lui, ils regrettent la fin de l’URSS. Non qu’ils aient eu toujours de bonnes relations avec la grande puissance communiste voisine. Au contraire. Mais ils considèrent que les réformes politiques engagées au milieu des années 1980 par Mikhaïl Gorbatchev a conduit le système soviétique à sa ruine. L’expérience de la Perestroïka est enseignée dans les écoles du Parti communiste chinois comme un repoussoir.

En même temps, Xi Jinping et ses adjoints du comité permanent du bureau politique du PCC ne voient pas sans inquiétude les violations de la souveraineté et de l’intégrité territoriale d’un Etat.

La Chine pense au Tibet, mais aussi à Taïwan

Les dirigeants chinois s’étaient déjà montrés très réservés quand Vladimir Poutine avait découpé la Géorgie en 2008, lui arrachant deux de ses régions l’Abkhazie et l’Ossétie du sud. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, invoqué par Moscou, pour justifier l’annexion de la Crimée, leur paraît un dangereux précédent qui, un jour, pourrait être revendiqué pour le Tibet ou le Xinjiang peuplé d’Ouïgours.

Bien sûr, la doctrine Poutine selon laquelle tout territoire habité par des Russes a vocation à faire partie de la Russie pourrait être appliquée à Taïwan. Mais les dirigeants de Pékin craignent encore plus l’autodétermination de l’archipel qui conduirait à une indépendance l’éloignant définitivement du continent.

Ces craintes expliquent que la Chine n’ait pas suivi Moscou dans ses votes à propos de l’Ukraine, aussi bien au Conseil de sécurité qu’à l’Assemblée générale des Nations unies. Le représentant de Pékin s’est abstenu et seules deux ex-républiques de l’Union soviétique ont voté avec la Russie, la Biélorussie et l’Arménie, qui sont deux vassales de Moscou. Les autres Etats membres de la Communauté des Etats indépendants que la Russie a cherché à créer autour d’elle après la dissolution de l’URSS, se sont, comme la Chine, réfugiés dans l’abstention.

Cette prudence tranche avec la tonalité de la presse officielle chinoise. Le Global Times, un quotidien de tendance nationaliste, estime, reprenant l’expression maoïste, que face à la Russie, les Etats-Unis et l’Europe ne sont que des «tigres de papier». Et plaide pour une entente avec Moscou:

«Nous ne pouvons pas décevoir la Russie quand elle se trouve face à des difficultés. La Chine doit devenir un partenaire stratégique fiable. Ainsi gagnons-nous de nouveaux amis.»

Au moment même où le président Xi cherche des partenariats économiques en Europe, les dirigeants de Pékin ne sont pas mécontents en effet de voir l’hégémonie idéologique des Occidentaux contestée par la Russie. Quand Vladimir Poutine fustige la prétention de l’Occident d’imposer ses normes en matière de démocratie, de droits de l’homme et de libre marché, les officiels chinois ne peuvent qu’être d’accord. 

Certes, ils savent que la Chine a profité pleinement au cours des deux dernières décennies d’un système globalisé dont les règles ont été définies par les Occidentaux pour devenir la deuxième puissance économique du monde. Et ils entendent bien en profiter encore, bien plus que la Russie n’a été capable de la faire jusqu’à présent. 

Des intérêts communs

Mais ils sont partagés entre l’acceptation d’un système international dont ils craignent que les conséquences politiques ne mettent en cause leur pouvoir et la volonté d’en modifier les règles en leur faveur. Voire de subvertir le système pour en imposer un autre avec l’aide des pays émergents et de l’ancienne grande puissance qu’était la Russie au temps de l’Union soviétique.

C’est là que leurs intérêts rejoignent ceux de Poutine. D’où les tentatives de rapprochement entre les deux pays qui ont été au bord de la conflagration militaire dans les années 1960. Ensemble, ils ont créé en 2001 l’Organisation de coopération de Shanghai qui compte aussi quatre Etats d’Asie centrale et d’autres Etat asiatiques, y compris l’Iran, au titre d’observateurs.

Au sein des Brics, ils tentent de mettre sur pied une Banque commune de développement. Moscou et Pékin seraient en train de préparer un accord de coopération militaire qui aille plus loin que le traité de bon voisinage, d’amitié et de coopération signé en 2001 par Vladimir Poutine et Jian Zemin. La Chine absorbe déjà près d’un quart des exportations militaires russes et elle était une bonne cliente de l’industrie de l’armement ukrainienne à laquelle elle a acheté son premier porte-avions.

Il existe toutefois des limites à cette convergence d’intérêts. D’abord, la méfiance historique entre la Chine et la Russie s’est muée en rivalité déclarée à partir des années 1960 après un bref rapprochement à la suite de la révolution chinoise de 1949. Cette rivalité n’a pas disparu.

Ensuite, la Chine se montre très prudente dans sa remise en cause du système économique mondial. Elle est plus critique dans les paroles que dans les faits. Au moment de la crise financière 2007-2008, la propagande officielle soulignait les carences du capitalisme pendant que la Chine officielle de Pékin menait une politique anticrise qui a contribué à sauver les échanges internationaux dont elle tire sa prospérité.

Enfin, Pékin ne veut pas prendre de grandes responsabilités internationales, du moins aussi longtemps que ses dirigeants auront le sentiment d’être suffisamment puissants pour ne pas risquer d’être emportés par des tempêtes extérieures. A moyen terme, ils concentrent leur attention sur la zone Pacifique où leurs revendications se heurtent à des alliés des Etats-Unis voire aux Américains eux-mêmes.

En cas de crise ouverte, ils auront besoin de soutiens. D’où leur souci de ménager la Russie sans en épouser toutes querelles.

Daniel Vernet

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