Économie

Transformer des bureaux en logements? Plus facile à dire qu'à faire

Pourquoi ce qui a marché il y a vingt ans ne marcherait-il pas aujourd’hui et à quelles conditions pourrait-on envisager de renouveler une opération comparable?

Alain Robert, alias «Spiderman», escalade la tour Ariane à La Défense, en 2009. REUTERS/Benoit Tessier
Alain Robert, alias «Spiderman», escalade la tour Ariane à La Défense, en 2009. REUTERS/Benoit Tessier

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Ce qui est merveilleux avec le problème du logement, c’est que, à entendre la multitude de solutions proposées, il devrait être résolu très vite. La transformation des bureaux en habitation fait partie aujourd’hui de la panoplie obligée du sauveur des mal-logés. Avec peut-être quelques excès d’optimisme.

C’est en région parisienne que le phénomène est le plus saisissant. D’un côté, une très grande difficulté à se loger, avec un prix des logements multiplié par sept en trente ans dans Paris intra muros et des loyers multipliés par près de trois sur la même période. De l’autre, une multitude de pancartes «bureaux à louer». La conclusion paraît évidente: il faut transformer en appartements ces bureaux qui ne trouvent pas preneurs. Mais, comme toujours, il faut se méfier des solutions qui paraissent si évidentes.

Dans le passé, cette technique a déjà été utilisée et elle a bien marché. Ainsi que le rappelle Charles-Henri de Marignan, analyste senior à l’IEIF (Institut de l’épargne économique et financière) dans une étude de février 2014, le ministre Hervé de Charette l’avait encouragée en faisant voter la loi Habitat du 21 juillet 1994, à une époque où le marché l’immobilier était sinistré et où il y avait pléthore de bureaux vacants.

Les dispositions techniques et financières adoptées alors (avec un prêt bureau-logement, des subventions de l’Anah, Agence nationale de l’habitat, et de la ville de Paris) furent efficaces: entre 1994 et 1998, 530.000 mètres carrés de surfaces d’activités (bureaux, entrepôts, ateliers) furent transformés dans la capitale, ce qui permit la création de plus de 3.700  logements (plus de 1.600 par des opérateurs publics et presque 2.100 par le secteur privé). 

Ces mètres carrés de logements créés ont représenté l’équivalent d’une année supplémentaire de construction de logements neufs à Paris. C’était donc loin d’être négligeable.

Pourquoi ce qui a marché il y a vingt ans ne marcherait-il pas aujourd’hui et à quelles conditions pourrait-on envisager de renouveler une opération comparable? 

L’étude réalisée par un groupe de travail de l’Orie (Observatoire régional de l’immobilier d’entreprise en Ile-de-France) et publiée en février 2013 a relancé le débat. Toutes les prises de position actuelles et les mesures adoptées par le ministère du Logement l’an dernier s’appuient sur ses constats et ses recommandations.

Beaucoup de bureaux vacants

A priori, le moment semble bien choisi. Selon les derniers chiffres disponibles (fin 2013), le taux de vacance des bureaux en Ile-de-France s’établit à 7,5%. C’est moins qu’en 1994 (9,5%), mais c’est un chiffre élevé.

Ces quelque 4 millions de mètres carrés disponibles –on peut trouver des chiffres encore plus élevés– sont pour l’essentiel des locaux anciens. Certains pourront être reloués si l’activité économique se raffermit; pour d’autres, les espoirs sont minces, car ils  sont obsolètes.

L’Orie avait constaté que déjà, au deuxième trimestre 2012, un peu plus de 500.000 m² de bureaux de seconde main étaient vacants depuis quatre ans ou plus; il était alors estimé que chaque année entre 140.000 m2 et 240.000 m²  tomberaient dans la catégorie des locaux inadaptés à la demande du marché.  Car les choses changent vite: qu’il s’agisse du style architectural, des normes d’isolation thermique, etc., des immeubles de bureaux construits dans les années 1980 sont déjà considérés comme obsolètes et la mise en œuvre des décisions prises dans le cadre du Grenelle de l’environnement devrait encore accélérer le processus.

Transformer ces bureaux en logements pourraient leur donner une seconde vie.

Dans la pratique, c’est un peu plus compliqué qu’on ne pourrait le croire. Ainsi, nous explique Charles-Henri de Marignan, des bureaux situés dans des immeubles haussmanniens étaient souvent des logements à l’origine; les faire revenir à leur vocation première ne pose pas des problèmes insurmontables. 

Transformer des immeubles de bureaux relativement récents, avec des plateaux profonds, est nettement plus difficile. Dans le cas de locaux à usage professionnel, on peut concevoir des pièces aveugles à usage de salles de réunion ou de photocopie; pour des appartements, c’est impensable. De surcroît, il faut organiser autrement la circulation à l’intérieur de l’immeuble. Le résultat, c’est une perte de mètres carrés pouvant être vendus ou loués comprise entre 10% et 20% de la surface totale. Cette diminution de surface a un impact fort, on s’en doute, sur la rentabilité de l’opération.

L’emplacement joue aussi un rôle déterminant. Un immeuble situé à Paris ou en première couronne peut être adapté à un usage d’habitation; s’il est situé en deuxième couronne dans une zone d’activité tertiaire, c’est pratiquement exclu. Un immeuble situé à une porte de Paris le long du périphérique peut être idéal pour une entreprise qui a besoin d’être visible, il n’offre pas des perspectives de logement très attrayantes...

Le nœud du problème: la rentabilité

En fait, tout est une question de prix. En gros, la transformation de bureaux en logements coûte cher, entre 2.000 euros et 2.500 euros le m² pour donner un ordre de grandeur; pour une construction neuve, le prix oscillerait plutôt entre 1.600 euros et 1.800 euros le m². Une telle opération peut donc se justifier si l’on acquiert le m² de bureau à un prix raisonnable où dans les endroits comme Paris et la première couronne où le m²  de terrain coûte très cher, quand on peut en trouver un. 

Pourtant, dans les arrondissements de Paris les plus prisés par les entreprises, ce n’est pas évident non plus, car la location du m² de bureau s’effectue à un niveau beaucoup plus élevé que la location du m² de logement: l’écart peut être de un à trois, même si les loyers affichés pour les bureaux du quartier des affaires ne correspondent plus tout à fait à la réalité, les locataires de bureaux étant actuellement en situation de force pour renégocier leurs contrats.

Au total, l’éventualité d’une transformation en logements ne concerne qu’une minorité de bureaux vacants. Même en incluant la période la plus active sur ce point de 1994 à 1998, en moyenne sur vingt ans, de 1990 à 2010, seuls 33.000m² de bureaux ont été transformés en logements en moyenne chaque année, ce qui correspond à une production de 300 à 400 logements par an.  

Un regain a été constaté au cours des années récentes, mais, constate l’Orie, la majorité des dossiers concerne des propriétaires individuels ou des SCI (sociétés civiles immobilières) familiales pour de petites surfaces. Les grandes opérations sont surtout le fait de bailleurs sociaux tels que la Régie Immobilière de la Ville de Paris. Les opérateurs privés ne se manifestent guère. Quand ils transforment des bureaux, c’est surtout pour en faire des hôtels de tourisme ou des résidences services; s’ils les transforment en logements, c’est souvent pour obtenir, en compensation, le droit de transformer d’autres logements en bureaux.

Des mesures favorables...

Pour inciter professionnels de l’immobilier à s’intéresser davantage à ces opérations, le gouvernement a adopté le 3 octobre une ordonnance qui prévoit deux assouplissements significatifs de la réglementation en ce qui les concerne: d’abord la possibilité d’ajouter un ou deux étages supplémentaires ou d’aligner l’immeuble concerné sur les immeubles mitoyens s’ils sont plus élevés, ensuite l’autorisation de prévoir moins de places de parking que cela n’est normalement la règle, du moins s’il y a une gare ou une station de transport collectif à moins de 500 mètres.

Un obstacle important demeure: la nécessité de réserver une part des programmes d’une certaine importance (à partir d’une surface d’habitation de 800 m² de surface de plancher à Paris) à la production de logements sociaux (à hauteur de 25% des surfaces destinées à l’habitation). Les promoteurs vendent ces logements aux bailleurs sociaux à des prix qui ne sont pas rémunérateurs; donc, pour que l’opération soit rentable, ils sont conduits à relever le prix de vente des logements «libres», ce qui favorise l’inflation des prix et souvent même conduit purement et simplement à l’abandon de tels projets.

Le groupe de travail de l’Orie, sans remettre en cause le bien-fondé de l’obligation de faire une place aux logements locatifs sociaux, suggère de réduire le pourcentage qui doit leur être affecté au profit de logements dits «intermédiaires», ce qui permettrait de rentabiliser plus facilement ces opérations.

L’idée est bonne, beaucoup de professionnels estiment qu’elle permettrait effectivement de débloquer un certain nombre de dossiers. La ministre du Logement, qui vient de faire adopter une ordonnance en faveur du logement intermédiaire, devrait pouvoir la prendre en compte. Mais il y a un problème: à gauche, on continue de ne jurer que par le logement social, quitte à refuser de voir la réalité en face et, malheureusement, à freiner la construction.

Alors, pour ce qui est de la transformation de bureaux en logements, il vaut mieux ne pas nourrir trop d’illusions tant que ce tabou ne sera pas levé.

Gérard Horny

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