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On peut encore prendre l'avion avec un passeport volé. Il serait pourtant simple de l'empêcher

Comment faire pour que tous les pays vérifient les passeports de leurs passagers aériens, et s'assurent que ces documents n'ont pas été volés.

<a href="http://www.flickr.com/photos/70609370@N00/131011191/in/photolist-czt4D-eB7XD-eB8a7-eB9Hn-eB9Z8-eBa7u-eBaha-eBaqy-eBay4-eBaG7-geqy6-is8fz-isMp2-mkYMv-ptDUe-ybQLC-ypuRf-EPFpn-FXJTL-M26Mm-XU6BM-27VHPB-2ijoVe-2od6eM-2od74P-2oGrSv-3BG2ey-3C8MGd-4mGfvg-4mGfw8-4n">Passport USA</a>/clappstar via Flickr <a href="https://creativecommons.org/licenses/by-nc/2.0/">license CC BY 2.0</a>
Passport USA/clappstar via Flickr license CC BY 2.0

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Que deux passagers iraniens aient réussi à embarquer sur un avion en étant porteurs de passeports européens volés est loin d'être le plus grand mystère entourant la disparition soudaine du vol Malaysia Airlines MH 370 – en réalité, il s'agit d'un des éléments les moins surprenants d'une histoire autrement plus tragique et déconcertante. L'an dernier, le transport aérien a vu ses passagers embarquer plus d'un milliard de fois sans que leurs passeports soient vérifiés sur la base de données d'Interpol consignant les documents de voyage volés et perdus (SLTD). Base de données qui, si elle avait été consultée, aurait permis de détecter que les passagers du vol MH 370 étaient porteurs de documents volés.

Rien ne dit que les deux passagers sont liés à des organisations terroristes, ce qui n'a pas empêché Interpol de rappeler l'importance de sa base de données SLTD – et de pointer sa sous-utilisation par les compagnies aériennes.

«Que le moindre passager ait pu embarquer sur un vol international en utilisant un passeport volé consigné dans les bases de données d'Interpol est clairement très préoccupant, a déclaré le Secrétaire Général d'Interpol, Ronald Noble, dans un communiqué. Si Malaysia Airlines et toutes les compagnies aériennes du monde pouvaient vérifier les passeports de futurs passagers sur la base de données d'Interpol, nous n'aurions pas aujourd'hui à nous demander si des passeports volés ont été utilisés ou non par des terroristes pour embarquer sur le vol MH 370. Nous saurions que ces passeports volés n'ont pas été utilisés par aucun des passagers présents sur ce vol».

Créée en 2002, la base de données SLTD contient aujourd'hui plus de 40 millions d'entrées et est consultée annuellement plus de 800 millions de fois. Ce qui débouche, en moyenne et selon les statistiques d'Interpol, sur 60.000 requêtes positives. Pour autant, même si 167 pays contribuent en 2014 aux informations présentes dans la base de données, Interpol estime que moins de 20 pays membres l'utilisent systématiquement pour vérifier les documents de leurs passagers embarquant sur des vols internationaux.

Un combat depuis plusieurs années

Le combat d'Interpol pour le recours à cette base de données remonte bien avant la disparition du vol MH 370. Dans une interview publiée en 2010 dans les colonnes du World Policy Journal, voici ce que Noble faisait remarquer:

«Si vous montez dans un avion qui passe par les États-Unis ou l'Europe, avant les contrôles de sécurité, on vous demande de retirer vos chaussures et votre ceinture, de laisser vos sacs et vos ordinateurs, et de sacrifier tous les liquides que vous n'auriez pas encore consommés. On fait ça pour tout le monde. Mais, chaque année, plus de 500 millions de passagers embarquent sur un vol international sans que leurs passeports aient été vérifiés sur la base de données d'Interpol. Et nous possédons la technologie permettant d'identifier de faux passeports utilisés par des criminels de guerre, des terroristes, des assassins, des trafiquants de drogue et des escrocs. C'est bien ce qui me choque et me désole le plus».

Le mois dernier, dans une allocution, Noble réitérait encore une fois ses inquiétudes, avertissant qu'un recours non systématique à la base de données SLTD créait «une faille majeure dans notre dispositif de sécurité international, rendu vulnérable à une exploitation par des criminels et des terroristes».

A entendre les explications de Noble (qui, d'ailleurs, doit être aujourd'hui un peu fatigué de les répéter), utiliser la base de données SLTD est une opération simplissime – un moyen rapide et économique de voir si des criminels sont à bord des avions, bien plus simple à mettre en œuvre que le contrôle de la taille des tubes de dentifrice, et bien plus efficace. La manœuvre est effectuée par les agents de contrôle aux frontières, elle ne prend qu'une seconde et peut se faire par Internet en utilisant un logiciel spécialisé d'Interpol.

La question du coût

En 2011, une étude publiée dans le Journal of Law and Economics confirmait les dires d'Interpol, en trouvant que la base de données SLTD était un outil de lutte contre le terrorisme très efficace, dont les bénéfices supplantaient largement les coûts. Alors pourquoi n'est-elle pas encore utilisée par tous les pays du monde?

D'une part, l'étude de 2011 ne prenait en compte que l'argent dépensé par Interpol pour le développement du système, pas les coûts engagés par les pays pour mettre en œuvre et intégrer la base de données à leurs propres procédures de contrôle aux frontières.

Un responsable anonyme d'Interpol vient d'assurer au New York Times que de tels coûts seraient «modiques». Mais, visiblement, pour bon nombre de pays, les bénéfices de la procédure seraient encore plus négligeables.

Pas une priorité

Pour des raisons diverses (les individus embarquant sur des avions quittant un pays sont d'un intérêt moindre pour les autorités frontalières que ceux qui cherchent à y entrer; dans certaines régions du monde les faux documents sont si courants qu'on ne va pas se donner la peine de chercher à les détecter; la technologie et les infrastructures nécessaires à cette vérification ne soient pas présentes dans certains aéroports), avoir recours à une énorme base de données de documents de voyage volés, et à une mesure de sécurité plutôt basique, ne relève pas d'une priorité majeure pour beaucoup de pays. Dans ce cas, la communauté internationale devrait réviser ses procédures incitatives pour que ces pays décident que la vérification des documents sur la base de données SLTD vaut le coup en termes de temps et d'argent.

Une idée consisterait à retirer la responsabilité de ces contrôles de sécurité aux gouvernements nationaux et à les mettre entre les mains de services mieux équipés pour utiliser la base de données (ou pour lesquels les pressions ou les incitations sont plus faciles à déployer). Dans le cadre d'un test annoncé mardi par Interpol, deux compagnies aériennes, Air Arabia et Qatar Airways, auront la «possibilité de contrôler les informations de leurs voyageurs dans les bases de données d'Interpol», déclare une porte-parole de l'organisation. «Il s'agit d'une couche de sécurité supplémentaire (…) Un autre contrôle pourra être effectué avant que les passagers n'entrent dans l'aéroport». Air Arabia et Qatar Airways seront les seules compagnies à pouvoir accéder aux bases de données, mais si l'essai est concluant, le programme pourra être étendu à d'autres.

Permettre l'accès aux compagnies

Les compagnies aériennes pourraient être plus à même d'effectuer ce contrôle que les autorités frontalières pour plusieurs raisons. Les compagnies aériennes peuvent avoir à prendre en charge le coût du retour des passagers porteurs de documents volés et qui sont, de fait, interdits d'atteindre le pays de leur destination. En contrôlant les passagers avant le départ, les compagnies aériennes pourraient s'éviter de tels dépenses imprévues. Par ailleurs, s'agissant de la mise en œuvre de la base de données SLTD,  la liberté d'action des compagnies aériennes est peut-être moins limitée que celle des gouvernements par des questions politiques ou de respect de la vie privée, mais aussi par des problèmes ressources réduites.

«Nous disons: du fait des restrictions d'accès que connaissent les autorités nationales, pourquoi ne pas envisager de permettre également aux compagnies aériennes d'y accéder, d'une manière très contrôlée?» a déclaré Michael O'Connell, Directeur de l’Appui opérationnel de police d'Interpol, à l'Associated Press, au sujet du nouveau programme expérimental.

Mieux inciter à un contrôle systématique des passeports pourrait aussi consister à résoudre directement certaines lacunes, en mettant par exemple au point de nouvelles mesures de confidentialité dans les requêtes envoyées sur la base de données, en assistant financièrement les pays où les contrôles frontaliers sont insuffisants ou encore via de nouvelles règles portant sur les contrôles de sécurité des vols internationaux à destination de certains pays.

L'importance d'encourager un meilleur contrôle des documents de voyage pourrait se révéler une question parfaitement accessoire dans l'histoire du vol MH 370. Mais, même si de nouvelle informations font surface, la leçon sera toujours bonne à retenir

Josephine Wolff 

Traduit par Peggy Sastre

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