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Football: le Kosovo dribble vers l'indépendance

Le pays, qui s'est détaché unilatéralement de la Serbie en 2008, va pouvoir affronter des sélections de la Fifa alors qu'il n'est membre ni de cette institution, ni de l'ONU. Deux situations qui sont plus liées qu'on peut le croire.

Des jeunes joueurs de football à Pristina, le 21 janvier 2014. REUTERS/Hazir Reka.
Des jeunes joueurs de football à Pristina, le 21 janvier 2014. REUTERS/Hazir Reka.

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Six ans après avoir déclaré unilatéralement son indépendance, le Kosovo, qui n'a toujours pas accédé à une totale reconnaissance internationale, vient d'être autorisé par la Fédération internationale de football (Fifa), dont il n'est pas membre, à disputer des matchs amicaux contre ses adhérents. Ce mercredi 5 mars, à Mitrovica, aura donc lieu un Kosovo-Haïti aux allures de match historique pour cette sélection.

Le 13 janvier dernier, trois jours après la tenue au siège de la Fifa d'une réunion –arbitrée par le taulier lui-même, Sepp Blatter– entre Tomislav Karadzic et Fadil Vokrri, respectivement présidents des fédérations serbe et kosovare de football, la Fifa a annoncé cette décision que l'on sentait venir depuis quelque temps. Jusque là, conformément aux statuts de la Fédération internationale, le Kosovo ne pouvait rencontrer une équipe membre de la Fifa. Cette décision a fait suite à de longs mois de pression de la part des instances footballistiques kosovares, elles-mêmes poussées par une opinion publique qui commençait à perdre patience.

S'il en est un qui ne doit pas bouder son plaisir à quelques heures du coup d'envoi du match contre Haïti, c'est le président Vokrri. Lorsqu'en 2008, il faut doter le Kosovo nouvellement indépendant d'une fédération, c'est à lui que l'on pense, à Pristina, pour la présider.

L'ancienne gloire du KF Pristina, passé aussi par le Partizan de Belgrade (et l'EDS Montluçon!), accepte de relever le défi, avec pour mission annoncée d'intégrer à terme le Kosovo à la Fifa. Six ans après l'indépendance de son pays, ce premier match officiel constitue déjà une belle victoire pour celui qui, il n'y a encore pas si longtemps, nourrissait l'espoir de jouer les qualifications pour l'Euro 2016.

Evidemment, on ne l'entend pas de cette oreille à Belgrade, où l'indépendance du Kosovo n'est toujours pas reconnue. Car si les Serbes sont si réticents à voir le Kosovo intégrer la communauté internationale, footballistique ou non, cela dépasse de loin le cadre territorial ou diplomatique.

Ligue parallèle

Pour l'immense majorité d'entre eux, le Kosovo n'est pas seulement une province, c'est une parcelle d'identité, considérée comme ayant été le berceau de la civilisation serbe au Moyen-Âge, avant l'occupation ottomane. Le Kosovo redevient une province serbe en 1913 et est intégré au royaume des Serbes, Croates et Slovènes dès sa création en 1918 (le royaume prendra le nom de Yougoslavie en 1929). Pour les Albanais du Kosovo, c'est le début de vingt années de répression-assimilation et d'une lutte sans relâche pour l'indépendance.

Après une brève annexion par l'Albanie –sous domination de l'Italie fasciste– durant la Seconde Guerre mondiale, le Kosovo revient dans le giron de la Yougoslavie en 1945. En 1974, Tito lui accorde le statut de province autonome à l'intérieur de la République serbe, avec ses institutions propres, une représentation directe à Belgrade et un droit de veto sur les affaires de la Fédération.

Mais en 1989, Slobodan Milosevic, arrivé au pouvoir trois ans plus tôt en exploitant, notamment, le ressentiment serbe envers les Albanais, revient sur l'autonomie accordée à la province en 1974, instaure l'état d'exception et envoie l'armée. La suite est tristement connue, depuis le référendum clandestin de 1991 jusqu'à la déclaration d'indépendance de 2008, en passant par l'épuration et la contre-épuration ethniques, les exodes massifs et les bombardements de l'Otan.

Dès le début des années 1990 et les premières discriminations contre les Albanais du Kosovo, les joueurs de foot albanais font sécession de leurs clubs yougoslaves et créent une sorte de fédération clandestine. En 2010, l'ancien joueur du KF Pristina Suad Kegi confiait au Courrier des Balkans:

«Nous avons constitué cette ligue parallèle en 1991 comme un moyen de résister au régime serbe. Nous prenions des précautions, nous cachions le matériel dans des voitures, on ne savait pas jusqu'à la dernière minute où le match allait se dérouler. Nous jouions sur des terrains vagues, il y avait même du public car c'était une façon pour lui aussi de résister. Il nous est arrivé souvent d'être interrompus par la police, elle emmenait quelques personnes, des dirigeants ont été tabassés.»

Pas d'hymne ni de drapeau

Ici acte de résistance, le football peut être aussi un moyen d'exister. Et les Serbes le savent mieux que quiconque, qui ont fait tout leur possible pour empêcher le Kosovo d'entrer dans le concert des nations, fût-ce par le biais sportif. En 2008, déjà, la fédération de Serbie était intervenue auprès de la Fifa pour empêcher la tenue d'un match prévu entre l'équipe olympique brésilienne et le Kosovo, rappelant que ce dernier n'était pas membre de la Fifa.

Car pour être membre de la Fifa, il faut être membre d'une des six confédérations continentales. Et pour être membre de l'Uefa, il faut être membre de l'Onu.

Aussi, les efforts de la Serbie pour barrer la route de la Fifa au Kosovo ressemblent fort à un jeu de poupées gigognes dont la plus grosse consiste à empêcher une accession à l'Onu. Et pour ce faire, Belgrade a toujours pu compter sur son allié historique, la Russie, qui, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, dispose d'un droit de veto à toute nouvelle adhésion.

Des tractations entre les fédérations serbe et kosovare étaient en cours depuis 2012, sous l'égide de la FIFA, afin de parvenir à un accord tripartite permettant au Kosovo de disputer des matchs amicaux. Mais signe du chemin qu'il reste à parcourir, la Serbie a conditionné sa signature à toute une série d'exigences aussi symbolique que formelles.

A sa demande, la sélection kosovare n'aura pas le droit de disputer un match contre une équipe d'ex-Yougoslavie, de faire jouer un hymne national ou encore d'arborer des symboles nationaux (drapeaux, emblèmes, etc). «Cependant, elles sont autorisées à porter des tenues et équipements portant le nom "Kosovo" ainsi qu’un symbole représentant un astérisque de la taille de la lettre "o" dans le nom "Kosovo"», précise la FIFA dans un élan de magnanimité. Qu'importe ce ridicule cahier des charges, ce 10 janvier à Zurich, un premier verrou a sauté, qui ressemble bien à un point de non-retour.

Rapprochement avec Belgrade

Ces avancées sur le front sportif s'inscrivent dans le cadre plus large du rapprochement entre Belgrade et Pristina, entamé depuis plusieurs mois sous impulsion de l'Union européenne, qui a conditionné l'Intégration de la Serbie à la normalisation de ses relations avec le Kosovo. Liridon Lika, politologue au Center for International Relations de l'université de Liège, rappelle que les deux pays ont conclu le 19 avril 2013 un accord historique à la suite duquel des bureaux de liaison ont été ouverts à Belgrade et à Pristina:

«Il s’agit là d’un premier pas vers l’ouverture des ambassades respectives. Les dirigeants serbes sont donc en train de préparer progressivement l’opinion publique à l'idée que le Kosovo est déjà indépendant.»

Par ailleurs, le chercheur rappelle un sondage effectué en février 2013 auprès d'un échantillon de 1.003 Serbes, dont 63% disaient reconnaître «l'indépendance effective» du Kosovo.

Autres éléments qui précisent l'accession du Kosovo à un statut international, selon Liridon Lika, les reconnaissances internationales que le nouvel État continue d'engranger. Si, à ce jour, 106 pays (dont 23 des 28 pays de l'UE) l'ont officiellement reconnu, ils sont bien plus nombreux à l'avoir reconnu de facto. «Par exemple, près de 150 pays, comme le Vietnam et l’Irak, qui n’ont pas encore reconnu officiellement l’indépendance, reconnaissent de manière formelle ou informelle les passeports délivrés par les autorités kosovares», écrit-il. Sans compter que nombre d'organes internationaux ont déjà intégré le Kosovo (Banque mondiale, FMI, Berd...).

En somme, il est inéluctable que le Kosovo fasse un jour ou l'autre son entrée dans la communauté internationale. Cela prendra du temps, «certainement encore quelques années», estime Liridon Lika, car la Serbie ne reconnaîtra le Kosovo qu'à la toute fin de son processus d'adhésion à l'UE. Mais dés lors qu'elle l'aura fait, «il est évident que des nouvelles reconnaissances internationales vont se succéder et que la porte de l’Onu sera ouverte». Et par conséquent, celle de la Fifa.

D'autres pays pénalisés

Alors se posera un tout autre problème. Celui des joueurs kosovars qui, privés jusqu'alors de sélection nationale, s'en étaient allés défendre les couleurs d'un autre pays.

Dans son numéro du 21 février dernier, Fifa Weekly s'essayait à composer sa propre sélection des onze meilleurs joueurs du Kosovo. Parmi les élus, cinq jouent actuellement pour la Suisse, trois pour l'Albanie et un pour la Norvège. Il faut cependant préciser que cette sélection Fifa est à considérer avec mesure puisqu'elle ne compte qu'un défenseur et aucun gardien de but.

De son côté, en novembre 2013, le site Non-FIFA football se pliait au même exercice –la vraisemblance en plus. Quoiqu'avec un effectif un peu différent, le site parvenait sensiblement au même résultat, si ce n'est que le joueur norvégien disparaissait au profit d'un Suédois.

Comme en témoigne cet article du Matin, l'affaire a inquiété en Suisse où, si les citoyens sont désireux de réduire l'immigration, ils ne semblent pas prêts à commencer par leur équipe de foot. Il faut dire que la diaspora kosovare a donné à la sélection hélvète quelques talents tels que Granit Xhaka, Valon Behrami ou Xherdan Shakiri.

Selon Non-FIFA football, Sepp Blatter s'est exprimé sur la question en privé, récusant, dans le cas où le Kosovo intégrerait la Fifa, l'hypothèse d'un changement de nationalité pour les joueurs ayant déjà porté les couleurs d'une autre équipe A. Selon le site, cette position est conforme au règlement de la FIFA qui prévoit qu'en cas de création d'un nouveau pays, seuls les joueurs ayant joué pour la nation qui a précédé ce nouveau pays (en l'occurrence, la Serbie) peuvent intégrer la nouvelle sélection.

Le match contre Haïti n'est pas soumis à cette restriction car, n'opposant pas deux équipes membres de la Fifa, il n'est pas considéré comme un match officiel. Aussi, la sélection kosovare pourra-t-elle compter sur la présence d'Albert Bunjaku et de Samir Ujkani (déjà respectivement capés pour la Suisse et l'Albanie). Mais ces deux-là, et quelques autres avec eux, savent désormais que si leur pays accède un jour aux compétitions officielles de la FIFA, ce sera sans eux.

Jérôme Houard

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