Politique

Autonomie et évaluation des universités : suite.

Réforme des universités: Henry Rousso répond à vos commentaires

Temps de lecture: 2 minutes

J'aimerais apporter quelques compléments à mon article du 9 février, et surtout lever quelques malentendus assez significatifs du débat actuel sur l'Université.

Toute discussion de bonne foi, même sur la Toile, nécessite de lire les textes et non de réagir de manière émotive à quelques mots isolés.

Je maintiens que le mouvement actuel, la grève illimitée décidée par de très nombreux enseignants, dans des établissements de sensibilités très différentes, et avec l'accord de nombreux présidents pourtant principaux bénéficiaires du projet de réforme en cours, est un mouvement inhabituel, au contraire des grèves étudiantes. C'est d'ailleurs ce qui fait sa force : les philosophes de Paris IV ou les juristes de Lyon III ne sont pas, me semble-t-il des habitués des piquets de grève. Quant au prétendu «bon sens» de la Conférence des présidents d'universités qu'évoque Arthur, je me contente de renvoyer à ses récentes prises de position, bien plus radicales que les miennes. Comme je renvoie au communiqué publié par l'Académie des Sciences, le 5 février dernier, en réaction aux propos insultants envers toute une profession proférés par le président de la République, le 22 janvier dernier.

L'autonomie n'est pas l'indépendance, et je ne vois pas dans la discussion actuelle une quelconque «revendication à l'indépendance» comme semble le croire Roger Nifle. Il s'agit bien de débattre des limites souhaitables et des droits et devoirs qu'implique une autonomie de gestion accordée à des institutions relevant d'un service public, avec des personnels payés sur le budget de l'Etat. C'est là sans doute que se niche un autre malentendu concernant l'évaluation. Il n'y a aucune raison de contester un contrôle, y compris de type administratif, qui aurait pour but de vérifier qu'un enseignant fait effectivement le service pour lequel il est payé ou qu'il se conforme aux règles et usages de l'Université, contrôle qui vaut pour tout salarié du public.

Par ailleurs, on commence à voir en France des formes d'évaluation de la qualité des cours par le biais d'évaluations venus des étudiants concernés, éléments qui entrent en ligne de compte pour apprécier la valeur générale d'un enseignement. Sous réserve de ne pas en abuser, on peut tenter de généraliser ce système, avec l'accord de toutes les parties concernées. En revanche, la question devient beaucoup plus délicate s'il s'agit d'évaluer le contenu même des cours, problème qui a toujours été plus aigu dans le domaine des sciences humaines et sociales que dans les autres disciplines, d'où peut-être l'étonnement de certains universitaires : l'enseignement des mathématiques ne soulève pas les mêmes enjeux que l'enseignement de l'histoire des génocides contemporains. Dès lors, accorder à des présidents d'université, même sous le contrôle du conseil scientifique (instance consultative), le pouvoir de jouer sur le service d'enseignement et le temps de recherche, constitue à l'évidence un risque. Et ce risque a été perçu comme tel par une grande majorité d'universitaires, y compris de nombreux présidents d'universités.

Enfin, s'il s'agit d'évaluer des contenus scientifiques, ce qui est encore un autre problème, on voit mal comment la validation pourrait se faire autrement que par des scientifiques compétents du domaine ou proches. Certes, il y a des risques de népotisme, de conflits d'intérêts, de perpétuation de la domination de quelques mandarins. Mais ces risques inhérents à l'univers scientifique peuvent être limités par des dispositifs assez simples comme l'introduction de scientifiques étrangers dans les divers comités d'évaluation - ce qui se pratique déjà à large échelle, et doit être généralisé. En revanche, le risque de voir des politiques, des militants, des chefs d'entreprise ou autres membres de la société civile donner leur point de vue non sur la marche générale de telle ou telle université ou département (comme ce fut le cas dans le passé), mais sur le contenu même d'une proposition scientifique, me paraît infiniment plus grave. Que je sache, un énoncé scientifique, même relatif et fragile, même formulé en tenant compte de diverses demandes sociales, ne résulte pas d'une décision de la communauté des citoyens. Peut-être suis-je, comme l'écrit Roger Nifle, un adepte de la religion de la science, mais, comme citoyen et historien du XXe siècle, je préfère nettement cette religion-là à la religion de la communauté.

Henry Rousso

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