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La Crimée, le cadeau de Khrouchtchev à l'Ukraine

Si la Crimée est devenue ukrainienne en 1954, elle le doit à Nikita Khroutchev alors Premier secrétaire du parti communiste, qui a voulu resserrer les liens avec l'Ukraine martyrisée par Staline. Un cadeau empoisonné?

Troupes russes à l'aéroport de Simféropol (Crimée) 28 février 2014. REUTERS
Troupes russes à l'aéroport de Simféropol (Crimée) 28 février 2014. REUTERS

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En Ukraine, le centre de l'action est en train de se déporter vers la Crimée. Les spéculations vont bon train sur le fait que la Russie pourrait faire de cette région sont objectif majeur afin d'attiser des sentiments sécessionnistes, voire d'ouvrir la voie à une annexion.

En Ukraine, la Crimée est la seule région à majorité ethnique russe et l'hostilité face aux manifestants pro-UE de la capitale y est profonde. La Russie conserve aussi une base navale importante à Sébastopol.

Le drapeau russe a été dressé sur les bâtiments officiels de la ville. Le gouvernement russe réfléchit aussi à de nouvelles législations permettant aux russophones de la région d'obtenir plus facilement un passeport russe et vient d'exprimer la nécessité de protéger les droits des Russes ethniques face au chaos ukrainien –une stratégie similaire à celle déployée dans la région séparatiste d'Abkhazie, peu avant la guerre de 2008 avec la Géorgie.

La Crimée est devenue ukrainienne en 1954

A la lumière de ces événements, il est utile de voir comment la Crimée a pu devenir une partie de l'Ukraine. Le transfert par Moscou de la péninsule –reliée au territoire ukrainien par un isthme– à la République socialiste soviétique d'Ukraine remonte à 1954.

Il est d'usage de dire que le Nikita Khrouchtchev, Premier Secrétaire du PCUS, offrit la Crimée en «cadeau» à son pays d'adoption. La relation de Khrouchtchev à l'Ukraine est des plus complexes: Russe ethnique, il naît dans une ville faisant aujourd'hui partie de la Russie, mais il fait ses armes dans le parti communiste ukrainien et en prend la direction durant les pires années des purges staliniennes.

Les raisons au cœur du transfert de la Crimée relevaient sans doute moins de la générosité que de la démographie. Avant la Seconde Guerre Mondiale, la Crimée hébergeait pas moins de 300 000 Tatars. Parce qu'un certain nombre d'entre eux avait collaboré avec l'occupant nazi, Staline décida de déporter toute la communauté en 1944.

Comme l'écrit William Taubman dans sa biographie de Khrouchtchev, la même année, ce dernier –qui avait toujours eu dans l'idée d'étendre le territoire ukrainien– se met à ébaucher un plan visant à remplacer les Tatars déportés par des paysans venus d'une Ukraine dévastée. Dix ans plus tard, succédant à Staline à la tête de l'URSS, il a enfin les moyens de réaliser son objectif.

Un cadeau lourd de conséquences

Le transfert de la Crimée fut présenté comme un geste bienveillant, marquant le 300ème anniversaire de l’unification entre l'Ukraine et la Russie tsariste. A l'annonce de l'événement, la Pravda mettait en avant des «similitudes économiques, une proximité territoriale et des liens culturels et linguistiques», même si, selon Lewis Siegelbaum, professeur d'histoire à l'Université d’État du Michigan, les liens culturels de la Crimée ont toujours été plus étroits avec la Russie. A l'époque, la région comptait environ 268 000 Ukrainiens et 858 000 Russes ethniques.

Mais, à l'évidence, Khrouchtchev avait un œil sur la Crimée depuis bien longtemps, et vu ce que l'Ukraine avait dû endurer sous Staline, un tel geste de propagande semblait des plus opportuns.

Après 1954, un grand nombre d'Ukrainiens et de Russes s'installèrent dans la région, et la différence entre les deux pays ne fut pas spécialement saillante jusqu'à la dissolution de l'Union Soviétique, en 1992. Le président russe, Boris Eltsine, était censé faire pression pour que la Crimée rejoigne la Russie après l'indépendance, mais, au grand dam des Russes de la région, il n'insista pas sur le sujet lors des négociations.

La Crimée compte une importante population tatare, revenue dans les années 1980 et 1990 –et qui, dans sa grande majorité, a pris fait et cause pour les manifestants de Maïdan. Mais comme nous l'avons vu ces deux dernières semaines, le soutien à la Russie reste fort.

Le cadeau de Khrouchtchev est donc aujourd'hui bien plus lourd de conséquences que ce que le Premier Secrétaire aurait pu imaginer à l'époque. Il se pourrait même qu'il constitue les prochaines étapes de la crise ukrainienne.

Joshua Keating 

Traduit par Peggy Sastre

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