France

Mais que signifie «avoir un passé chez Occident»?

Après l'allusion de Manuel Valls, à l'Assemblée nationale, concernant le passé d'«extrême droite» du député Claude Goasguen, Occident, mouvement violent fondé en 1964 par des étudiants nationalistes et anticommunistes, revient sur le devant de la scène.

Claude Goasguen à l'Assemblée nationale, le 25 février 2014. REUTERS/Philippe Wojazer
Claude Goasguen à l'Assemblée nationale, le 25 février 2014. REUTERS/Philippe Wojazer

Temps de lecture: 10 minutes

Mardi 25 février, l'Assemblée nationale était en transe: Manuel Valls, lors de la séance de questions au gouvernement, a évoqué le passé d'extrême droite du député Claude Goasguen, faisant référence à son ancienne appartenance supposée à Occident, groupuscule d’extrême droite hyper-actif dans les années 1960.

De nombreux députés UMP ont alors quitté l'hémicycle et, le lendemain, c'est l'ensemble du groupe qui a boycotté la séance, laissant un hémicycle à moité vide, les bancs de droite n'étant occupés que par Gilbert Collard et Marion Maréchal-Le Pen, ainsi que le député de la Ligue du Sud, Jacques Bompard.

Mais pourquoi tant d’agitations autour de ce petit Occident?

Pour comprendre ce que désigne «un passé chez Occident», il faut se replonger dans le contexte de l’époque. Vers 1963-64, dans le pays, l’ère en apparence est douce, mais dans ses travées estudiantines, elle est sanguine. D’un côté l’indépendance de l’Algérie est actée, la consommation s’envole, on écoute les Beatles (I want to hold your hand) et Enrico Macias (Paris, tu m’as pris dans tes bras).

De l’autre, globalement, on se tape dessus, surtout dans les rues et dans les concerts de rock. Les grandes causes agitent l’esprit de la jeunesse, de l’Algérie à la guerre du Vietnam et la radicalisation intervient aussi bien à gauche qu’à droite. Mais l’extrême gauche tient le haut du pavé et l’extrême droite des jeunes durs se sent écrasée. Comme le dit Jean-Yves Camus, politologue et directeur de l'Observatoire des radicalités politiques à l’Institut Jean-Jaurès:

«Il faut se souvenir d’un temps où les grandes idéologies ont de l’importance et où l’engagement politique, y compris sur les campus ou dans les lycées, revêt un caractère total.»

Quand jeunesse trépigne

Les «jeunesses nationalistes» viennent alors tout juste de renouer avec un semblant d’organisation. Depuis 1954, Jeune Nation, mouvement violent de Pierre Sidos cristallisé sur l’Algérie française, puis la Fédération des étudiants nationalistes (FEN), créée en 1960, ont relancé la machine.

En 1963, la FEN se lie au mouvement Europe-Action de Dominique Venner, futur suicidé de Notre-Dame mais à l’époque grand penseur du nationalisme moderne qu’il étend à ses frontières européennes. Son influence instigue au sein de la FEN le respect des racines et du sang, des valeurs militaires, du dépassement de soi et de la formation intellectuelle. Les jeunes nationalistes sont conviés à des camps-écoles et à de petites fêtes pour passer les solstices autour de grands feux païens. L’activisme tout poing tout flamme est quant à lui mis de côté, l’heure est à reconstruire des rangs serrés.

«Le culte de la jeunesse et de l’action», comme on peut définir un des ressorts de l’extrémisme de droite, est en bute à ce qui constitue justement l’organisation et la hiérarchie qui se met en place dans le mouvement nationaliste français. Dominique Venner en agace plus d’un (et surtout Pierre Sidos) et globalement, les jeunes de la vraie droite ont envie de casser du gaucho, ni plus ni moins.

Dur dans l’action, mou dans la doctrine

C’est l’origine d’Occident: le jeunisme, l’anti-communisme exacerbé par la domination de l’extrême gauche dans les milieux étudiants, l’anti-gaullisme sur fond d’Algérie française, le goût du sang.

En avril 1964, c’est en effet un petit groupe d’hommes qui, pour la plupart, n’ont pas 18 ans qui organise la scission d’avec la FEN. Le mouvement Occident officiellement n’a pas de têtes car il est parti sans. Pierre Sidos fait toutefois office de parrain théorique et on retrouve parmi les leaders informels du groupe Gérard Longuet, Alain Madelin et Patrick Devedjian. François Duprat, historien et penseur du nationalisme révolutionnaire, futur numéro 2 du FN, doit un moment servir à éduquer Occident. Mais les jeunes gens d’Occident vont rapidement se passer de toute figure tutélaire.

Le principe d’Occident est la pratique ouverte de la violence. Pour un ancien ministre gaulliste qui fut aussi étudiant à Assas dans les années 1960, «on les voyait comme des extrémistes qui s’exprimaient davantage par le coup de poing que par l’expression idéologique». «Une jeunesse un peu perturbée», dit-il encore pour résumer.

«Le contenu est faible», complète Jean-Yves Camus qui illustre son propos en citant un tract dans lequel Occident se borne à se définir comme «nationaliste», «révolutionnaire», «anticapitaliste» et «antimarxiste». La devise la plus connue du groupe est «Défendre l'Occident partout où il se bat», ce qui, on en conviendra, peut conduire un peu partout.

En 1965, la campagne présidentielle de Tixier-Vignancour est le seul exemple de participation d’Occident à une démarche de représentation politique. Le discours du candidat est propre à rallier les défenseurs de l’Algérie française mais Occident en profite plus sûrement pour recruter de nouveaux militants pour ses combats de rue.

Dès le début de 1966, ses membres ne sont que quelques centaines, répartis dans les principales villes universitaires, mais ils sont reconnaissables: blousons de cuir, ceinturons, manches de pelles. Les matraques télescopiques et les poings américains complètent leur attirail pour étudier le droit ou les sciences politiques. En mai 1966, ils mettent à sac une représentation des Paravents de Genet au théâtre de l’Odéon. Le 4 novembre 1966, ils se rassemblent pour commémorer l’écrasement de l’insurrection hongroise devant le siège du PC français. Autant dire qu’ils ne sont pas là pour prier. L’affrontement qui éclate avec les militants communistes est des plus violents et conduit à l’interpellation de 200 personnes.

L’escalade de la violence se met en place, notamment autour du campus de Nanterre, comme «un rituel», indique Jean-Yves Camus qui y voit un système de «match-aller», «match-retour» avec les militants rouges, un processus inévitable dans l’esprit «barre de fer» qui anime les groupes extrémistes de droite comme de gauche.

Loubards bourgeois

Occident est symptomatique d’une «sous-culture» propre à la jeunesse dirait Jean-Yves Camus, mais aussi du conflit générationnel qui précède 1968, même à droite. Les «Occidentaux» estiment détenir le quartier latin parisien. Installés officiellement rue Serpente, à Saint-Germain, leur annexe officieuse est au Relais Odéon (un bar-restaurant). Il y a pourtant chez eux un «ressort anti-bourgeois», analyse Jean-Yves Camus qui y voit «une manière d’être mal-élevé dans son propre milieu».

A une époque où la démocratie scolaire n’est pas installée, ce sont en effet à quelques exceptions près (dont Alain Madelin –son père est OS chez Renault), des étudiants issus de milieux bourgeois qui animent Occident, mais non sans vouloir y régler quelques comptes. Comme le dit notre ancien ministre de droite:

«L'exaltation des valeurs réactionnaires d’Occident était une manière de dénoncer la faiblesse de leurs parents. En attaquant de Gaulle qu’ils jugeaient incapable de défendre les valeurs de la nation, ils cherchaient avant tout à s’affirmer eux-mêmes.»

Des affranchis «parmi les plus toniques», dit-il encore, mais surtout:

«Pas prêts du tout à quitter leur milieu pour autant.»

L’expérience d’Occident a des airs de parcours initiatique, et dégage un besoin de revanche adolescente plus qu’idéologique. Il y a une radicalité évidente dans les idées, une imprégnation fasciste, mais aussi un refus de la doctrine et de l’affiliation aux mouvements traditionnels de droite ou d’extrême droite. C’est un milieu ultra-minoritaire chez les jeunes de l’époque, sans grande figure intellectuelle ou populaire pour le porter et qui se refugie dans un esprit de bande et d’arrogance envers tous les autres.

Ce sectarisme s’applique à la droite comme à la gauche. Au cours du premier semestre de 1966, le journal Occident Université publie ainsi ce texte du mouvement, reproduit dans Les Rats Maudits, histoire des étudiants nationalistes de 1965 à 1995, unique ouvrage des Editions des Monts d'Arrée:

«Las de montrer une mansuétude sans réciproque envers des gens que nous méprisons, n'ayant guère la possibilité d'être plus agressifs envers les gens contre qui nous luttons, nous avons décidé de dire bien haut ce que les autres ne disent pas du tout. N'étant pas à vendre, nous dirons donc qui est vendu; n'étant pas des lâches, nous dirons qui capitule; n'étant pas des escrocs, nous dirons qui falsifie. Nous sommes un mouvement violent, nous en sommes fiers, personne n'a à rougir de descendre dans la rue pour défendre ses idées. Décidés à lutter contre la bêtise et la trahison, nous les dénoncerons à droite comme à gauche. Maintenant, tout est en place; le spectacle va commencer. Fiez-vous à nous.»

On devine que sans avoir à s’y fier, il ne devait pas y avoir beaucoup de plaisir à les croiser la nuit.

Cassage international

Le spectacle commence, mais 1967 marque un tournant. Le paysage politique de l’extrême droite est plus que jamais en déréliction avec l’échec de la tentative d’Europe-Action de se transformer en mouvement politique. Jean-Marie Le Pen est sur la touche après avoir mené la campagne de Tixier-Vignancour (qui n’aura récolté que 5,2% des suffrages) et produit, dans son coin, des disques pétainistes et sionistes pour brouiller les pistes.

Occident se retrouve seul, ne dispose d’aucune représentation électorale, n’a pas un sou et cela lui convient très bien. Il pense disposer d’un boulevard pour le pouvoir mais ne pense pas à s’armer politiquement.

Son corpus idéologique reste informe mais son combat physique se cristallise autour de la guerre au Vietnam. Il soutient le Sud pour mieux castagner ceux qui soutiennent le Nord. En janvier 1967, à Rouen, un commando est lancé à l'université de Mont-Saint-Aignan. Dans son livre paru en 2005 au Seuil, Génération Occident, Frédéric Charpier raconte:

«Une vingtaine d'individus, blousons et manteaux de cuir noir, a transpercé le brouillard. Ils brandissent des barres de fer, l'un d'eux, un trident. Ils hurlent "Occident vaincra, Occident passera, De Gaulle au poteau!", se ruent avec une hargne incroyable sur les porteurs de pancarte du Comité Viet-Nâm et s'emparent du drapeau Viet-Cong. [...] Certains militants agressés ne se relèvent pas. Ils gisent à terre au milieu des débris de verre, des boulons des barres de fer et des chaises tordues, dans des flaques de sang. Un militant de la JCR, Serge Bolloch [futur journaliste au Monde] est dans le coma. Un coup de clé anglaise lui a enfoncé la boîte crânienne. On retrouvera dans sa chair un éclat de métal, c'est dire avec quelle violence le coup a été asséné.»

Les services de police sont mobilisés et une enquête de grande ampleur est lancée. Elle aboutit à l’arrestation de la moitié de l’équipe dirigeante, parmi lesquels Gérard Longuet. Des inculpations tombent. Le climat de suspicion atteint les arcanes du groupe qui cherche à savoir qui parle à la police. Pierre Sidos est définitivement écarté. Le journaliste Frédéric Charpier raconte dans son livre que Patrick Devedjian est piégé par ses alliés:

«Il est convoqué rue Soufflot prétendument pour une réunion. A peine a-t-il franchi le pas de la porte qu'il est frappé, déshabillé, jeté dans une baignoire. Quatre de ses camarades l'accusent d'avoir balancé aux flics et l'immerge sous l'eau. Ils veulent lui faire signer des aveux.»

Patrick Devedjian serait parvenu à s'échapper en sautant par la fenêtre avant d’être ramassé par les policiers. Pour lui, Occident s’arrête là.

Longuet aussi prend ses distances, semble-t-il, après cet évènement (auquel il dit ne pas avoir participé). Pour des hommes ambitieux, il ne faudrait pas finir par encombrer son costume d’une tache trop voyante. D’autant que l’actualité internationale de l’année 1967 excite des divergences latentes au sein du groupe.

En juin 1967, la guerre des Six jours éclate. Les dissensions émergent autour de clans sionistes et antisionistes. Pour Jean-Yves Camus, «les questions relatives au racisme ou à l’antisémitisme affleurent chez Occident et provoquent de graves disputes, mais elles ne sont pas tranchées». C’est la nature de cette bande qui refuse de se positionner sur une base idéologique précise.

A l’approche de mai 1968, Occident est un groupe isolé du reste de l’extrême droite et divisé en interne face à une extrême gauche qui monte en puissance. Les affrontements physiques se poursuivent dans une logique de harcèlement. Dans son livre L’Extrême droite en France, l’historien Joseph Algazy estime qu’«il est vraisemblable que ces violences dans les campus ont contribué, elles aussi, au déclenchement de l'explosion de Mai-68».

Occident semble vouloir garder l’espoir d’incarner pour la jeunesse un mouvement anti-gaulliste radical mais la guérilla de trottoir semble dérisoire quand se dessine le mouvement de Mai-68. Un constat bientôt s’impose: le soulèvement contre le pouvoir aura bien lieu, mais sans eux, et contre eux.

Quand les ambitieux s’en vont, les autres se dispersent

Mai-68 voit Occident se disperser en tous sens et la plupart de ses membres, «quelques centaines tout au plus», selon Jean-Yves Camus, n’y croient plus. En octobre 1968, à la suite d'une bombe placée dans la librairie maoïste de la rue Gît-le-Cœur, le mouvement est dissout par le ministère de l’Intérieur.

» A CONSULTER 
Notre infographie des groupuscules politiques dissous

Pour ceux qui veulent se faire une vie et une carrière décente, le premier objectif était depuis longtemps de «sortir de ce trou» indique le politologue qui relève l’absence d’influence idéologique d’Occident sur l’extrême droite actuelle. L’Institut supérieur du travail (IST), créé par Georges Albertini dans le cadre de la lutte anti-communiste, aura permis de blanchir les plus ambitieux: Alain Madelin, Patrick Devedjian ou Gérard Longuet sont de ceux-là (comme indiqué dans le rapport de Terra Nova sur «l’axe UMPFN»).

Politiquement, le combat anti-gaulliste, seul fil constant (pour ne pas dire rouge) entre la FEN et Occident, s’est poursuivi au sein des Républicains indépendants (que rejoint Gérard Longuet). Une vingtaine d’ex-Occident seront de la création du GUD à Assas (Groupe Union Défense dont l’action violente sera ultra encadrée dans les années 1970 – rien à voir avec les bandes d’Occident) en 1969.

Mais pour la plupart des anciens d’Occident, finis les rixes, le sang et les slogans simplistes, l’heure est à passer ses diplômes pour se faire une place dans la vraie vie. Retour à la normalité. «De tous les leaders de ce mouvement, je n’ai aucune idée de ce que la plupart sont devenus», admet Jean-Yves Camus.

No regrets

Sur son blog, Alain Madelin déclare:

«[J'étais animé par un] anticommuniste militant, extrême et passionné, qui a accompagné une bonne partie de ma vie d'étudiant. Et comme à ce moment-là, la France de l'anticommunisme était marginalisée, nous avons été systématiquement confinés à l'extrême droite. En face, ils étaient pour Mao et Pol Pot, pour les Gardes rouges et pour les Khmers rouges. Je ne regrette pas de ne pas avoir choisi ce camp-là.»

Plus touchant encore, Hervé Novelli, actuel député UMP d’Indre-et-Loire, avouait dans un entretien au Monde en 2005:

«C’est une époque révolue, il en reste une sorte d’amitié liée à l’adolescence. Ne tombons pas dans le piège de la béatification de l’extrême gauche et de la diabolisation de l’extrême droite.»

«Ils ont vécu ensemble une première expérience du collectif», estime encore Jean-Yves Camus qui ne doute pas qu’Occident ait noué des liens d’amitié qui durent encore sans qu’il faille y voir un pont actuel entre droite et extrême droite.

«Avoir un passé à Occident» doit donc en effet se lire dans le contexte de l’époque. Occident incarne l’extrême droite à une époque où celle-ci ne dispose d’aucun avenir politique. C’est une expression creuse et viriliste, un objet de fantasme plus que de réflexion politique. C’est pourquoi Occident avait des airs de défouloir, signes d’un extrémisme aussi violent qu’adolescent dans son absence de vision du futur.

C’était une force réactionnaire et éruptive dans un contexte d’opinions polarisées. «Les jeunes gens brillants d’Occident sont l’envers des jeunes gens brillants avec leur Petit Livre rouge», dit Jean-Yves Camus. Et on sait que tous ces jeunes gens brillants, de droite comme de gauche, sont depuis revenus en masse aux idées et modes de vie qu’ils dénonçaient, pierres (et chaises et battes) en main, sur les trottoirs des années 1960.  

Marika Mathieu

cover
-
/
cover

Liste de lecture