Culture

Henri Cartier-Bresson, «l'œil du XXe siècle»

Dix ans après sa disparition, la rétrospective du Centre George Pompidou à Paris consacre le génie de l'un des pères du photojournalisme.

Couronnement de George VI, Londres, Angleterre, 12 mai 1937 / Magnum Photos. Courtesy Fondation Henri Cartier-Bresson
Couronnement de George VI, Londres, Angleterre, 12 mai 1937 / Magnum Photos. Courtesy Fondation Henri Cartier-Bresson

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«La photo est une action immédiate, le dessin une méditation.» Si Henri Cartier-Bresson a dans sa jeunesse hésité entre les deux mediums, la photographie s’est vite imposée le propulsant comme une des figures clés de cette modernité et de cette nouvelle forme d’art, comme l’«œil du XXe siècle».

La rétrospective qui se tient jusqu'au 9 juin au Centre Pompidou, la première en Europe dix ans après sa disparition en 2004, offre une nouvelle perspective de son travail. Revisitant près de 350 clichés et montrant aussi une impressionnante collection de documents, films, archives de presse et premiers dessins, elle permet de mieux comprendre et même réinterpréter l’œuvre du photographe.

Né en 1908, Cartier-Bresson a très tôt manifesté son désir artistique par le dessin et la peinture.

«Enfant, je peignais les jeudis et dimanches, et j’en rêvais tous les autres jours.»

Au milieu des années 1920, il fréquente l’Académie André Lhote, y reçoit un apprentissage classique du dessin qui lui prodiguera les règles de base de la composition qu’il n’oubliera jamais: géométrie, perspective... Elles deviendront plus tard des atouts précieux et sa marque lorsqu’il délaissera les crayons pour un Leica.

La photographie justement, c’est grâce à un couple d’Américains, Caresse et Harry Crosby, qu’il l’aborde en découvrant Eugène Atget. Une révélation. Ces premiers clichés sont largement inspirés du photographe du vieux Paris: même appropriation de l’espace public, même reflet aperçu au détour de vitrines de boutiques. Dans l’effervescence artistique du Paris de l'entre-deux-guerres, il fréquente peintres et sculpteurs, et est fasciné notamment par les Surréalistes, qu’il retrouve parfois Place Blanche. Il leur empruntera une série de symboles: corps déformé, objets empaquetés, et aussi un certain goût de la subversion.

Au tournant des années 1930, il réalise ses premiers reportages en Europe, puis s’aventure au Mexique ou aux Etats-Unis. C’est aussi le temps de ses premiers engagements politiques notamment lorsqu’il commence à travailler pour la presse communiste, couvre en 1936 les premiers congés payés en France, et en Espagne la guerre civile aux côtés des républicains.

«L'instant décisif»

Très vite, les angles inédits qu’il choisit pour ses prises de vues le distinguent et illustrent son originalité et son anticonformisme pour couvrir les événements. Son génie de la composition et sa capacité à capturer le mouvement marquent le refus de toute mise en scène avec pour règle immuable la réalité prise sur le vif. Lors du couronnement de George VI au Royaume-Uni,  il préfère tourner son appareil vers la foule, venue assister à la célébration reléguant le roi, la famille royale et les officiels à un rôle secondaire.


Cette conception de la photographie et son travail novateur à partir des années 1930 ont contribué à définir le potentiel créatif de la photographie moderne qui suit la vie en mouvement. Il définit en 1952 sa philosophie de prise de vue comme la recherche permanente de «l'instant décisif» –le titre de son premier ouvrage majeur. Henri Cartier-Bresson a inventé avec quelques autres géants de sa génération comme Robert Capa le photojournalisme muni d’un simple Leica 24x36 mm et d’un unique objectif de 50 mm.

La rétrospective permet aussi d’apprécier le travail du photographe dans les formats d’époque. Henri Cartier-Bresson avait l’habitude de réaliser pour chaque exposition qui lui était consacrée, des tirages particuliers utilisant un papier avec la même qualité de grain et le même format. Le résultat était une grande uniformité, qui avait tendance à égaliser la diversité de l’œuvre. Pour cette exposition, les tirages sont ceux d’origine, et respectent la temporalité historique de la production des clichés.

La création de Magnum

Entre 1935 et 1945, Henri Cartier-Bresson s’est aussi intéressé au cinéma. Il apprend à manier la caméra, pensant alors que le support audiovisuel permet de toucher un plus large public que la photographie. On le découvre assistant sur des tournages de films de Jean Renoir, on le devine figurant, jouant un prêtre à soutane noire et chapeau à larges bords ou en majordome à l’accent anglais improbable.

Fait prisonnier par les Allemands en 1940, il réussit à s'évader en 1943 après deux tentatives ratées. Il intègre la Résistance et participe à la Libération, toujours son boîtier en main. Après la guerre, il réalise Le Retour, un documentaire sur la réintégration à la vie civile des prisonniers de guerre.

Et puis la reconnaissance vient vite. Dès 1947, le MoMA (Museum of Modern Art) de New York lui consacre une première exposition. La même année, il fonde l'Agence photo Magnum avec Robert Capa et David Seymour permettant aux photojournalistes, propriétaires de l’agence, de garder la maîtrise complète de leur travail, tout en atteignant un vaste public grâce aux publications dans des magazines à grands tirages, comme Life.

Retour au dessin

Dans la décennie qui suit la fin de la guerre, Henri Cartier-Bresson multiplie les reportages photographiques, notamment sur la décolonisation et la Guerre froide. Evitant comme toujours le sensationnalisme et les stéréotypes, il sait capter l’essentiel, la profondeur des situations en quelques clichés qui racontent et symbolisent l’histoire.

«J’observe, j’observe, j’observe, c’est avec les yeux que je comprends

Que ce soit en Inde au cours des funérailles de Gandhi, en Chine lors de la révolution communiste, en URSS après la mort de Staline, aux Etats-Unis dans la prospérité d'après-guerre ou dans une Europe séparée par le rideau de fer, ces images sont l’Histoire.

Mais à partir des années 1970, Henri Cartier-Bresson perd le feu sacré. Le photojournalisme concurrencé par la télévision, la couleur devenue indispensable dans la photographie, la complexité du monde, la fatigue l’incitent à prendre du recul. Il quitte Magnum et met un terme à sa carrière de photographe. Il revient au dessin. L’homme qui avait vu le XXe siècle se transformer dans la fureur sous le regard de son objectif, retrouve la lenteur et l’observation tranquille.

Anne de Coninck

Henri Cartier-Bresson jusqu’au 9 juin 2014 au Centre Pompidou, 19 Rue Beaubourg, 75004 Paris de 11h à 21h tous les jours, sauf le mardi. Nocturnes jusqu’à 23h, tous les jours sauf mardi.

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