Économie

La loi Duflot ne changera pas grand-chose aux pratiques des syndics

Ce n’est pas la loi Alur, votée par l’Assemblée et le Sénat, et présentée par la ministre du Logement qui va changer quoi que ce soit aux pratiques souvent contestables des syndics de copropriété.

Les toits de Paris. REUTERS/Benoît Tessier.
Les toits de Paris. REUTERS/Benoît Tessier.

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Les syndics de copropriété ont une réputation détestable. Ils apparaissent régulièrement dans les sondages en tête des professions les plus mal aimées des français. Les griefs à leur encontre sont presque toujours les mêmes. Ils baigneraient en permanence dans les conflits d’intérêt et seraient experts dans l’art d’égarer leurs mandants dans des arguties techniques et juridiques. 

Cinq gros syndics dominent le marché en France, représentant presque 2/3 du chiffre d’affaires de la profession (Foncia, Nexity, Citya, Urbania et Immo de France). Un sondage réalisé il y a un peu plus d’un an par l’UFC Que choisir montrait que 64% des clients de ces cinq grands réseaux étaient satisfaits contre 89% pour les clients de syndics bénévoles. 
Foncia et Urbania remportaient la palme du mécontentement avec respectivement 42% et 45% de clients insatisfaits.

Autant face à un syndic à dimension humaine, il est envisageable de lui faire entendre raison, autant face à une machine bureaucratique puissante bien décidée à surfacturer par tous les moyens et à nier toute responsabilité, il est presque impossible de lutter. C’est la désagréable expérience à laquelle sont confrontés régulièrement une bonne partie des 8 millions de copropriétaires, près d’un ménage français sur trois.

Alur, une nouvelle occasion ratée

Voilà pourquoi Cécile Duflot, la ministre du Logement, pleine de bonnes intentions, devait avec la loi Alur (pour Accès au logement et urbanisme rénové), votée jeudi 20 février par le Sénat, permettre de rééquilibrer, un peu, les relations entre copropriétaires et les syndics professionnels. Mais cette loi va au final renforcer l'impunité des syndics professionnels dont le lobbying a encore été une fois très efficace. Tant pis pour les copropriétaires et plus grave encore tant pis pour la relance du logement en France. 

Pourquoi investir dans la pierre, surtout en région parisienne où le manque d’offre est criant, quand la gestion des immeubles est confiée à des intermédiaires dont la non transparence et la non responsabilité sont des règles de fonctionnement? Et cela se traduit par des coûts supplémentaires et abusifs pour les propriétaires et donc aussi pour les locataires. Il ne faudrait pas oublier que le logement est le premier poste de dépenses des ménages français.

La loi Alur adoptée en première lecture contenait pourtant une série de mesures qui aurait pu permettre de redonner la main aux copropriétaires. Les syndics professionnels devaient répondre à une série d’obligations: un compte bancaire séparé pour toutes les copropriétés sans dérogation; la réalisation d’un diagnostic technique global des habitations permettant la création d’une fiche synthétique d’information sur l’état de la copropriété dans son ensemble; la création d’un fond de prévoyance destiné à organiser les travaux à venir au sein de la copropriété; l'immatriculation de la copropriété sorte de carte d'identité des copropriétés; enfin la création d’un Conseil national et de commissions régionales de contrôle qui devaient faciliter la résolution des conflits.

C’était avant que le lobby des syndics entre en action. De nombreux amendements ont été présentés lors de la deuxième lecture au parlement le 16 janvier retirant à la loi l’essentiel de sa substance. On peut même se demander si ce texte présente encore le moindre intérêt pour les millions de français obligés de s’en remettre à un syndic de copropriété dont il est de fait presque impossible de remettre en cause les actes de gestion.

Conflits d’intérêt

Prendre en charge la gestion au quotidien d’un immeuble n’est pas simple compte tenu notamment de la complexité administrative et réglementaire grandissante. Il faut gérer les désaccords entre copropriétaires, trouver les entreprises pour faire les travaux de maintenance et les réparations, vérifier les factures et les payer, faire rentrer les charges, faire respecter les règles de courtoisie, connaître les subtilités de la loi de 65 et des amendements en dose massive… 

La seule solution est bien souvent de s’en remettre à un syndic professionnel. Mais elle s’avère risquée. Elle consiste à confier les clés de la copropriété à quelqu’un qui rend un service dont il cherche à ce qu’il soit pour lui le plus rentable possible. Jusque-là, rien de surprenant. Le problème est qu'il est presque impossible aujourd'hui de contrôler et de vérifier le travail. Et cela même s’il est incompétent sur le plan technique ou juridique voire malhonnête!

Les dérives des pratiques des syndics sont mises constamment en avant par les associations de consommateurs. Les motifs de plaintes sont récurrents et permanents: opacité de leur fonctionnement et de leur tarifs, délais d’actions trop longs, procédures non respectées, collusions avec les prestataires. Certaines sociétés de syndics n’hésitent pas à faire travailler des sociétés dans lesquelles elles ont des intérêts plus ou moins affichés (courtage en assurance, diagnostiqueurs immobiliers, entreprises de nettoyage...).

Des conflits d’intérêt que ne nient même pas les dirigeants des grands groupes du secteur. Ainsi, François Davy, le PDG de Foncia interrogé par le Nouvel Observateur reconnaissait qu’ «une absence totale de conflit d’intérêts garantie par le syndic et les collaborateurs gérant la copropriété amènerait plus de transparence et d’intégrité». Voilà pour les principes. Ils n’empêchent nullement Foncia de faire travailler en tant que syndic ses filiales ASSURIMO, courtier d’assurance, et Constatimmo, spécialiste du diagnostic immobilier.

Cinq pratiques douteuses

Alors comment repérer un syndic discutable? Cinq critères ont été établis en mai 2013 lors du premier bilan de l’observatoire des syndics lancé par deux associations de consommateurs UFC Que choisir et l'Arc (l'Association Responsable de Copropriété). Il rassemble les abus tarifaires et contractuels sous 5 pratiques douteuses… qui auraient dû être strictement interdites par la loi Duflot. Ces pratiques sont les suivantes:

- Les «vrai-faux» forfaits ou forfait tout compris conçus pour rendre «prévisible» le montant des charges. En fait, ils n’ont de «tout compris» que le nom. Selon l’observatoire des syndics, avec ce type de forfait, un copropriétaire peut s’attendre en moyenne à un surcoût de 35% à 39% pour Nexity et de 40% pour Foncia ! Foncia qui n’hésite pas à inscrire 12 prestations payantes en sus dans son offre forfaitisée et Nexity… seulement 11 supplémentaires.

- Le compte bancaire unique, séparé pour chaque copropriété, pour permettre de bien mieux contrôler la gestion et de sécuriser les fonds. Les syndics dissuadent bien souvent les copropriétaires d’opter pour un tel choix en imposant un surcoût.

La loi Duflot va généraliser les comptes séparés, laissant dérogation pour les petites copropriétés de moins de 15 lots. Reste que le choix de la banque n’est pas pour tout de suite, le syndic pourra toujours privilégier son établissement bancaire…

- Des clauses abusives à la pelle. Ainsi sur huit contrats étudiés, l’observatoire relève 18 clauses abusives. Le Contrat «Formule 1 par 1» de Foncia est hors concours, il en compte à lui tout seul 25. Certains syndics n’hésitent pas à présenter comme avantage commercial des prestations qu'ils sont de toute façon tenus légalement d'assurer, telle la garantie des fonds ou la conservation des archives. 

Parmi ces clauses abusives, la rémunération pour travaux votées en AG, la location de salle dans les locaux du syndic, des frais de chèques ou de prélèvements impayés, ou encore les fameuses assemblées générales facturées en dehors des heures ouvrables, des lettres recommandées à 35 euros…

- Les tarifs exorbitants des prestations inhabituelles. Les copropriétaires font face à un arbitraire total: honoraires pour travaux exceptionnels qui ont bondi de 25% en trois ans sans parler des vacations horaires dont les prix sont majorés à partir de 17 heures, toute heure commencée est due, les déplacements en voitures sont payés… Pourtant la loi encadre certaines pratiques comme le montant des honoraires prévus pour des travaux exceptionnels qui doivent être négociés lors de l'assemblée générale. Mais pourquoi respecter la loi si personne ne vous y contraint?

- Les frais spécifiques d’un copropriétaire ou quand le syndic professionnel «s’autorise» à réclamer des frais particuliers à un copropriétaire.  Un exemple? En cas des impayés de charges, le copropriétaire défaillant se voit alors facturer des honoraires pour rémunérer le syndic lorsque ce dernier transmet le dossier à un avocat ou à un huissier. Une pratique jugée systématiquement illicite par les tribunaux.

Une ponction sur le pouvoir d'achat

Le problème c’est que si les sanctions des fautes de gestion existent dans la loi, dans la pratique elles nécessitent des procédures longues et complexes et l’engagement de frais importants pour les obtenir. La loi Alur devait donner plus de poids au copropriétaires en renforçant les moyens de contrôle et en simplifiant la possibilité de sanctions. Si la loi apporte quelques avancées, elle ne modifiera pas grand-chose au final. 

En cas de conflit, les copropriétaires restent désarmés surtout si le syndic ne répond plus à leurs appels téléphoniques ou aux lettres recommandées et refuse de convoquer une assemblée générale quand les dispositions légales ont été respectées.

Ces pratiques pèsent lourdement sur le marché du logement en France. Des coûts de logements trop élevés réduisent de fait le pouvoir d’achat des ménages et le dynamisme de l’économie française. Une façon simple pour commencer à réduire ses coûts et à encourager les propriétaires à investir aurait été d’introduire un peu de clarté dans la gestion des copropriétés et de permettre la répression des abus. Encore une occasion ratée!

Anne de Coninck

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