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Record de Renaud Lavillenie: en sport, la taille ne compte pas

Selon les canons modernes, Renaud Lavillenie, avec son 1,76m, n’était pas fait pour devenir recordman du monde de saut à la perche. Sauf qu’en sport, la taille ne veut rien dire ou presque.

Renaud Lavillenie bat le record du monde de saut à la perche en salle à Donetsk le 15 février 2014, REUTERS/Valeriy Bilokryl
Renaud Lavillenie bat le record du monde de saut à la perche en salle à Donetsk le 15 février 2014, REUTERS/Valeriy Bilokryl

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En devenant l’homme le plus haut du monde, à Donetsk, en Ukraine, où il a franchi une barre à 6,16m sous les yeux de Sergueï Bubka, Renaud Lavillenie n’a pas seulement effacé l’un des plus vieux records du monde de l’athlétisme qui datait de 21 ans (pour faire bonne mesure, il lui reste à battre celui en plein air établi en 1994 et qui culmine à 6,14m), il a également fait tomber un préjugé à défaut (heureusement) de faire tomber une barre. Oui, il est possible de mesurer 1,76m (pour 69kg) et de tutoyer les sommets dans un univers bâti en principe, aujourd’hui, pour les athlètes d’1,88m et de 80kg.

Lorsqu’il a battu ses 35 records du monde (18 en salle de 5,81m en 1984 à 6,15m en 1993 et 17 en plein air de 5,85m à 6,14m en 1994), Sergueï Bubka incarnait à l’époque un colosse dont la puissance explosait sur les sautoirs au bout d’une force de bras phénoménale. Avec son 1,83m et ses 75kg, il était à la fois très rapide et capable de manier des perches que d’autres concurrents n’auraient jamais pu avoir entre leurs mains.

Technique

Il était le perchiste moderne et anticipait, en quelque sorte, l’évolution d’un sport que l’on imaginait effectivement porté vers des athlètes de plus en plus grands et de plus en plus en musculeux à l’image de l’Australien Steve Hooker, champion olympique à Pékin en 2008. Avec son 1,87m et ses 82kg, le rouquin de Melbourne, qui sauta 6,06m en salle en 2008, était ce prototype des temps nouveaux, un perchiste haut et costaud.

Renaud Lavillenie, physique presque ordinaire, a été capable de compenser ce «handicap» par d’autres qualités de vitesse et par une technique qui lui est propre en décollant de très loin sans attendre que la perche plie et en imprimant à celle-ci une torsion sensationnelle. Lorsqu’il a commencé la perche, personne n’imaginait qu’il pourrait s’offrir un tel destin.

Pour réussir, il s’est surtout bouché les oreilles en refusant de considérer sa taille comme un problème dans une discipline où, comme dans un exercice de mécanique, il s’agit juste de transférer de l’énergie de la vitesse de course dans la perche. Et il a surtout intégré que dans le sport, il n’y a jamais de schéma établi ou de portrait-robot du champion.

Grosjean, Messi, Parker et les autres

Il n’existe tout simplement pas de critère pertinent pour en désigner un plutôt qu’un autre. Usain Bolt mesure1,96m quand Maurice Green, également champion olympique du 100m, était, lui, plus petit de 20cm. En saut en hauteur, le Suédois Stefan Holm (1,81m) et le Cubain Javier Sotomayor (1,93m) bataillaient sur les mêmes sautoirs et évoluaient tous les deux au-dessus de 2,40m avec des morphologies et des techniques très différentes.

Avec son 1,70m, Lionel Messi rayonne au milieu d’un monde de géants après avoir surmonté de graves troubles de croissance. Tony Parker, 1,88m, se débat avec succès au milieu des tours de contrôle de la NBA.

En tennis, Michael Chang, 1,72m à 17 ans, s’est arrangé pour triompher à Roland-Garros en 1989. Tennis où, par exemple, la taille a souvent été (et peut rester) un critère d’exclusion des sports-études à l’image du Français Sébastien Grosjean carrément viré du système fédéral lors de son adolescence en dépit de bons résultats sous le seul prétexte qu’avec son 1,75m, il ne pourrait jamais, selon certains responsables, se dessiner un avenir. Il se vengea en devenant n°4 mondial.

Gène du champion?

Existerait-il, en revanche, un gène du champion au-delà de nos simples caractéristiques morphologiques visibles? C’est la question mise au cœur d’un livre aux Etats-Unis, The sports gene, et signé de David Epstein, un ancien journaliste de Sports Illustrated, qui a notamment voulu comprendre pourquoi les Jamaïcains dominaient tant le sprint mondial.

Il démontre que les différences génétiques mettent les aspirants champions sur un pied d’inégalité, mais que c’est ensuite l’environnement et la qualité de l’entraînement qui «trient» les talents naturels. Dans le débat «inné ou acquis», il n’y aurait pas de vainqueur. Les deux vont ensemble. Usain Bolt, sans l’éducation reçue de ses parents ou le savoir distillé par ses entraîneurs, sans surtout sa force mentale comme Renaud Lavillenie, ne serait jamais devenu un champion au-delà de ses «dons du ciel».

Dans un des chapitres à venir, David Epstein pourrait tenter de se pencher sur le cas d’école de la perche française qui, depuis la fin des années 70, s’est offert, presque sans raison, trois champions olympiques (Pierre Quinon, Jean Galfione et Renaud Lavillenie) et quatre recordmen du monde (Thierry Vigneron, Philippe Houvion, Pierre Quinon et Renaud Lavillenie). Nulle recette magique ou nul profil «type» venu de France.

La perche française a seulement toujours été un laboratoire de recherche qui a travaillé avec des «échantillons» petits et grands en ouvrant toujours le champ des possibles. Et parfois de l’impossible.

Yannick Cochennec

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