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Pourquoi reparle-t-on de la Bosnie en 2014?

Le pays n’a jamais semblé aussi instable depuis 1995, année de la fin de la guerre civile qui avait laissé le pays exsangue.

Un manifestant devant un bâtiment gouvernemental à Tuzla le 7 février 2014. REUTERS/Dado Ruvic
Un manifestant devant un bâtiment gouvernemental à Tuzla le 7 février 2014. REUTERS/Dado Ruvic

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Chapeau bas à quiconque aurait pu prévoir que la Bosnie ferait les gros titres de la presse internationale au début de l’année 2014 (la liste ne doit pas être longue). Des manifestations antigouvernementales massives et parfois violentes ont abouti à la fermeture du centre de Sarajevo et de cinq autres villes bosniennes. Le pays n’avait jamais semblé aussi instable depuis 1995, année de la fin de la guerre civile qui avait laissé le pays exsangue.

Ce mouvement, que certains sympathisants ont déjà qualifié, non sans un certain optimisme, de «printemps bosnien» est parti la semaine dernière de la ville de Tuzla, au nord-est du pays, par la manifestation d’un groupe d’ouvriers au chômage protestant contre les privatisations d’entreprises locales. La manifestation a rapidement tourné à l’affrontement avec les forces de l’ordre et un bâtiment public a même été incendié.

Tim Judah, de The Economist, nous a offert jusqu’ici une bonne couverture des évènements, avec même quelques apartés surréalistes à propos d’une juge prenant le soleil nue sur son bureau ou d’une ancienne mascotte olympique au cœur brisé. 

Certains des protestataires les mieux organisés se sont baptisés mouvement Udar, évocation intentionnelle du parti d’opposition ukrainien dirigé par le boxeur Vitali Klitschko.

Il n’est certes pas vraiment étonnant que les Bosniens soient en colère: les chiffres du chômage oscillent entre 27% et 40%, selon que l’on compte ou non le marché noir, et ce chiffre culmine autour de 70% chez les jeunes. Mais tout cela ne serait-il pas plutôt en rapport avec les vieilles tensions ethniques qui divisent le pays depuis si longtemps?

Oui et non. Le pays est divisé entre la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine, essentiellement bosniaque et croate, et la Republika Srpska, République serbe de Bosnie. Jusqu’ici, la grande majorité des manifestations ont eu lieu dans la fédération, mais la rhétorique nationaliste est restée minime.

D’un autre côté, la paralysie politique qui a conduit à la crise actuelle est sans doute liée aux compromis qui ont mis fin à la guerre. Les accords de Dayton, qui ont conclu la fin de la guerre en 1995, avaient pour but de répartir le pouvoir entre Bosniaques, Croates et Serbes. En réalité, comme l’expliquait un article de Reuters en 2011, ces accords ont «séparé le pays en deux régions ethniques autonomes, si décentralisées et compliquées que l’on peut difficilement dire que la Bosnie fonctionne en tant qu’Etat»:

«L’administration est trop pesante, les institutions sont fragmentées et la politique se polarise autour des groupes ethniques. Dans son rapport d’octobre sur l’avancement hésitant de la Bosnie vers l’intégration européenne, la Commission européenne décrit le millefeuille bureaucratique bosnien comme une “hyperinflation de compétences”.

Alors que les musulmans souhaitent l’intégration de l’Etat et l’allègement de la bureaucratie, les Serbes de Bosnie se montrent farouchement jaloux de l’autonomie que leur ont conférée les accords de Dayton.»

Cela a été particulièrement évident en 2010 et en 2011, lorsqu’il a fallu pas moins de 15 mois aux leaders du pays pour former un gouvernement après les élections.

Les choses n’ont fait qu’empirer lorsque la Bosnie a cherché à mettre sa législation en conformité avec les exigences imposées par l’Union européenne aux pays candidats à l’intégration, avec de longs débats entre le gouvernement national et les deux entités pour savoir qui était responsable de quoi. Après l’intégration, l’année dernière, de la Croatie voisine, les agriculteurs bosniens se sont retrouvés privés de leurs plus gros clients en raison de querelles internes sur la responsabilité de la mise aux normes des réglementations agricoles nationales.  

Il y a aussi le problème de la constitution nationale, qui garantit que «la présidence à trois membres et les sièges aux parlements doivent être équitablement répartis entre Bosniaques, Croates et Serbes» et qui a été remise en question par la Cour européenne des droits de l’Homme en 2009 à la suite de plaintes de citoyens juifs et roms affirmant qu’elle les excluait.

Les accords de Dayton constituaient peut-être le meilleur compromis possible à l’époque, et les négociateurs, notamment le diplomate américain Richard Holbrooke, méritent toute notre considération pour avoir mis un terme aux effusions de sang. Mais au nom de la fin des combats, les accords ont éludé les questions sur la manière dont une nation rapiécée est censée fonctionner en tant qu’Etat. Vingt ans plus tard, les vieux démons refont surface.

Joshua Keating

Traduit par Yann Champion

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