Culture

Retour des Inconnus: les suites de comédies françaises condamnées à décevoir

Avec un «Les Trois Frères, le retour» mou mais pas déshonorant, qui est un peu leur «Very Bad Trip 2», les Inconnus avaient de grandes chances d'échouer, comme quasiment toutes les comédies françaises à succès, qui ratent leur retour.

Didier Bourdon, Bernard Campan et Pascal Légitimus dans «Les Trois Frères, le retour».
Didier Bourdon, Bernard Campan et Pascal Légitimus dans «Les Trois Frères, le retour».

Temps de lecture: 7 minutes

Sur les affiches, leur photo s’affiche en pixels granuleux, sans doute pour nous rappeler que le trio vient de cette époque où ni les téléphones portables ni les appareils photo numériques n’existaient: les Inconnus sont de retour.

On avait cru les avoir perdus pour de bon. Pascal Légitimus est parti faire du théâtre. Didier Bourdon continue sa carrière au cinéma, de Ridley Scott à son propre film Bambou, mais jamais aussi brillant que quand il incarne avec délectation les veules et les fourbes, comme dans le récent Jacky au royaume des filles. Et on s’est vraiment inquiété pour Bernard Campan, qui a failli se perdre dans les trois Cœur des hommes et dans des rôles «sensibles» du cinéma français dont le trio se moquait dans La Télé des Inconnus.

Après une longue période de vide et de bisbilles avec leur ex-producteur Lederman, les Inconnus ont tellement la patate pour leur retour qu'ils se sont essayés à la promotion virale avec Norman le YouTubeur.

Il convient pourtant d’abaisser ses espérances car les suites de comédies françaises sont un véritable Omaha Beach de l’humour. Inconnus ou pas, les attentes sont forcément trop grandes. Et le cap difficile du deuxième film devient très souvent celui de trop, y compris, il faut le dire, aux Etats-Unis –Very Bad Trip aurait très bien pu devenir un one-shot culte si les compères de gueule de bois en étaient restés là.

Bombes à retardement de l'humour

Les Inconnus ont opté pour une suite directe, dix-huit ans plus tard: le pire des cas de figures possibles, celui des bombes à retardement de l’humour. Qui veut vraiment découvrir dans 18 ans après de Coline Serreau ce que sont devenus les trois hommes et leur couffin? Qui a envie de voir ça? Personne, jamais.

Dans le même genre, la bande du Splendid devait d'abord se réunir pour Astérix en Hispanie, un projet balayé par Uderzo, alors tant pis, ce furent les retrouvailles des Bronzés. Mais le projet vira à l'entreprise cynique n’ayant même pas la courtoisie d’être une farce potache tournée pour pas cher en DV. Amis pour la vie, nous disait le titre complet du film –on veut bien le croire, avec 35 millions de budget sur la table pour les retrouvailles d’une troupe de quinquagénaires dont la plupart des carrières était dans le creux de la vague.

L’opération «Prends l'oseille et tire-toi» réussit: 10 millions d’entrées, soit autant de témoins pour voir les membres de la troupe se faire tour à tour agresser par une patte d’ours, sans doute le plot-twist le plus affligeant d’un film français tout court. Les Inconnus ont au moins cette certitude: le pire est passé avec ces Bronzés 3 dont le traumatisme est encore vif.

Mais on a aimé leurs personnages et on aurait eu envie de savoir ce qui leur arrive sans attendre vingt piges, tel ce Jean-Claude Dusse quinqua devenu gênant.

Comme par exemple dans le diptyque Un éléphant ça trompe énormément / Nous irons tous au paradis, sorti à un an d'intervalle, où Jean Rochefort commentait ironiquement en voix off sa propre vie et celles de ses potes Claude Brasseur, Guy Bedos et Victor Lanoux. Avec à la clef plusieurs nominations aux César mais aussi une aux Golden Globes en 1978, un signe que la comédie et ses suites sont une affaire sérieuse quand elles sont écrites avec talent.

La Vérité si je mens! avait aussi opté pour l'option «Battons le fer tant qu’il est chaud». Mais là où le premier nous racontait l’immersion d’un chômeur dans un milieu qui lui est totalement étranger, ses suites basculaient dans le film de potes et d’arnaques plus ou moins réussies.

Les retrouvailles ne suivent pas

La suite directe est parfois prévue implicitement. C’était le cas des Visiteurs, un des rares exemples de premier opus se terminant sur un cliffhanger.

Jean-Marie Poiré répétait à l’envi que le plus important, dans ses films, c’était le rythme. Ceci explique en partie pourquoi Les Visiteurs 2: Les couloirs du temps était aussi décevant. A coup de montage au couteau et d’acteurs préfigurant l’agitation des YouTubeurs se filmant au fisheye, le réalisateur avait rendu sa suite hystérique et irregardable.

Si l’on ne comprend pas le succès de sa propre comédie, il est impossible d’en reproduire la réussite. A tel point que, revendant le concept à une major, Poiré allait en tourner une «suite» alternative, Les visiteurs en Amérique. Four intégral. L'année dernière, on a entendu à nouveau parler d'un Visiteurs 3 bouclant les aventures laissées en plan de Godefroy de Montmirail et de Jacquouille. Can’t wait?

Les comédies françaises font aussi trop souvent l’erreur de croire que les retrouvailles avec un personnage suffisent à déclencher la jubilation. C’était le choix de Camping 2, qui remplaçait simplement son personnage principal (exit Gérard Lanvin, place à Richard Anconina) pour retourner aux côtés de Franck Dubosc et nous resservir exactement la même soupe du «bourgeois coincé chez les ploucs». Comme dans le premier, le riche comprendra «les vraies valeurs et la simplicité» au contact du terroir qui lui ne bougera pas. Dans le monde de la grande distribution, on appelle ça «un produit reconditionné». Fabien Onteniente compte réunir le duo Lanvin/Dubosc dans Camping 3, dont l’intrigue va se téléporter en Corse.

Autre astuce: de nouveaux personnages secondaires. Il y a eu la version light avec le petit rôle rigolo à la Cyril Hanouna dans La Vérité si je mens 3. Mais le canon du genre est la série des Ripoux. Ripoux contre Ripoux faisait de Guy Marchand et Jean-Pierre Castaldi, les méchants flics, le moteur de son renouveau narratif. Puis, dans Les Ripoux 3, Loránt Deutsch occupait le rôle du jeune stagiaire à qui l'on apprend la vie —et ceux qui ont vu le quatrième Indiana Jones savent que l'idée du sidekick est un piège dont il est difficile de se sortir indemne.

Il y a aussi l'option de refaire la même chose, mais ailleurs. Après tout, c’est ce qu’avaient choisi de faire Les Bronzés en partant au ski. Dans ce qui est sans doute l’une des meilleures suites de comédies françaises, la troupe du Splendid au top de sa forme s’était laissée guider par le contexte pour inventer de nouveaux gags. Mais la recette du déménagement n’a pas toujours marché, et Les Randonneurs à St Tropez ou Les Sous-doués en vacances existent pour en témoigner.

Deux cas particuliers

Restent deux cas particuliers, qui sont d’ailleurs les séries au firmament du box-office français.

Le deuxième Astérix (Mission Cléopâtre) surnage avec aisance au-dessus des autres, un cas rare. Le premier Astérix de Zidi est un peu le X-Men de Singer mais à l’échelle gauloise, celui qui pose les bases. Jamais vraiment drôle, cet épisode originel avait le mérite de prouver qu’il était possible de recréer le village au cinéma.

Il ne restait plus qu’à combler le vide scénaristique par la surenchère de Chabat, qui a su totalement capter l’air du temps en y introduisant «l’humour Canal». Ses références nombreuses et bien senties ont fait du film une véritable balise mémorielle qui a la malice de respecter l’esprit de l’oeuvre originale.

La chute n'en a été que plus dure avec le consternant Astérix aux Jeux olympiques et l'immense moment de non-cinéma que constitue sa fin, tunnel sans aucun rapport avec le film avec Jamel Debbouze parachuté comme sparring-partner de Zinédine Zidane, Amélie Mauresmo et Tony Parker. L’industrialisation du guest gratuit, jusqu’à son point de rupture. Quant au dernier, Au service de sa majesté, découpé en saynètes assez ennuyeuses, il a malheureusement reçu le baiser de la mort: c’est le préféré d’Uderzo.

Autre cas particulier, celui des Taxi, produits en pleine vague de «Marseille pride». Ces comédies ne reposaient que sur l’interchangeabilité des méchants: aux satanés Allemands succédèrent de redoutables ninja préfigurant les Yamakazi puis de vils Chinois. Ce qui fonctionnait dans Taxi, c’est justement que ces comédies policières étaient bêtes et racistes. Un cas rare de nanar moderne où «plus c'est nul, mieux c'est».

Le jour où on lui a dit que Taxi 2 était allé trop loin dans l’indigence beauf avec ses «niakoués», l’auteur Besson a essayé de redresser la barre, c’est à dire de les rendre plus propres. Sans succès: moins cons, les Taxi n’intéressaient plus grand monde. Quant au quatrième, il a été écrit pour maintenir Samy Nacéri hors de l’eau, alors qu’il commençait justement à péter les plombs. L’ironie, c’est que ses premiers esclandres ont fait de l’acteur le principal danger pour la franchise: tel un rise and fall, il serait presque logique que sorte un Taxi 5 dans 15 ans.

Les meilleures suites... n'en sont pas

Quelle place ont les Inconnus 2014 dans ce paysage? Ils évitent la catastrophe industrielle à la 18 ans après ou Bronzés 3, mais tombent dans d'autres pièges.

Ce qui faisait leur force à l’époque, c’était d’avoir un stock de sketches assez géniaux, de véritables coups de griffes facilement adaptables à la structure d’un film. Les publicitaires foireux, l’art moderne, les émissions télés comme Le Millionnaire: du pain béni pour une comédie.

Moins enrichi en scènes «vues à la télé», Les Trois frères 2 joue (et abuse) au moins d’une chose, la simple joie de se retrouver. Les mécanismes sont les mêmes, à savoir l’argent et l’extrême pingrerie des frères Latour. Pascal est toy-boy d’une bourgeoise, Didier court après l’héritage d’une famille très «Manif pour tous» tandis que Bernard lutte en faisant du stand-up très fauché.

Ce Retour est un peu le Very Bad Trip 2 des Inconnus, un film clone qui raconte la même chose que le premier, toujours en moins bien qu’avant. On retrouve les mêmes enjeux guidés par une question d’héritage, le culte de la débrouille et surtout la présence d’un quatrième larron (dans ce cas, la fille de Bernard), le deus ex machina classique qui fait que le film avance un petit peu.

Malgré des punchlines un peu molles, des scènes d'expositions trop longues et des gags très inégaux, il ne constitue pas un comeback cynique: on sent toujours la même énergie du trio et un vrai plaisir d'être là malgré les années et pas mal de kilos supplémentaires. Tel un boxeur qui remonte sur le ring sans entraînement, cette suite se situe dans une sorte de ventre mou, faible mais pas déshonorant.

Mais à voir le film, on se dit que finalement, la meilleure solution aurait été de se réunir pour faire autre chose, quitte à prendre des risques. Francis Weber a connu son âge d’or en déclinant son schéma de duo antagoniste dans la trilogie La Chèvre / Les compères / Les Fugitifs, avec Pierre Richard et Depardieu. C’était aussi le choix du trio Oury-de Funès-Bourvil avec Le Corniaud puis La Grande Vadrouille.

Plus haut encore, plus loin, il y a les maîtres, les Monty Python, passés à des intervalles de quatre ans de Sacré Graal! à La Vie de Brian puis au Sens de la vie. Cette occasion de repartir à zéro avec un film biblique, les Inconnus l'ont eue avec Les Rois Mages, en 2001, mais leur tentative de Vie de Brian a été une déception commerciale, malgré quelques bonnes blagues religieuses. Qui pourrait les blâmer d'avoir tenté de suivre la voie des Monty Python? Treize ans plus tard, ils ont simplement joué la sécurité en pariant sur la nostalgie.

Daniel Andreyev

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